7. Le chauffeur - Liang

11 minutes de lecture

You can be my midnight rider

If there's nowhere to go and you wanna go wild

I wanna be the driver

Tu peux être mon cavalier de minuit

S’il n’y a nulle part où aller et que tu veux te déchainer

Je veux être le chauffeur

Maneskin – The Driver

Dimanche 25 avril 2021

Dernier jour avant la reprise des cours, j’en profite pour trainer au lit. Lorsque je décide de me lever, je trouve Lucas et Xin dans le salon en train de faire un jeu de société. Je leur fais une bise à chacun.

— Vous êtes seuls ?

— Ben, non, tu vois bien, on est deux ! me répond ma petite sœur du tac au tac.

Je passe ma main dans mes cheveux, encore endormi.

— Ce que je voulais dire, c’est qu’il n’y a pas d’adulte avec vous ?

— Ben, y’a toi !

Je soupire, puis me dirige vers la cuisine, il me faut un café. Lucas trottine derrière moi.

— Votre grand-mère est dans le jardin avec ma maman. Et je crois que Mei est chez son amoureux.

— Merci Lucas !

— Et aussi, elles ont dit qu’on les appelle par la fenêtre si on a un problème !

Je lui donne quelques biscuits.

— Je vous entends, crie Xin depuis le salon. Espèce de fayot !

Lucas et moi échangeons un regard complice, il pouffe de rire derrière sa main avant de retourner jouer.

Je me prépare un café et quelques tartines et m’installe dans la cuisine. Je les écoute jouer. Comme à son habitude, Xin change les règles au fil de la partie, et bien entendu toujours à son avantage. Je m’apprête à intervenir, lorsque j’entends Lucas protester. Il se défend, argumente et finit par avoir gain de cause. Je suis impressionné.

Le chat saute sur la table et vient se frotter à ma main pour réclamer des caresses. Il porte un collier de perles. Je me disais bien que tout était trop calme dans cette maison.

— Xin, tu peux venir ?

Elle arrive rapidement, suivie de Lucas.

— Pourquoi est-ce que le chat porte un collier ? lui demandè-je.

— Il est beau hein ? dit-elle en le caressant.

— Ce chat n’est pas une poupée.

— Ben non, je sais, c’est un chat.

— Alors pourquoi tu l’habilles comme une poupée ?

— Il est pas habillé… c’est juste un collier.

Je lève les yeux au ciel.

— Ok, quoi qu’il en soit, tu devrais le remettre à sa place avant le retour de Nainai.

— Comment tu sais ?

— Je sais tout !

Elle râle.

— Mais il est content avec ce collier ! Ça lui va très bien.

— C’est pas la question, ce n’est pas à toi. Ça te ferait plaisir que je prenne tes affaires pour les donner à mes amis ?

— Quels amis ?

La vérité sort de la bouche des enfants.

— Mais… Tu m’as dit que c’était à toi ! s’exclame Lucas.

Xin soupire

— Bah oui, je suis bien obligée d’arranger un peu la vérité, sinon tu fais toujours des histoires pour rien.

— C’est pas bien ! proteste Lucas.

— Tu vois !

Elle soupire de manière exagérée.

— Il a raison, ajoutè-je. Non seulement tu piques les bijoux de Nainai, mais en plus, tu mens à ton ami.

Le petit blond a les bras croisés sur le torse. Xin lui jette un regard gêné.

— Pardon…

Lucas hausse les épaules et retourne dans le salon. Xin me regarde, penaude.

— Allez, donne-moi ce collier, je vais aller le ranger. Et toi tu t’occupes de te faire pardonner par Lucas. Ok ?

— Oui !

Elle fait quelques pas, puis revient vers moi.

— Il était dans sa chambre, en haut. Tu veux que je t’aide pour l’escalier ? demande-t-elle, toute mignonne.

— Ça va aller, je vais faire doucement.

Elle repart, puis revient encore, elle caresse le chat, me fait un bisou, puis disparait enfin.

Une fois mon café terminé, j’entreprends de monter les escaliers. Même en prenant mon temps, c’est toujours assez pénible. Je m’aide de la rampe et surveille chacun de mes mouvements. Arrivé en haut, il me faut quelques instants pour me remettre.

