Le combat d’Anya.
« Quand on est malade, rien ne chante plus fort que l’envie de guérir. »
Jean Giono, le chant du monde.
Ysaline est un bébé adorable. La journée, elle dort paisiblement dans son berceau et ne pleure jamais sauf pour réclamer le sein de sa mère.
Dans la maisonnée, tous sont tombés en amour devant ce petit bout. Paul et Florence sont très fiers de leur statut d’aînés. Natacha et Pierre ont choyé leur nièce : lors des dix jours d’hospitalisation d’Anya, ils ont, avec la complicité de Dimitri, entièrement revu la décoration de leur modeste chambre. Un nouveau papier peint aux couleurs lilas ensoleille les murs ; un lit en chêne massif joliment sculpté de motifs floraux côtoie un ancien berceau à bascule – celui de leurs enfants -.
Lorsqu’Anya pénètre dans la pièce, son bébé dans les bras, ses yeux se voilent d’une myriade d’étoiles.
— Bienvenue à la maison ! l’accueille Natacha tout aussi émue qu’elle.
— C’est magnifique ! Merci… Je vous aime.
Anya refoule une larme et embrasse affectueusement sa belle-sœur.
***
Un mois plus tard.
Cinq fois par semaine, Anya se rend à l’hôpital pour ses séances de radiothérapie. Dans la salle de traitement, la jeune femme prend place sur une table spéciale ; au dessus d’elle un gigantesque appareil. Une fois la machine réglée, son bassin et son abdomen sont irradiés pendant une quinzaine de minutes. L’irradiation est destinée à tuer les cellules malignes restantes et selon les recommandations du corps médical, Anya doit rester parfaitement immobile durant le traitement. L’administration des rayons est totalement indolore, elle ne ressent aucune douleur.
Anya subit ce traitement durant un mois et demi, sans jamais se plaindre malgré la fatigue physique et morale qui l’accable séance après séance. Les sourires et les gazouillis d’Ysaline lorsqu’elle rentre à la maison, suffisent à lui faire oublier la maladie pour se concentrer sur la guérison. Cet enfant est une bénédiction dans l’incertitude de sa vie.
Pourtant lorsque les premiers effets secondaires apparaissent, elle est à deux doigts de baisser les bras. Les nausées, les vomissements, les diarrhées l’affaiblissent encore plus. Elle se nourrit par petites quantités et maigrit à vue d’œil. Quand la perte des poils pubiens et les rougeurs apparaissent, elle se sent si laide qu’elle n’ose plus se montrer nue devant Dimitri. Déjà qu’ils ne peuvent pas faire l’amour, toutes relations sexuelles pendant le traitement étant interdites. Elle a l’impression de ne plus remplir son rôle de femme à ses côtés et elle comprendrait qu’il aille voir ailleurs mais c’est sans compter sur son amour inconditionnel. Son mari est véritablement une perle. Son soutien est un atout précieux pour elle.
Certains jours, lorsque l’espoir l’abandonne, lorsque son moral glisse au fond de ses chaussettes, elle se réfugie dans ses bras et déverse toutes les larmes de son corps afin d’évacuer toute cette tension. Elle s’en veut tellement de lui faire subir une telle vie à ses côtés.
Dans ces moments là, Dimitri la berce longuement jusqu’à ce qu’elle se soit calmée, conscient qu’elle a besoin de cette purge cathartique pour aller de l’avant.
— Je suis le plus heureux des hommes, lui répète-t-il. J’ai épousé la plus belle femme du monde. Tu es une battante Anya ! Et tu vas guérir… Je te le promets ! Bientôt nous aurons une maison bien à nous et Ysaline y grandira entourée d’amour. Je t’aime si fort ! Repose-toi maintenant, je vais m’occuper de notre fille.
Affaiblie par le traitement, Anya ne peut plus allaiter ; elle n’a plus assez de lait pour rassasier l’appétit vorace de son enfant. Cet état l’affecte profondément, lui renvoyant en pleine face l’image d’une mauvaise mère bien que Dimitri lui prouve quotidiennement le contraire par des paroles rassurantes. D’ailleurs, il affectionne particulièrement ces petits moments où il donne le biberon à Ysaline et il sait que bientôt, sa femme les affectionnera aussi. C’est Natacha qui l’aide vraiment à surmonter ce déni d’elle qu’elle affiche régulièrement. Elle lui confie qu’elle-même n’avait pas voulu allaiter ses propres enfants mais que ça ne fait pas d’elle une mauvaise mère pour autant, en outre le lien maternel qui unit une mère à ses enfants est tout aussi fort que l’on donne le sein ou le biberon. Après cet aveu, Anya en convient… sa belle-sœur est la meilleure des mères.
Entourée de l’amour des siens, Anya parvient au bout du protocole des séances de radiothérapie. Aujourd’hui est la dernière programmée. Elle va pouvoir souffler, se reposer, se rétablir et profiter comme il se doit de sa fille.
Le Professeur Pietru, présent à chaque séance, est rassurant sur la maladie et le chemin de la guérison. Cependant, le protocole de soins reste en place. C’est la procédure, lui dit-il. La jeune femme doit se rendre à des visites de suivi régulières, avec analyses de laboratoire et examen physique.
— Au début, les visites se feront tous les trois mois puis tous les six mois, lui explique-t-il et si les résultats de vos analyses sont bons, nous nous verrons par la suite tous les ans et ce, pendant six ans. Mais si vous avez le moindre problème ou ressentez la moindre douleur incongrue entre les visites, n’hésitez pas à prendre rendez-vous immédiatement.
— Merci docteur pour tout ce que vous avez fait… Je vais vivre grâce à vous.
Anya en a les yeux pleins de larmes.
— C’est vous qu’il faut remercier… Votre force, votre amour de la vie vous a sauvée. Maintenant, vous allez pouvoir profiter pleinement de votre petite famille. Vous êtes une battante, Anya ! N’oubliez jamais ça !
C’est la première fois qu’il l’appelle par son prénom… La jeune femme ne s’en offusque pas, bien au contraire… Le Professeur Pietru est d’origine roumaine et comme le veut la coutume dans leur pays, c’est une marque de respect au même titre que le tutoiement, symboles que tous les individus sont égaux entre eux… Symbole bien désuet face à la réalité de la politique de sa terre natale où la pratique offre un autre visage de cette belle théorie.
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