Prologue
« Agent numéro trois. Nom de code : Bruissement de feuilles. Rapport. Demande permission afin de détailler la situation.
— Permission accordée. Nous vous écoutons, agent numéro trois.
— La condition de l’Australie est pire que ce que je craignais. Sydney a également été emportée. Je pensais repérer des survivants aux alentours des locaux de la Never Entropy Foundation, mais personne ne semble avoir échappé à cette catastrophe. Les alentours sont tout aussi attaqués qu’à Auckland. Faisons preuve de bon sens ; notre civilisation touche à son terme. Nous avons échoué.
— Attendez ! Il existe peut-être encore un moyen de — . »
L’agent raccrocha au nez de son interlocuteur et lança le téléphone dans la fournaise. Lorsqu’il jeta un œil sur le buisson ardent en train de dévorer son appareil, il soupira de lassitude. Les mots qu’il avait employés ne contenaient rien d’exagéré, bien au contraire. La ville se trouvait dévastée. Elle avait été avalée par un souffle de mort incarné en une fumée noire dans laquelle s’embrassaient pollution et soufre. Un voile obscur recouvrait l’horizon et obstruait la vision de cette personne ; aucune illusion n’était possible. Toute trace de vie ne représentait plus que de l’histoire ancienne. Seule une odeur de combustion persistait au travers de ce paysage dévasté afin d’intoxiquer les espèces qui tentaient de survivre au milieu de ce carnage.
« Me voilà en train d’errer sur les ruines de ce que l’on appelait “la paix”, pensa l’individu avec ironie. Et dire que nous vivions d’air pur et d’eau fraîche, sans imaginer que le spectre de la tyrannie se tenait prêt à égorger nos rêves ainsi que nos espoirs. »
Des larmes coulèrent le long de ses joues. Elles furent rapidement essuyées et renvoyées là d’où elles provenaient. L’agent les réfutait. Il ne pouvait se résoudre à afficher une pareille faiblesse après vingt années de perdition dans ce contexte. Mais au fond, une telle manifestation le réjouissait, car il se sentait encore humain après avoir constaté tant d’atrocités. Cela lui procura une sensation d’aisance qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps.
« Tu étais si belle, Sydney, et tu te retrouves déchirée par le désespoir. Et voilà que tes ruines se consument toujours, comme si le premier jour de la guerre t’avait figée dans le temps… »
Il déambula dans les rues vides d’âmes de la ville australienne. Au fond de cet individu se trouvait peut-être une réminiscence à laquelle il allait pouvoir se raccrocher, mais aucune ne s’était pour le moment révélée suffisamment puissante afin de le tirer des abîmes du silence. L’agent avait perdu espoir. Il venait d’envoyer valser l’organisation à laquelle il avait pourtant prêté allégeance, celle qui représentait son dernier engagement.
Alors il se laissa tomber sur les genoux, et hurla au ciel enténébré les destins tragiques qu’il portait sur ses épaules. Aucune réponse ne lui parvint, ce qui le poussa à accepter la cruelle évidence : celle dans laquelle il fallait vivre, survivre, dans un univers qui remettait en cause tous les fondements mêmes de l’humanité.
« J’implore ton pardon, murmura l’individu d’une voix morte, je tâcherai de ne plus te décevoir. Ceci est une promesse. »
Il passa une main dans sa poche et en sortit un cube violet qui luisait d’un éclat noir, puis il le jeta au sol avec délicatesse. À peine l’objet eut-il heurté le macadam fracturé qu’il se brisa et laissa apparaître à sa place une forme similaire à celle d’un projecteur d’images. Un faisceau délimita les contours d’un rectangle contre les parois d’une bâtisse à moitié détruite et ouvrit un épais rideau de la même couleur que celle du cube.
Ainsi, l’agent numéro trois s’échappa de cette fatalité abjecte, et emporta avec lui tout ce qui donnait encore un sens à ce monde.
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