La Fleur de Cassilda
Loin au-delà des pluies des Hyades, et leurs montagnes incanes, il y avait un juste et vérace royaume.
Pays d’un père aimant son enfante plus que tous les diamants éthernels.
Un souverain prêt à tous les sacrifices pour faire briller son sourire et soleil d’or.
N’avait-il pas rêvé éveillé, dans le secret d’un parapet masqué par la sorgue, de détacher chacune des perles immortelles pour en habiller les yeux innocents ?
Le grand seigneur s’en était fait raison d’être, ressort absolu.
Ainsi quitta-t-il sa capitale aux périboles opales, sa foule au souffle vain ; sa fille vierge de velléité.
Ainsi enjamba-t-il montagnes colossales et mers abyssales, s’enfonçant dans le noir de la nuit, loin de la lumière des astres ; des hommes.
Roi d’or vêtu, il voila des brumes achromes des confins inouïs, couvrit des traces pécheresses s’enfonçant dans les sables-nébuleuses, et dissipa un sillage enluminé jusqu’à l’objet de son désir.
 ! Bouton troublant, épanoui du Désir, criant de ses couleurs vives !
Son doigt piqué sur d’avides épines, il cueillit l’inestimable trésor né d’un terreau d’épieu, d’odieux et d’adieux.
Au creux de sa main de rouge noyée : un Soleil autour duquel l’univers dansait, et auquel son âme s’enracina.
Son ombre régalienne s’étendit sur tous les chemins empruntés, jusqu’à son trône sous les quatre cloisons blêmes. Et en un silence sans féal et sans contrition, l’on y enferma la précieuse sous un verre infrangible.
Dans cette vêpre aux muettes étoiles sans sommeil, l’héritière fut bénie d’un présent sans pareil, indéfectible augure de son auguste destin.
« Ma fille, tu veilleras sur ce verre comme tu veilles sur ta vie ; car l’un ne pourra vaquer sans l’autre. Ces pétales, nourries de l’essence des mémoîres, seront à l’image de ton âme. »
Une larme noire glissa sur la joue hâve du père, et son orfroi habilla l’infante. Un or-fer lourd et grave sur le crâne. Et disparue la figure paternelle d’un feu-fastueux, noyée et consumée dans le crépuscule ; l’empyre carcasse.
Princesse déjà reine novice n’eut le droit au réconfort du deuil, car la Cité réclamait gouvernance !
Cet héritage était un faix capricieux, aux espoirs sévères.
Elle n’avait pas la splendeur de son Père, ainsi faire briller le Bourg jusqu’à l’Érème se révéla irréaliste.
Elle n’avait pas la bravoure de son Précepteur, ainsi les remparts pâtirent du temps qui passe inlassable.
Et surtout, elle n’avait pas sa convoitise, ses yeux pleins d’étoiles à arracher au firmament.
Ainsi, elle s’étiolait.
Tristesse et Solitude devinrent ses seules confidentes, et un ciel mauvais couvrit son horizon.
La prime vint la conforter d’angoisse et de scrupule ; aprés tout, il n’y avait de dictame que dans un passé déjà oublié.
La deuse s’assura que son écoute ne soit tournée que vers ses souvenirs, ses soupirs. Et sa fleur sacrale.
 ! Fleuron enjôleur, amusant de maux, d’une débridante coloration !
L’on vint un matin nébuleux frapper furieux sur le Portail d’Airain ; des coups coriaces d’un tel courage que la garde toute entière crut la Guerre arrivée. L’on sonna tocsin d’or-étain, arma bras étiques de piques ingrates et les grilles grondèrent.
Patientant derrière : un sourire se voulant sans malice. Il exhorta lors la prudente assemblée !
« Je suis un humble prince, perdu en un aveugle voyage par monts et par vaux ! Je demande, à genoux !, l’hospitalité à votre très noble maîtresse de jonquilles et vertus vêtue ! »
Convaincu par ce visage plein de sincérité, l’on mena ce voyageur d’Ailleurs jusqu’au cœur de la cité, donjon jauni où se mussait corolle cloîtrée.
La grand-salle n’avait pas connu visiteur depuis longtemps, pas plus que la lumière du dehors. Quelques torches-tisons et bougies-brasiers pour éconduire de tendres ténèbres ; et sur le trône, recroquevillée, l’enfant à peine adulte.
Genou au sol, le pèlerin quémanda l’asile à cette trés noble cour, vantant les mérites légendaires de son roi, et la longue amitié qu’ils eurent entretenus.
Mais seul un silence embarrassé lui répondit.
Alors, plaida-t-il qu’il saurait racheter sa dette, malgré son éminente misère, sans que cela n’entache l’ivoire de ces façades, et le doré de leur réputation.
Mais il n’eut pour réponse qu’un sanglot dissimulé.
Lors s’approcha-t-il peiné.
« Pauvre enfante… »
Et l’embrassa.
« Votre chagrin est mien. Votre solitude mon ennemi. Permettez-moi de siéger à vos côtés, d’être votre vassal, votre homme-lige, votre féal. »
Un sourire ; et la reine acquiesça.
Ils passèrent les temps suivants à cultiver espérance et appétence ; il lui fit l’ode de ses voyages à travers le monde, de tous les plaisirs qu’il eut dans les yeux, en bouche, dans l’oreille et au bout des doigts. Orfèvre de mythes, il lui décrivit ses fièvres-mémoires : les parfums enivrants des vins d’Itil et ces instants où se confondirent réel et rêve ; la douceur des soies pourpres d’Haliê, pareilles à une mer aimante, et ses vols voilés d’amour ; les sangs versés sur les champs de Thir, et la caresse du fer rongé de ruine. Et il lui décrivit ses yeux ternes, dans lesquels il se perdait et trouvait mil songes et souhaits, plus d’éclats que le ciel aurait à offrir.
