9. Sombre et froid - Axel

12 minutes de lecture



I sing that lullaby you taught me

Monster, monster under my bed

Come out and play 'cause I need a friend

You're so damn close that I feel your breath

Je chante cette berceuse que tu m’as apprise

Monstre, monstre sous mon lit

Sors et joue parce que j’ai besoin d’un ami

Tu es si proche que je sens ton souffle

Call Me Karizma - Monster (Under My Bed)

Samedi 8 mai 2021

Ce matin, j’ai donné un coup de main à Tristan et à ses mamans. On a descendu tout un tas de cartons à la cave. Je n’ai pas trop posé de questions, mais je suppose qu’il s’agit d’affaires de sa sœur Mara, décédée il y a quelques mois.

En faisant du rangement dans la cave, Tristan a trouvé une vieille console de jeu qu’on a remontée et branchée. Vautrés dans le canapé du salon, on y joue, tout en papotant et en grignotant des biscuits. Je suis content de pouvoir passer du temps avec lui. On se voit peu en ce moment, il est plongé dans les révisions du bac. Il va mieux, j’en suis heureux, mais du coup, il a moins besoin de moi.

Depuis le drame, j’ai encore du mal à venir ici, chez eux. D’ailleurs la plupart du temps, on se voit chez moi, car Tristan, lui aussi, fuit son appartement. Je sens trop l’absence de sa sœur, à moins que ça ne soit sa présence. À chaque fois que je passe devant la porte de sa chambre, j’en ai des frissons. Je prends sur moi afin que Tristan ne s’en rende pas compte. Et surtout, j’essaye de me raisonner, elle n’est plus là. Elle ne peut plus nous faire du mal.

Je me laisse glisser dans le dos de Tristan et entoure sa taille pour l’attirer contre moi.

— Hey, ça c’est pas loyal ! proteste-t-il.

— Tous les coups sont bons pour gagner !

— Ah oui ?

Il me lance un regard de défi, pose la manette de jeu, puis se jette sur moi. Ce fourbe se met à me chatouiller ! Il connait trop bien mes points faibles. Je me tords de rire. Alors que je reprends ma respiration, il consulte son téléphone.

— Pour ce soir, je retrouve les autres, tu viens avec nous ? me propose-t-il.

— Vous allez faire quoi ?

— Chiller chez Mei.

— Ok ! affirmè-je, enthousiaste à l’idée de voir Liang.

J’espère qu’il sera là.


***


En franchissant le portail, j’ai toujours cette impression d’entrer dans un autre monde, un lieu à part, échappé d’un conte. Le jardin des Wang est envahi de plantes et de fleurs de toutes les couleurs. Je m’arrête pour sentir des fleurs roses en forme de cœur, elles dégagent une douce odeur de miel. Je prends quelques photos que j’envoie à mes grands-parents, je sais qu’ils vont adorer. Puis je rejoins Tristan à l’intérieur, la déco y est tout aussi incroyable. Il y a des plantes partout, y compris sur les murs et des babioles insolites en tous genres. Mon regard s’attarde sur un rideau de perles qui reflète la lumière. C’est joyeusement kitsch !

Les amis de Tristan sont déjà là. Même si je les vois souvent et que je les apprécie, je ne me considère pas comme faisant partie de la bande. Je suis plutôt un genre de Guest Star et ça me convient très bien.

Tristan est déjà en train de discuter avec les deux que je connais le moins : l’étrange Valentin et la discrète Capucine. De l’autre côté de la pièce, Hicham et Ambre se chamaillent. Ils se sont bien trouvés ces deux-là. Quand je pense qu’il y a quelques mois, cette rebelle au grand cœur clamait que l’amour n’était pas pour elle et que les mecs ne l’intéressaient pas. Ils sont tellement beaux ensemble, que j’ai même pas envie de la taquiner. Rien qu’à les regarder, on sent la complicité. C’est comme ça que j’imagine le couple parfait : complémentaire, complice et diablement sexy.

Dans mon tableau personnel de joli couple, c’est Tristan qui était à mes côtés. J’ai toujours pensé que c’était lui et que tous les autres mecs, même les plus beaux n’étaient là qu’en attendant. Mais ça n’a pas marché, j’ai été nul comme petit-ami. Et maintenant, je suis un peu paumé sur ce dont j’ai envie.

Ambre vient à ma rencontre. Je la serre tendrement dans mes bras et lui fais la bise. Elle porte une robe noire fendue qui laisse voir des bas résille violets.

— T’es toujours aussi sexy, soufflè-je à son oreille.

— Toi aussi, chaton, me répond-elle amusée. Enfin… ça, c’était avant que je lise ce qui est écrit sur ton T-shirt !

