C'était moi.

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Le crépuscule avait envahi le campement dont l’activité fébrile retomba, alors que mes soldats commençaient à s’installer autour des nombreux feux de camps pour partager une bière et leurs exploits du jour.

J’étais lasse, mais me forçais à aller faire un tour dans le campement, pour saluer mes valeureux guerriers. J’étais très fier d’eux, ce n’était donc pas difficile de leur faire comprendre ma gratitude, et mes sentiments étaient réels. Ensuite, j’allais passer une petite demi-heure avec mon général sur une bute d’herbe à l’orée du camp pour fumer avec lui et parler tactique. Je lui proposais que nous restions ici quelques jours, afin que les blessés aient le temps de récupérer, et que tous les soldats puissent fêter notre énième victoire. Et puis, mais je ne le disais pas, que je puisse moi-même me remettre des efforts de la bataille.

Quand nous fûmes d’accord sur l’organisation des jours à suivre, je lui donnais congé, et repartais vers ma tente, en plein centre du camp. Là, l’agréable tiédeur de ma tente de guerre, soigneusement entretenue par Yara qui était sûrement venue remettre de l’huile dans les lampes et du bois dans le feu central, me dégela instantanément les os, moi qui était resté crispé toute la journée. Je ne tenais plus debout et, enlevant seulement ma tunique et mes bottes, je me jetai sur mon lit de camp, et m’endormai dès que la douleur de mes membres s’apaisait un peu. Je fis un rêve obscur sur le Grand Rassemblement dont la date fatidique approchait. Je ne parvenais pas à me décider. Voulais-je y rencontrer mon frère ? Ou resterais-je dans mon environnement militaire si familier dorénavant, qui ne manquerait pas de lui déplaire, lui qui était un esprit tranquille ?

Sur ces songes je me réveillait en sursaut en entendant quelqu’un approcher, accompagné du bruit que fait une gâchette lorsque on l’ajuste. Je me retournais si vite que ma tête tourna, pour me retrouver nez à nez avec un pistolet d’une étrange faction, entre ceux, rustiques en bois et fonctionnant à la poudre, qu’il nous arrive d’utiliser, et les étranges armes automatiques de l’Imperium.

J’aurais dû mourir, abattu à bout portant.

Mais l’assassin ne tira pas.

Son bras, tendu et raide, semblait taillé dans la pierre et était immobile comme s’il s’agissait du membre d’une statue. En revanche, même s’il essayait de le masquer, sa main tremblait.

Était-ce un jeune assassin dont j’étais la première malheureuse victime ?

J’en doutais. J’étais devenu plus qu’une simple épine dans le pied de l’Empereur. J’étais le conquérant qui menaçait ses frontières. Il n’aurait pas envoyé un débutant pour me faire la peau.

J’observai le tueur avec un air de défi. Il faisait ma taille, autrement dit il était très jeune. Une capuche noire recouvrait ses traits, et le feu mourant dans l’âtre ne faisait plus guère de lumière. Je ne voyais donc pas son visage. Il était vêtu à la mode de l’Imperium. Col roulé noir sous un Tang bleu à bouton doré, sans manche, ce qui était original. Une cape à capuche de voyageur retombait sur ses épaules. Il portait deux ceintures, ce qui était étrange sur sa tunique traditionnelle. L'une accueillait sans doute son pistolet quand il n’était pas braqué sur des gens, tandis que l’autre était pleine de réserve de balles à droite et de capsules de je ne sais quoi à gauche.

―Je vois que tu hésites à me faire disparaître, disais-je comme il ne tirait toujours pas, tout en déglutissant avec difficulté. Je me demande combien l’Empereur t’as payé pour t’introduire au plus profond de mon campement. Peut-être pourrais-je t’offrir plus pour rester en vie ? Ceci-dit, tu es particulièrement doué pour être parvenu à éviter tout mes soldats. »

Il entrouvrit sa bouche pour parler, mais se ravisa.

Je commençais à en avoir marre, et la patience n’avait jamais été mon fort. Il avait déjà de la chance que je sois trop fatigué pour faire appel à ma magie.