Il est rare que je vienne à l’étage. J’avance dans le couloir, les portes de chambres de Xin et Mei sont ouvertes. J’y jette un œil. À chaque fois, ces chambres me paraissent un peu différentes. Elles grandissent si vite. Je devrais faire l’effort de monter plus souvent les voir. Ça éviterait peut-être aussi qu’elles débarquent sans cesse dans ma chambre. Je reviens quelques pas en arrière et ouvre la porte de la chambre de ma grand-mère. Comme tout le reste de la maison, c’est coloré et rempli de bibelots. Son parfum rassurant flotte dans l’air. Je m’attarde devant une vitrine contenant des petits animaux en verre. Mon préféré a toujours été le petit lapin blanc.

Je m’assois ensuite sur le petit banc en velours rouge qui fait face à sa coiffeuse. En me regardant dans le miroir, je constate que les vacances m’ont fait du bien, j’ai bien meilleure mine. Devant moi : des flacons de parfum, un coffret de maquillage et plusieurs boites à bijoux. Avant de remettre le collier à sa place, je fais passer les perles nacrées entre mes doigts. Elles sont légèrement irrégulières, douces et délicates. Je ferme les yeux.

Juste un instant…

Ma grand-mère apparait, ses cheveux sont longs et lisses, elle est très jeune et déjà très élégante. Elle est accompagnée d’un beau jeune homme : mon grand-père. Je ne l’ai pas connu, mais je l’ai déjà vu en photo. Il lui attache ce collier autour du cou, ils rient. Ils sont magnifiques.

Trop rapidement, le souvenir s’évapore pour laisser la place à un autre. Un petit garçon est assis à ma place, devant cette coiffeuse, mais la pièce est différente. C’est moi, pourtant, je ne m’en souviens pas. On a tellement déménagé que je ne reconnais pas le lieu. J’ai l’air d’avoir le même âge que Xin, et pas de canne. C’était avant l’accident. Probablement un repas de famille, avec mes parents.

Je m’admire fièrement dans le miroir, qui me semble beaucoup plus grand. Je porte un collier de perles autour du cou. Puis je m’affaire à préparer du thé imaginaire dans un service en plastique. Ma grand-mère se tient à côté de moi, souriante, belle et toujours aussi jeune. Elle prend la tasse que je lui tends et fait mine de boire. Elle me remercie. Non, ce n’est pas mon prénom qu’elle prononce, mais celui de mon père.

Le collier m’échappe des mains, tout disparait. Pris d’un léger vertige, je m’accroche à la coiffeuse pour ne pas basculer. Mon cœur se serre.

Après avoir galéré à récupérer le collier tombé derrière la coiffeuse, je redescends et m’installe dans le salon avec les petits. La mélancolie m’envahit. Je sais que si je retourne maintenant dans ma chambre, ça sera pire. Le beau souvenir a disparu, il ne reste plus que la tristesse, celle de ma grand-mère et la mienne.

— T’avais laissé ton téléphone dans la cuisine ! me dit Xin en me le tendant.

— T’as pas joué avec sans ma permission ?

— Non j’y ai pas touché ! Je connais pas le nouveau mot de passe…

Je ricane.

— Comment sais-tu que j’ai changé le mot de passe ?

— Mince, râle-t-elle. Je me suis encore fait avoir !

J’attends que ma petite sœur s’éloigne pour déverrouiller le téléphone et consulte mes messages.

Axel : Oublie pas, demain matin, je passe te prendre !

Axel : en tout bien tout honneur

Liang : ??

Liang : non, je ne risque pas d’oublier

Il a un don pour me redonner le sourire pile au moment où j’en ai besoin.

***

Lundi 26 avril 2021

En sortant de la maison, je repère aussitôt Axel. Adossé à une voiture, ses lunettes de soleil sur le front. On se fait la bise, puis il m’ouvre la portière arrière.

— Euh… tu veux que je monte derrière ? Tu prends ton rôle de chauffeur très au sérieux, mais…

— Ouais je sais, j’ai oublié la casquette ! Désolé !

Il éclate de rire. Je m’installe à l’avant, attache ma ceinture et constate qu’Axel m’observe.