— T’aimes pas ?

— Je suce, mais pas mon pouce, lit-elle à haute voix. Non c’est vulgaire ! Et même pas amusant. Sérieux, t’as pas besoin de ça pour attirer l’attention.

— Moi, ça me fait marrer, dis-je en ricanant. Et encore, t’as pas vu mon caleçon !

— Fais voir, demande-t-elle, intriguée.

Je déboutonne mon jean pour dévoiler un motif de sucettes, aux couleurs acidulées. Elle éclate de rire.

— Ça va, c’est mignon et rigolo ! Et puis tout le monde ne le voit pas.

Hicham nous rejoint et me claque la bise, absolument pas perturbé par le fait que j’ai le pantalon sur les chevilles à côté de sa copine.

— Il est cool ton boxer, tu l’as acheté où ? demande-t-il.

— Si tu mets ça… commence Ambre.

— Tu me l’enlèveras encore plus rapidement ? C’est possible ça ?

On éclate tous de rire.

— Qu’est-ce que tu fais ? me demande Mei, paniquée.

— Je me mets à l’aise pour la soirée mousse…

Hicham ricane et, à son tour, déboutonne son pantalon. Malheureusement, je n’ai pas le temps de profiter du spectacle, que Mei se met à crier.

— Ça va pas bien dans vos têtes d’œuf ? Où est-ce que vous voyez de la mousse ? Vous avez confondu avec vos cervelles ramollies !

— Mei, ils te font marcher, intervient Ambre. Rhabillez-vous, bande d’idiots !

Toutes deux nous jettent des regards noirs. Hicham se dépêche de remettre son pantalon et je fais de même, tout en riant doucement.

— Ton frère est là ? demandè-je à Mei.

— Liang ?

— Oui, à moins que tu en aies un autre aussi canon à me présenter.

— Non, je n’ai qu’un seul frère.

— Et donc ? Il est là ?

— Oui, pourquoi ?

— Juste pour savoir.

Mais elle n’est pas dupe et me surveille. Je dois attendre qu’elle relâche son attention pour leur fausser compagnie. D’après ce que Liang m’a expliqué, il occupe la seule chambre du rez-de-chaussée, ça ne devrait pas être bien compliqué. Après avoir trouvé la cuisine, un placard et les toilettes, je toque à la dernière porte et entends un « entre ».

À l’exception de l’écran du PC, la chambre est plongée dans le noir, mes yeux mettent quelques instants à s’habituer. Installé dans un large fauteuil de bureau, Liang me tourne le dos, le casque sur les oreilles. Ses mains s’affairent sur le clavier et la souris, il est concentré sur son jeu. Un grand lit recouvert de coussins occupe un des angles de la pièce. Tout a l’air bien rangé, et contrairement à ma chambre, rien ne traine au sol.

— Attends Mei, dit-il, je finis ça !

— C’est pas Mei.

Il se retourne et m’offre un large sourire.

— Axel ?

— Oui, visite surprise ! Mais t’as l’air occupé, je peux repasser !

— Non non, c’est cool. Je ne savais pas que tu venais.

— C’est tout le principe de la surprise ! Tristan m’a proposé de l’accompagner à la petite sauterie organisée par ta sœur. Donc, voilà…

— C’est cool ! Ça me fait plaisir de te voir !

— Je crois que tu te fais attaquer, dis-je en pointant l’écran.

— Oh merde… attends.

Il pivote de nouveau vers son écran et reprend les choses en main. J’observe son avatar. Un grand mec, hyper musclé à la peau bleue.

— Il est canon ! Et ce petit cul…

— Oui, je sais ce que tu vas dire… rien à voir avec moi… et oui, peut-être que je cherche à compenser.

— Euh… c’est pas à ça que je pensais. Je le trouve juste cool et sexy !

Il termine son combat, écrit quelques phrases dans un chat, puis il quitte le jeu. Il se lève ensuite pour ouvrir les rideaux. La pièce est tout à coup inondée de lumière. Sur le mur, est accroché un panneau avec des photos de ses sœurs, de sa grand-mère et quelques-unes de lui.

— Voilà, annonce-t-il. Je suis à toi !

— Attention, tu prends des risques. C’est exactement le genre de phrase qu’il ne faut jamais me dire !

Nous rions. Je continue d’observer sa chambre. Je remarque une peluche qui trône sur son bureau, à côté de son écran. Un lapin blanc avec une veste chinoise rouge et un chapeau.

— Trop mignon ce lapinou !

— C’est un cadeau de mes sœurs, c’est mon signe astrologique chinois.