―Alors que fais-tu ? Je n’ai pas toute la nuit, dis-je avec insolence, ce qui était remarquablement stupide quand on a une arme à feu braquée sur la tempe. Tue moi maintenant ou va-t'en tout simplement. »

Mais ce sale gosse refusait de bouger. J’aurais vraiment fini par croire qu’il était pétrifié s’il n’avait pas essayé de parler.

―Je… »

Je lui sautai alors dessus, persuadé qu’il était trop distrait pour tirer. Un jour ma témérité me tuera. Le coup partit, créant une détonation de tous les diables que le campement entier dut entendre. La balle m’érafla les côtes. Je tombai sur lui en appuyant de tout mon poids, me débarrassai de son arme puis sortit le poignard que je gardais toujours dans ma ceinture. Mais alors que je m’apprêtais à commettre un meurtre de plus, pour une fois en légitime défense, sa capuche retomba en arrière. Je m’arrêtais alors dans mon mouvement meurtrier, ma fureur disparaissant d'un seul coup, à mon tour transformé en statue .

C’était moi.

Les mêmes mêches d'un brun si foncé, ridiculement longues qui encadraient mon visage, avec cependant des cheveux plus longs à l'arrière, retenus en queue de cheval très basse par un simple bout de tissu blanc.

Mais c’était moi.

Non, les yeux aussi étaient différents. Cet étrange reflet de moi même me renvoyait mon nez, ma mâchoire, en moins musclée, de même pour le cou, mais ses pommettes étaient les même, la forme de son visage, incroyablement carré, était identique. Ses yeux cependant était bleus et non bruns. Il n’avait pas la marque triangulaire qui ornait mon front depuis toujours.

Et, tandis que la colère déformait mes traits comme toujours, ses yeux semblaient noyés dans un océan de tristesse.

―Avasannatā, murmurais-je.

L’un de mes frères jumeaux. Je savais qui il était. Mais lui, savait-il qui j’étais ?

Tout à coup, je bouillonnai de rage en me rendant compte que l’Imperium se servait de lui pour m’atteindre, et je m’en voulais de m’être concentré sur la recherche de mon autre frère plutôt que sur la sienne. Nous étions des triplés, et j’étais quasiment persuadé être le seul des trois à le savoir.

J’allais lui crier dessus comme s’il s’agissait d’un gosse qui avait fait une bêtise quand ma garde entra à grand renfort de cris barbares.

Il m’assena alors un violent coup de pied au menton avec une souplesse que je n’aurais jamais, tout en murmurant un ridicule « désolé ».

Ma voix. C’était ma voix, mais je n’avais pas parlé. Et surtout ce mot ne faisait pas partie de mon vocabulaire.

―Reviens ici ! hurlais-je comme un possédé.

Mais alors qu’il allait être pris en tenaille par ma garde, celle-ci douta quelques secondes en voyant son visage. Quelques secondes seulement. Elles lui permirent d’en appeler à l’aide à un étrange esprit poisson, recouvert d’ossements blanchâtres.

La douleur m’envahissait tandis que mon propre esprit, Āmarșa, réagissait à la présence de son homologue, dévorant ce qui me restait d’énergie.

Mais c’était trop tard, à l’aide d’un sortilège dont j’ignorais l’existence, il disparut, purement et simplement.

C’était fini.

Nous étions reparti.

L’un à l’Imperium, la queue entre les jambes, et l’autre dans les limbes de l’inconscience.

Quand je m’éveillai le lendemain, perclus de courbature et un mal de crâne à en faire exploser ma cervelle, j’avais pris une résolution.

Yara était là, à mon chevet. Elle me sourit en appliquant un linge humide sur mon front. Je le repoussai en me redressant et, la regardant droit dans les yeux, j’annonçais haut et fort comme pour me redonner l’implacabilité qui me permettait de commander cinq cent milles hommes :

―Nous irons au Grand Rassemblement. Recruter des alliés. Il est temps d’en finir avec l’Imperium.»

La colère m’avait rarement autant collée à la peau.

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