La Thrène d’Abrskil d’Ialbuzi, le Fléau du Ciel
Ces vers, dédiés aux chants des anges et leurs couleurs tombant des cieux,
Inspirés par la splendeur des astres dont est faite Cité de Dieu,
Initiés par le Saint-Esprit et Luka à votre servant pieux ;
Je les écris pour qu’éternelle soit la mémoire de nos aïeux.
Ces vers, dédiés au trés grand, trés juste Bagrat de Sakartvélie,
Rapporteront aux peuples éprouvés ; d’Abkhazie en Albanie,
De Karthlie en Klarjétie ; le règne d’ivresse, de liesse, d’euphorie
Qui nous attend, lès notre roi, fondateur de notre uni pays.
Ce fut sous ciel d’estelles serti qu’âme pénitente foula pavés.
Elle vogua, le cœur vague, le ventre creux ; les poings et pieds déferrés ;
Fuyant les malheurs d’Arménie, son impie tyran meurtrier,
Loin de sa tendre Cappadoce, prés de l’éminent Caucase nacré.
« Mon Seigneur miséricordieux, je suis recluse, rompue, perdue.
Trente de mes sœurs, pleines de foi, sans infidélité, se sont tues
Sous le fouet et le fer de l’Infame Tiridate de colère mu.
Garde-moi, guide-moi, galvanise-moi ; que Ton Nom porte encore un but ! »
Dans l’azur, brille l’auréole d'or d’une Vierge ambrée des champs de blé ;
Entourée de kyrielles myriades de magnifiques ministres sacrés ;
« Nous entendons tes plaintes et pleurs indues, pauvre enfant égarée,
Lève-toi, et porte nos mots jusqu’au plus haut pinacle sous l’empyrée »
Au sein de la nuit noire, inane, les messagers sombrent en silence
Mais lèvent partant le voile qui couvre l’horizon des magnificences ;
Lors soleil d’or se fit à l’Est, bel astre rubescent en puissance.
Dévote voussa face à l’Étoile du berger, fanal des errances !
Elle noya le ciel de mercis, le sol de sel, et reprit marche,
Battant les dalles dépassées, sans marquer moindre arrêt, jusqu’aux arches
D’un bourg présomptueux et païen, postichant en chimères Kerkersh,
Infâmante Cité, désirée des feus idolâtres patriarches !
Les gentils logeant en ce village éloigné lors l’haranguèrent :
« Le peuple d’Urbnisi souhaite savoir comment les tiens te nommèrent
Avant que ton périple te mène à nos montagnes, sous des astres la lumière !
— Je suis Nino, fuyant tourment, et suivant les signes de notre Père. »
Perplexe intendant, ignorant les cithares et cymbales célestes,
Se courrouça paroles pesantes : « Je ne connais pour seigneur leste
Que le trés grand Armazi, et pour seigneur-lige Mirian des gestes
Que soufflent les rhapsodes d’Asie. Qui que soit ton père, il n’est qu’inceste ! »
Indignée, la chaste fille de Dieu, érigea sa pénitente croix.
« Hommes libres d’Ibérie, si vos cœurs et âmes doutent et défient ma foi,
Veillez donc ce bois testament, et voyez prier grâce votre roi ! »
Dés lors elle reprit la route ; mains vide, cœur plein ; vers la grande Mtskheta.
Il fallut trois jours et trois nuits pour atteindre royale capitale ;
Et trois nuits et trois jours pour que se révèle magistrat cordial.
On assura seigneur courtois, mais sourd à son souhait cardinal ;
Seule Nana, douce souveraine souffrante, quêta l’apostole marginale.
Entourée de ses servantes, la beauté affligée par les maux,
Implora miracle dont on croit saints doués ; et favoris féaux.
Prés pareil preuve de confiance, en acte de foi prit pitié Nino,
Et soulagea céans sa maîtresse, et sœur devant le Trés Haut.
La Reine, libérée du faix de la géhenne, souffla suggestion :
Si Roi est sourd à toute supplique, quémande néanmoins protection
Dans sa lutte contre la Colchide, et sa magie acquise des démons.
Nino se retira de la couche réale, et jura onction.