— J’ai aucune idée de ce que je suis, mais j’adore les lapins ! dis-je avec un sourire en coin. Tu sais pourquoi ?

— Parce qu’ils ont la queue toute douce ? répond-il du tac au tac.

J’éclate de rire.

— J’avais une blague avec les carottes, mais je préfère la tienne !

Liang rit à son tour.

— Tu n’as pas le monopole de la connerie.

Je caresse le petit lapin qui est effectivement très doux, puis tique sur un stylo que je reconnais.

— Tiens, toi aussi tu vas à cette pizzeria ?

Il se passe la langue sur les lèvres et semble hésiter un instant, avant d’annoncer.

— Non c’est le tien, je l’ai gardé.

— Attends… tu m’as collecté ?

— Collecté ?

— Tu sais ! Ton truc là pour voir ce que l’objet a traversé.

— Hum… oui, c’est possible, répond-il avec un petit air mystérieux.

— Han ! Et qu’est-ce que tu as vu ?

— Que je n’étais pas le seul mec à qui tu demandais le numéro de tél.

J’éclate à nouveau de rire.

— Et t’avais besoin de ton pouvoir pour découvrir ça ? C’est gâché !

— Qu’est-ce que vous faites ? demande Mei qui vient de débarquer dans la chambre.

Son attention est fixée sur moi et son regard soupçonneux. J’ai l’impression d’être un gamin qui a fait une connerie. Du coup, je me prête au jeu.

— On allait soigner une migraine, tu veux nous aider ?

Mei regarde son frère, interloqué.

— Là, surtout faut dire non, explique-t-il tranquillement.

— Pourquoi ?

— Je t’assure que tu veux pas savoir…

Il la raccompagne vers la porte de sa chambre.

— On vous rejoint dans quelques minutes, dit-il.

— S’il te parle de soirée mousse, ne l’écoute pas ! C’est un pet de chien !

Une fois la porte fermée, Liang me jette un regard amusé.

— Tout est parti d’une histoire de caleçon sucettes, expliquè-je.

— Moi non plus, je ne suis pas sûr de vouloir savoir ! Désolé pour ma sœur.

— Non, mais c’est plutôt drôle. Quelque part, je me sens super puissant. Ta sœur et Tristan ont l’air d’imaginer que j’ai une influence magique sur toi et que je peux te rendre gay.

Il se passe la langue sur les lèvres.

— Qui a dit que j’étais hétéro ?

— Liang, déconne pas avec ça ! J’ai pas envie qu’ils me fassent la peau ! Je tiens à ma vie !


***


Vendredi 14 mai 2021

Les cours sont toujours aussi chiants, mais la compagnie de Liang me motive à aller à la fac. Pour les trajets, nous respectons le planning qu’il a mis en place. Malgré nos différences, nous nous entendons très bien et nous rions beaucoup.

Ce matin, nous sommes partis plus tôt pour éviter les embouteillages, du coup, on arrive sur le campus bien en avance.

— Je vais passer au local d’Arc-en-ciel. Tu veux que je te dépose avant ou tu m’accompagnes ?

— Je viens avec toi ! répond-il.

Le local se trouve dans un vieux bâtiment un peu à l’écart. Je me gare juste devant.

— Je pense qu’il est trop tôt, dis-je, doit y avoir personne.

— Pourtant la porte est entrebâillée, fait remarquer Liang.

J’attrape le carton dans le coffre et rejoins Liang devant l’entrée. Lorsqu’il pose sa main sur la poignée, je le vois chanceler, sa canne tombe sur le sol. Je lâche aussitôt le carton et me précipite pour le rattraper. Il a les yeux grands ouverts, mais ne semble pas me voir.

— Liang ? Ça va ? demandè-je en le relevant.

Il s’accroche à moi pour se remettre sur pieds.

— Oui… désolé.

Il regarde tout autour de lui, alerte. Je frémis en comprenant.

— Tu as vu quelque chose… murmurè-je.

— Je n’ai pas vu, mais oui, j’ai senti… quelque chose qui ne devrait pas être là.

— Ahh non, on avait dit plus de trucs chelous !

— Je fais partie des trucs chelous, rétorque Liang.

— Nan, mais toi, t’es mystique-mignon ! On te garde.

Je me penche pour ramasser sa canne. Un peu plus loin, les préservatifs, digues dentaires et sachets de lubrifiants, qui étaient dans le carton, sont répandus sur le sol.

— Tout ça juste pour toi ? demande-t-il amusé.

J’éclate de rire.

— Ouais, j’ai eu les yeux plus gros que le ventre ! C’est pour ça que je ramène le surplus.

Je remets tout dans le carton. Puis mon regard fait des allers-retours entre Liang et la porte.