— Tiens, me dit-il en me tendant un sachet en tissu.

— C’est quoi ?

Il me lance un sourire malicieux, puis démarre la voiture. Je tâte le sac et sens une forme dure et phallique, accompagnée de boules.

— Je me suis dit que toi, tu pourrais vraiment entendre la mer.

— La mer ? repétè-je sans comprendre.

J’ouvre le sac et y découvre des galets et des coquillages. J’attrape le cailloux à la forme allongée.

— C’est mon préféré, s’exclame Axel tout enthousiaste.

— Toi, concentre-toi sur la route, le taquinè-je.

La pierre est froide, je la prends entre mes deux mains et ferme les yeux. Une odeur iodée vient immédiatement chatouiller mes narines, le cri d’une mouette, puis les vagues qui s’éclatent sur les rochers. Le soleil sur ma peau, le sable humide sous mes pieds. Mes jambes qui courent sur la plage et une incroyable sensation de liberté.

— Liang ? Ça va ?

Axel me regarde, inquiet.

— … t’avais l’air ailleurs.

— Oui, dis-je en riant. J’ai vu ta plage !

— Là ?! Déjà, t’as fait ton truc ? Ça marche alors ?

— Merci, dis-je ému. On ne m’avait jamais fait un tel cadeau. C’est… adorable.

— Ouais je sais, c’est un de mes nombreux surnoms !

Je range précieusement ce trésor dans mon sac.

— Rassure-toi, j’ai fait bien attention de me laver les mains avant de toucher les objets.

— Pourquoi ? lui demandè-je intrigué.

— Y’a des trucs que je fais avec mes mains que tu n’aurais pas envie de voir !

J’éclate de rire.

— Ce n’est pas avec du savon qu’on efface les souvenirs ! Mais tu n’aurais jamais dû me dire ça, maintenant j’ai des images en tête.

— Désolé, dit-il avec son air mutin.

— Je n’en crois pas un mot !

— J’adore raconter des connerie, c’est plus fort que moi, explique-t-il en riant. Ta sœur t’avait pas prévenu ?

Je n’ai pas dit à Mei que je voyais Axel. Je n’ai pas vraiment de raison de lui cacher. Mais je sais aussi que ça va engendrer toute une série de questions.

***

Mardi 27 avril 2021

Ça n’a pas été long. Le lendemain matin, avant même d’avoir pris mon café, j’ai droit à un interrogatoire en bonne et due forme.

— Mais pourquoi tu ne prends pas la voiture ? me demande Mei. Comment tu vas faire ? Tu prends le train ? Le bus ? Tu veux que je t’accompagne ?

Je sais qu’elle s’inquiète et que ces questions partent d’une bonne intention, mais parfois, elle me fatigue.

— Et toi pourquoi tu es déjà debout alors que tu as encore une semaine de vacances ? Tu devrais en profiter.

— Je voulais déjeuner avec toi… que tu ne sois pas tout seul ce matin. Je vais me recoucher après.

Elle me tend un mug de café au lait, accompagné de deux sucres, exactement comme je l’aime. Je dépose un baiser sur son front.

— Merci, c’est très gentil.

Elle ne dit plus rien, mais continue de m’observer, je suis déjà en train de culpabiliser. Je sais que je vais devoir lui répondre.

— Je ne prends pas la voiture, car j’ai un ami qui m’emmène.

— Un ami ? Quel ami ?

Cette conversation a comme un air de déjà-vu.

— C’est Axel.

Elle bugge.

— Le Axel de Tristan ?

— Je ne savais pas qu’il lui appartenait… le Axel que tu connais.

— Mais pourquoi ?

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi est-ce qu’il t’emmène à la fac ?

— Il étudie aussi là-bas. On s’est croisé et il a gentiment proposé qu’on fasse les trajets ensemble.

Le regard dans le vide, Mei se tapote la lèvre de l’index.

— C’est très bizarre, dit-elle.

Quinze minutes plus tard, lorsque je sors de la maison, elle m’accompagne, en pyjama, jusqu’à la voiture d’Axel.

— Je ne sais pas ce qui se passe, mais je trouve ça louche !

Axel lui fait signe d’approcher.