« En Son Nom, je terrasserai votre ennemi, ses soldats, ses alliés ;
Et vous reconnaîtrez lors sa Vérité, et son Règne plénier ! »
On voulut de grand cœur lui confier fer, bronze et fort destrier,
Mais refusa, car courage était son arme, foi son bouclier.
Ains tant était la valeur de son âme, tant étaient les périls
Dormant dans l’ombre des montagnes, ces muses amères d’innocents idylles.
Passèrent Lune et Soleil derrière les trois sommets d’argent stériles
Émergeant du noir, Tetri Giorgi, son lointain parent viril,
S’en vint fier tenant lance rutilante, et rugissante oriflamme
Et clama, tonnant orage, fracassante averse, sous le cinname :
« Saisis ces sarments, noues-y tes cheveux, et croix de vigne réclame !
Qu’elle s’abreuve du vin des ennemis, car de Dieu tu es le visdame !
Trait tranchant, gravis l’Ialbuzi, et abats-y l’infâme Titan
Que son empire sur la voûte, ses stigmates, trouve enfin dénouement ! »
Si dit, les sept astres errants tracèrent trajet jusqu’au couronnement,
Et passa Bénite Nino, sans affre ni vertige, sente-ci saillant.
Marsi, prés de Vénéra, vinrent les primes la soldate exhorter ;
Mzey, héraut solaire de Ghmerti le Père, suivit pour professer
« Au bout de ce chemin se terre Abrskil, menteur héritier
De Feu-Tamar, qui fit de Vénéra, ma sœur, son enchaînée.
Grande est sa puissance ; il défie Dieu, agonit en figeant stelles,
Mais ta croix consumera son cœur et s’imposera principe mortel,
Car nul ne peut nier l’Empire Astral, de Tartare jusqu’Empyrée. »
Ils s’éloignèrent ainsi, laissant à Sainte Nino pour seule tutelle
Chemin nivéen ; entre défilés adamans et faîtes fusains.
Sur le toit du monde, perpétuel horizon se fit olympien,
Une mer de dents de pierre, soutenant les cieux, de leur grandeur témoins,
Et au creux d’icelle paume pétrée, bras hissées, un homme cyclopien.
Fait de l’étoffe d’effroi, regard furieux, vociférante chimère,
Il tente de louvoyer digne dévote : « Toi qui suis maîtres vipères
Retiens ton ire injuste, et écoute les paroles cornues d’un hère.
J’éprouve poids de la voûte, la stupeur et fureur des luminaires
Pour qu’éclate, fleurisse à jamais le feu vrai de l’humanité !
— Toi félon ! Qui crois porter bienfaits, mais fomentes avec sorciers ;
Toi vaurien ! Se croit souverain, mais en serpent ne peut que ramper ;
Épigone, en tentant futile révolte, Lucifer tu te fais ! »
Nino la coruscante, coupa court aux inanes prédications ;
Saisissant sceptre croisé, de cheveux noués, perça siège des passions,
Lors sang ruissela, étanchant soif du sol, du ciel l’anticipation.
Zmey émergea, dentelant dômes et pics, répit plein de compassion,
Et dans les nues noires, mille ocelles criblèrent, constellèrent et dansèrent ;
Comme autant de pinceaux et couteaux, vinrent peindre écharper l’éther,
Pour en tisser faste étoffes des vastes mondes, et toges opaques s’en faire,
Emblant les Parques, et pavant destin de Nino, sage jubilaire.
À l’orée des massifs, et l’aube du jour nouveau, elle s’éveilla
Consciente de la grâce claire l’habitant, de son devoir et sa voie.
Conquérante missionnaire, la capitale des Ibères elle gagna,
Et de nouveau, roi, reine, ost et cour entière aussitôt manda.
« Oyez, et suppliez seul Dieu sincère, car défait est l’ennemi,
Ses armées décapitées, recoquillées sans moindre sorcellerie. »
Reine Nana en fiance, sussura au Roi Mirian confiance réjouie,
Ainsi l’on eut béni épées, écailles et couronne d’Ibérie,
Foi, force et fierté guidèrent monarques glorieux et augustes jusqu’ores ;
Et de l’œuvre de Davit le Curopalate, connu chaste mentor,
Et son hoir Bagrat l’Unificateur, hardi autocrator,
Naissent paix prospères, de saphir les cimes, de vert l’aval, et champs d’or.
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