— Qu’est-ce que c’était ? Si c’est une licorne à paillettes, c’est normal, c’est un nid ici.

— Non… c’était sombre et froid, comme les ombres.

Ces mots éveillent d’horribles souvenirs[1].

— Je vais juste glisser le carton à l’intérieur, et repartir, ni vu ni connu, proposè-je.

Je m’exécute, en essayant de ne pas laisser la peur m’envahir, puis je retourne vers la voiture. Mais Liang reste planté devant le bâtiment à l’observer. Son attitude me rappelle celle de Mei.

— Ok, j’ai compris, dis-je en poussant un long soupir. On va aller voir…

Je reviens à ses côtés.

— … mais je te préviens, on ne se sépare pas !

— Ok, répond-il d’un air absent.

— Tu sens autre chose ?

Il se tourne enfin vers moi pour me regarder.

— Non, je crois que ça a disparu.

Je prends mon courage à deux mains et ouvre complètement la porte.

— Y’a quelqu’un ? demandè-je d’une voix forte.

L’intérieur est plongé dans le noir, j’actionne aussitôt l’interrupteur. Les vieux néons s’allument les uns après les autres dans un grésillement qui est à peine plus rassurant que l’obscurité. Des prospectus sont étalés sur le sol, le présentoir a été renversé. Liang est juste derrière moi.

— La pièce au fond, murmure-t-il.

— Bien sûr, faut qu’on traverse tout le couloir, râlè-je. Pourquoi c’est jamais la première porte ?

J’avance prudemment jusqu’à cette pièce que je ne connais pas et passe ma tête. Liang pose sa main sur mon épaule. Petit à petit, je distingue des chaussures au sol, puis des pieds qui dépassent d’un canapé.

— Qui est là ? demandè-je.

Liang s’approche, je le suis. Quelqu’un est allongé sur le canapé, recroquevillé. Il bouge très légèrement.

— Il respire, dis-je soulagé.

Je reconnais alors le visage de Damasio. Sa peau est très pâle. Je me précipite sur lui.

— Damasio ?

Je secoue son épaule plusieurs fois avant qu’il réagisse. Il pousse un petit cri de surprise en ouvrant les yeux et se replie en position assise sur le bord du canapé.

— Euh… tu vas bien ? demandè-je

Il regarde tout autour de lui, l’air perdu, puis se passe la main sur le visage.

— Ouais… ça va.

Il essaye de se lever, mais chancèle. Je le rattrape.

— Décidément, vous voulez tous me tomber dans les bras ce matin, dis-je pour essayer de détendre l’atmosphère.

— Qu’est-ce que je fais là ? demande-t-il.

— C’est ce que j’allais te demander. Je crois que tu dormais…

Il plisse légèrement les yeux et se gratte la tête.

— Je crois que j’ai besoin d’un doliprane…

— Si tu as abusé de l’alcool, vaut mieux éviter, expliquè-je. Je te conseille plutôt de l’eau et de la tisane pour t’hydrater.

Damasio grimace de nouveau et continue d’observer tout ce qui l’entoure.

— Comment tu te sens ? demandè-je. Tu veux qu’on appelle quelqu’un ?

— Ouais, ça va… je crois que j’ai dû trop faire la fête et venir dormir ici.

Il ramasse ses affaires, remet les coussins du canapé en place. On entend des voix dans le couloir.

— Les autres arrivent. Ne dites rien, nous demande Damasio.

Je ramasse un foulard qui était au sol et lui tend.

— C’est pas à moi, dit-il en le reposant sur le canapé.

Pourtant je suis persuadé de l’avoir vu le tenir en main quand il dormait.

Damasio s’éloigne. Liang et moi restons sur place, je l’interroge du regard. Il hausse les épaules, puis ramasse le foulard qu’il glisse dans sa poche.

— Ok c’est bizarre, dis-je tout bas. Qu’est-ce qui s’est passé ici ? Genre il s’est transformé en loup-garou, il s’est réfugié ici… et il s’en souvient pas.

— Pourquoi le loup-garou ?

— Je sais pas, c’est le premier truc qui m’est venu en tête… Et parce qu’il est sexy !

— J’adore ta logique, me dit Liang.

— Tu crois que c’est possible qu’il soit un monstre et qu’il ne le sache pas.

— C’est possible oui…

Il a l’air préoccupé.

— … mais les ombres ne venaient pas de Damasio. Il y avait quelqu’un d’autre avec lui.


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[1] Cela fait référence à ce qui se passe dans la saga « Des ados, de l’amour et des monstres », je n’en dirai pas plus ici pour ne pas spoiler.

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