— Je peux te le dire, mais surtout ne le répète à personne. Sinon, tu seras toi aussi en danger.

Mei fronce les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? murmure-t-elle tout en surveillant les environs.

— Liang et moi sommes en mission secrète.

Elle se tourne vers moi et je ne peux me retenir de rire.

— Vous êtes vraiment des têtes d’œuf !

— Mei… va te recoucher, lui dis-je. Je ne sais pas ce que tu es en train d’imaginer. Mais on va juste à la fac. Rien d’autre !

Elle grimace, jette un regard méfiant à Axel, m’embrasse, puis retourne à la maison.

— Désolé pour ma sœur, dis-je à Axel en montant dans la voiture. Des fois, elle est dure à suivre.

— Oh j’ai l’habitude, je commence à la connaitre. Elle est marrante, mais souvent à son insu !

— C’est pas très gentil, ricanè-je, mais assez juste.

— Mes discussions avec ta sœur sont souvent lunaires, elle prend tout au premier degré.

— Alors que toi, tu as un don pour mettre des doubles sens partout.

— C’est pas un don, c’est un art, je m’entraine beaucoup ! Mais merci de l’avoir remarqué, j’en suis fier. Du coup, pour ta sœur, tu vois le problème. On a toujours beaucoup de mal à se comprendre.

— Vous vous êtes rencontrés comment ? demandè-je.

— On se partage Tristan !

Comme souvent sa réponse me prend au dépourvu et me fait rire. Il est vraiment unique.

***

Vendredi 30 avril 2021

À la fin du cours de probabilité, la prof vient me féliciter pour le travail que j’ai rendu. Je commence à trouver mon rythme et me sens beaucoup plus serein.

Toute la semaine, Axel a joué le chauffeur. C’était vraiment plaisant, de se faire conduire, mais surtout d’avoir sa compagnie. Sa présence me fait du bien et m’évite de me focaliser sur mes problèmes.

En sortant de la salle, Flavie m’interpelle.

— Tu viens déjeuner avec nous ?

— C’est gentil, mais j’ai déjà prévu de retrouver un ami.

Elle remet une mèche de ses longs cheveux blonds derrière son oreille, et me sourit.

— Et demain soir ? Tu es dispo ?

— Euh…

— Je te laisse réfléchir ! On en reparle tout à l’heure !

Elle s’en va rejoindre Marco et Abinaya au bout du couloir. Je reste planté là comme un idiot à me demander si elle est en train de me draguer ou si je me fais des films.

Je rejoins notre banc et y attends Axel. Lorsqu’il arrive, nous partageons les sandwichs que j’ai préparés et je lui raconte mon échange avec Flavie.

— C’est la jolie blonde que j’ai croisée hier ? Elle a l’air cool !

— Elle est très sympa, mais je ne sais pas ce qu’elle me veut !

— Si tu as besoin d’un dessin, demande à ta sœur !

On éclate de rire.

— Non, mais je suis sérieux, protestè-je. Je suis pas sûr du tout que ça soit un rencard. C’est peut-être une soirée, avec les autres… J’ai pas plus d’infos.

— Tu n’as pas senti si elle te draguait ?

— C’est bien le problème, j’en sais rien !

— Elle te plait ?

Je réalise que je ne me suis pas vraiment posé la question. J’étais trop préoccupé à me demander ce qu’elle peut bien me trouver.

— Tu réfléchis beaucoup trop à cette réponse ! s’exclame Axel. De manière générale, tu te prends beaucoup trop la tête ! Pense un peu à t’amuser !

— Je sais pas, je risquerais d’y prendre gout. Et imagine après, si je deviens comme toi !

Nous échangeons un petit regard complice qui nous fait rire.

— C’est le problème du plaisir, quand on y goute. Pour Flavie, tu devrais lui dire oui, au moins tu seras fixé.

— Peut-être… Tu veux m’accompagner ?

Axel se marre de nouveau.

— À ton rencard ? Tu veux que je protège ta vertu ?

— Chauffeur et garde du corps !

On se met à rire.

— Ça aurait été avec plaisir ! Mais je peux pas, je passe la soirée avec Tristan.

Annotations

Vous aimez lire Ladaline ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0