Il lui promit de lui faire goûter à toutes les merveilles et de lui offrir le monde sur un plateau vermeil.
Mais avant de prendre le dehors, il fallait tenir le dedans. Ainsi ouvrit-il les oriels du palais et les portes de la ville ; il restaura rouages, routes et remparts. Il rendit à la Cité sa gloire d’antan.
Gloire à l’inéluctable attrait. Rats, larrons et conquérants grattèrent de leurs ongles répugnants le seuil du Royaume. Lors milice et ost furent levées, et le Prince d’Ailleurs marcha vers l’Érème.
Elle ferma les paupières dans une prière inquiète ; et il saigna foule délétère et profusion d’indignés.
Il se fit seigneur ensanglanté, la main gantée d’un fer implacable.
Bandits furent suppliciés et brandis en étendards de bravade, et dans les champs fait charniers, leurs pleurs furent noyés dans les larmes et la mer des envahisseurs.
L’on frappa tambour et souffla olifant, traversant le gué de la Dioné rompue ; l’ost à l’oriflamme pointa les pays veules. Et le Prince d’Ailleurs, l’armure rougie d’ire et de désir, immola pour son aimée myriade de capitulards, comme autant de femmes et d’enfants. L’on mena les flammes dévorer chairs et semences, avaler hauts-murs et masures, boire rivières et mers ; jusqu’à éclairer les noires extrémités du bout du monde.
Ce fut seulement lorsque tout le fer militaire souillait d’érubescence que le Roi du Rouge marcha, serein, vers son hôte royaume.
 ! Inflorescence fascinante, repue d’un sang pur ; tu cultives les couleurs cassées des confins !
La Reine vint recueillir son avoué féal, et dans ses bras essuyer de tendresse sa colère et cruor.
Tant d’effort pour toucher d’un éclat d’étincelle son cœur serré, un brasillement paternel. Et qu’avait-elle offert de sincère en retour ? Rien qu’un silence plein de stupeur. Un vide altier, qui se permettait l’inane privilège d’exister. On déposait dans tes mains arides toutes les lumières du monde ; dont rien de fécond jamais ne pourrait germer.
Elles se crispèrent.
Et le menèrent au sein de la citadelle, une chambre cachée où se terrait le réal héritage.
Elle lui montra sa Fleur aux reflets fascinants ; le moiré dans ses yeux vira.
N’était-ce pas la plus belle forme que ses sens avaient effleurés ; un motif né du firmament profané, et des paradis indus ?
Le soupir rauque, la langue âpre, il réclama. Il exigea !
Et sans qu’elle puisse y consentir ou résister, il s’en saisit ; déchirant le verre, flattant ces pétales rougissantes, et léchant ses épines rétives.
La Reine, faite enfante effrayée, se saisit du prime objet à portée : un stylet confié pour mener la némésis. Et d’un coup mal avisé, elle le repoussa. Il pleurait sang et atrabile, réclamait que don lui soit fait, pitié !, il voulait la toucher, la sentir, la saisir, rien qu’un instant figé dans le temps !
À nouveau la lame esquinta l’armure carminée.
Autant de fois que sa voix soufflait ses vœux et fièvres avides.
Et ne cessa que lorsqu’il s’effondra dans une flaque faite mer de poix.
Mais sa Fleur avait été saignée, peinte de ce rouge infâme ; et sa dignité, son honneur, blessés à jamais.
L’effroi la pétrifia. Elle contempla l’ampleur de son péché ; elle avait offensée la promesse faite au Père, et éteinte le feu salvateur qui avait étreint le Royaume.
Déjà entendait-elle en murmures chimères sa cour l’accuser de trahison, le peuple de défection.
Elle s’esquiva de la chambre mortifère, la ferma, scella et barricada ; que personne ne puisse y jeter le jour !
Mais ce n’était pas assez, il fallait garder le secret, et aucun prix n’était trop grand.
Légions et phalanges furent envoyées garder forts et limes reculées ; le Portail d’Airain barré et fondu, la Cité n’aurait à craindre le dehors.
Archontes, stratèges et curopalates s’offusquèrent : ainsi bâillonnés, ignorés, ils réclamèrent l’arbitrage du triomphateur ; gardien de Dioné et vainqueur d’Erème. Mais les mots de la Reine sont inexpiables, alors chacun d’entre eux furent passés au fil affamé de l’épée.
Les mains rouges d’un sang accablant, elle dut se résoudre à emmurer courtisans et gens d’armes, confisquer libertés et volontés.
Et bientôt véhémence, famine et fièvre saisirent la foule aux yeux caves. Errèrent-ils, cherchant dans la cendre un reste, un os méprisé par leurs pairs et la maladie ; le leg d’une mère, d’un frère, d’une fille.
On réclamait raisons, rations et compassion ; mais pauvre enfante au cœur criblé de crainte, c’est une crevasse infâme qui te sépare de tes indigents citoyens ! Rien ne leur sera donné, car le palais est scellé ; et Reine déchue s’enfuira dans les tréfonds de sa maison ; sombre mausolée d’où vie, cris et chuchotis ne peuvent s’échapper.
 ! Fleur fanée, vertu flétrie, d’une promesse consommée dans l’ichor versé, dernier blasphème ! Tes teintes ternies étreignent alors l’ébène d’un ciel brisé.
Car loin au-delà des pluies des Hyades, et leurs montagnes incanes, il y avait un inique et insidieux royaume.
Pays ruiné d’une reine murée de promesses impossibles, et d’inane destin.
Pays s’éteignant sous des braises endeuillées.
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