Histoire vraie d'un voyage au gré du vent
Il était une tempête. Dans la tempête, un arbre. Dans l'arbre, un nid. Dans le nid, un œuf.
La tempête en question n'était pas des plus naturelles. À vrai dire, aucune tempête ne l'est. Pour des raisons qui ne nous concernent pas, l'oiseau et l'oiselle s'irritaient l'un et l'autre. Ils se jetaient leurs œillades noires, leurs cris et leurs coups de bec. Cette atmosphère électrique se doit bien de générer un nuage ou deux.
Elle en forma trois.
Un jour, le regard de travers de trop : un nuage craqua ; et l'œuf, de même. La foudre chuta ; et l'œuf, de même.
Ainsi naquit l'oisillon : déversé sur le monde. Trop tôt, dans la houle de la tempête.
Il avait beau battre des moignons roses et frêles, l'oisillon fut envolé de brise en blizzard ; de borée en bourrasque ; de tourbillon en turbulence. Son petit bec pour seul gouvernail ; le cap en l'air, égaré dans l'orage au désespoir, derrière le voile de chair qui couvrait ses yeux. Ils n'avaient pas encore éclos, eux.
Ballotté par les nimbus des âmes abattues, il volait avec les gouttes de pluie nées de palpitants éplorés ; tombait avec les grêles d'esprits esseulés ; filait avec les éclairs de caractères atrabilaires. Les gifles des vents de cœurs impatients.
Quand ses yeux s'ouvrirent sur son monde mouvant, il n'avait pas une fois foulé le sol. Il n'avait jamais que tourbillonné, et des tornades dansaient dans ses iris. Si on avait pu l'arrêter un seul instant pour regarder ses cyclones jumeaux, on se serait étonné d'y lire une sagesse singulière pour un poussin sans plumes.
Les oiseaux blottis dans leurs nids, cachés sous leurs ailes et réfugiés au creux d'arbres morts se seraient interrogés : ils étaient saufs et lui non. Pourquoi ce calme, alors ? Que savait-il qu'ils ignoraient ?
Mais personne n'aurait pu le lui demander. D'une, il vole-filait trop vite pour qu'aucune créature ne l'atteigne. De deux, il n'était resté nulle part assez longtemps pour apprendre les mots d'oiseaux.
Il ne parlait que le vent.
Mais alors, qu'est-ce qu'il le parlait bien ! Il chantait le mistral, la tempête et le typhon. Il sifflait le foehn, le zéphyr et les rafales. Il connaissait les paroles des dances du ciel et les violentes valses des vents. Dès sa naissance, il avait été le meilleur voltigeur que les nues aient jamais vu.
Et ses arias aériens, que disaient-ils ?
Je parle assez peu le vent, mais accordez-moi d'essayer. Ils disaient que rien ne sert d'attendre le calme après l'orage ; il faut voler avec ou lui succomber.
Et pourtant...
La tempête lui glaçait le sang.
Il n'avait pas encore d'ailes, et pourtant.
Et pourtant, il volait plus vif que le faucon ! Plus haut que le vautour ! Plus gracile que le rossignol !
Il était la griffe du vent. Sa griffe bleuie et rougie. Sa griffe endolorie.
De flux en courant, de souffle en sirocco, ses yeux tornade accrochèrent un jour une forme floue ; mais pas si floue que le reste.
Elle avait des ailes, remarqua l'oisillon sans leur donner ce nom. Deux feuilles flottant sur le vent, le suivant où qu'il veuille les emmener. Et le temps d'un instant, ce là frôla notre poussin.
Il entrevit même le regard sombre-brise et son pouls s'arrêta. Il manqua une vague de vent ; son cœur s'élança vers les cieux et fendit un nuage.
Et alors, un coup de foudre calma son cœur pour toujours.
L'oiseau sans ailes ne vola plus. Ses ciel-ocelles chavirèrent vers le gris univers où–
Comme c'est joli
une embellie.
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