III

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 Si en écoutant cette description d’Élentir, vous vous imaginez qu’il était simple pour l’enfant de se faire des amis, que tout le monde en ces lieux l’aimait, vous vous trompez fortement. Au contraire, les seules à véritablement apprécier Élentir ont déjà tous étés nommés : Hylde, la cuisinière, Huon, le forgeron, Lómelindi, le maître scribe, Sancie, la dresseuse et Iago, le maître d’écurie. Si Sébaste, l’intendant, ne la portait pas spécialement dans son cœur, il l’estimait, appréciait son travail. En dehors de ces personnes et malgré les efforts répétés d’Hylde, Élentir était loin d’être aimée de tous.

 Il y avait les serviteurs qui la regardaient avec méfiance. Cette fille apparue de nulle part leur procurait de la crainte. De nombreuses rumeurs virent le jour, gonflées par les capacités surhumaines d’Élentir, qui malgré les efforts de ses différents protecteurs n’était pas passées inaperçues. Une enfant inconnue de cinq ans raflant toutes les récompenses de son âge lors de la célébration des dragons attirait les regards. Surtout quand celle-ci a été découverte dans d’aussi étranges circonstances.

 En ce temps-là, la vie du royaume était rythmée par de nombreuses fêtes, entre célébrations religieuses et grands événements. Durant toute son enfance, la fillette a pu vérifier les allégations du scribe qui affirmait que plus les temps était dur, plus le peuple avait besoin de se divertir. En effet, ayant le droit de descendre au village pour chaque fête, elle pouvait constater que malgré la famine et la pauvreté grandissantes, les fêtes étaient de plus en plus joyeuses et festives. Toutefois, au château même, il y avait quatre fêtes principales. La célébration des dragons à la fin de l’hiver, la fête de la victoire d’Athelleen et d’Aegnor à l’arrivée de l’été, la fête de la procession à la fin de l’été, et enfin la fête du miracle d’Envinyatar. Toutes avaient leur propre origine, et même si leur sens avait été quelque peu perdu, tous les connaissaient.

 Nous avons déjà évoqué brièvement les origines de la fête de la victoire et du miracle, expliquons donc rapidement d’où viennent les deux autres. La fête de la procession consistait à fêter le départ d’une procession vers le pays des dragons. Cette procession était importante pour deux raisons : c’était la dernière caravane officielle de l’année, et surtout elle faisait partie d’un rituel, depuis oublié, qui permettait de rendre la terre plus fertile et de créer une barrière pour protéger le pays des dragons. Quant à la célébration des dragons, c’était en réalité une fête en l’honneur de l’amitié entre les chevaucheurs et les dragons. Il fut un temps où cette fête était si somptueuse et réputée que des gens du continent entier se déplaçaient pour y assister. La beauté de cette fête venait avant toute chose de cette amitié si insolite. De la nourriture au spectacle en passant par le décor, tout, y compris le temps, contribuait à la création de ce magnifique lien. Et la meilleure illustration de mes propos, ce sont sûrement les danses des chevaucheurs et des dragons. Véritable prodige de la voltige, un miracle de la gravitation. Aucun mot ne pourrait réellement rendre hommage à cette osmose parfaite. Dragon majestueux, humain agile, union dans les airs, entre feu et glace, magie hybride et éblouissante. Chant envoûtant des dragons, voix touchante des humains, un chant commun de la plus pure des alliances…

 Pardon, je m'égares. Élentir, malheureusement, était née bien après ce temps-là, à une époque plus sombre. Cependant, cela suffisait à impressionner cette enfant pour qui le monde des humains semblait nouveau. Elle découvrit des goûts qui lui étaient jusqu’alors inconnus, des musiques et des chansons la firent danser comme jamais, des histoires la firent rêver des années. Mais surtout, comme vous l’aviez déjà compris elle participa à ses premières compétitions. Et dans l’excitation, elle ne se retint pas, et à chaque jeu auquel elle participa avec les autres enfants du château qui avaient son âge, elle gagna. Avec une facilité si déconcertante.

 Hylde, qui l’observait de loin, ressentait fierté et inquiétude pour sa toute nouvelle protégée. Observatrice, elle avait bien remarqué le regard suspicieux de tous les autres serviteurs ainsi que de pas mal d’autres spectateurs. Comment une fillette abandonnée pouvait-elle être si douée, si parfaite ? Et son talent n’était pas que physique. Elle était aussi habile qu’endurante et son esprit était si vif et brillant que la plupart des adultes pouvaient se sentir petits face à elle. De fait, aucun enfant normalement constitué n’aurait pu faire cette impression.

 Le soir, comme à son habitude, Hylde se rendit dans la chambre d’Élentir. La fillette l’attendait tout sourire, assisse sur son lit. L’adulte la prit dans ses bras en lui ébouriffant les cheveux :

— Bravo ! T’as été la meilleure.

 La fillette se dégagea en douceur de l’étreinte. Elle avait perdu son sourire. Elle pencha la tête sur le côté. Intriguée. Elle fronça les sourcils. Elle n’arrivait pas à comprendre.

— Pourquoi t’es fière et inquiète ? J’ai fait une bêtise ? J’te jure, je n’ai pas enlevé mon bandeau.

 Hylde fut surprise de voir à quel point l’enfant pouvait lire en elle. Ce n’était pas une particularité spécifique à Élentir ; tous les enfants lisent facilement en nous. Cependant, Élentir visait bien plus juste. Et Hylde allait vite s’y habituer. Elle s’agenouilla devant l’enfant, en prenant une longue inspiration :

— Donc, tu te souviens de ce que j’ai dit quand je t’ai donné ton bandeau ?

— Bien sûr.

— Eh bien, je crains que tu te sois fait trop remarquer.

— Mais je t’assure, je n’ai pas enlevé mon bandeau.

 Hylde sourit avec patience. Élentir restait une enfant :

— Je sais, mais tu as gagné toutes les compétitions auxquelles tu as participé et avec brio. Tu as réussi à attirer le regard de la cour entière. J’ai même entendu le roi dire qu’il était impressionné.

— C’est mal ?

— Non, bien sûr que non. Mais tes capacités risquent d’effrayer beaucoup de gens.

— Je ne comprends toujours pas…

— Ce n’est pas grave. Je te conseille juste de ne pas montrer l’entièreté de tes capacités à n’importe qui. Tu risques de faire des jaloux.

 Élentir fit une moue boudeuse. Et la cuisinière ne put s’empêcher de la réconforter :

— Tu peux toujours entraîner tes capacités, jouer avec, mais pas devant n’importe qui.

 Malheureusement, il était trop tard. Les serviteurs du château se méfiaient de la fillette et interdirent à leurs enfants de jouer avec elle. Ils créèrent de nombreux mythes pour expliquer la présence de la fillette et ses dons. Pour certains, c’était une espionne envoyée de l’empire, éduquée dès son plus jeune âge. Pour d’autres, elle était un dragon dans la peau d’une fillette venu les tester. D’autres, enfin, racontaient qu’elle était l’avatar de Coclys, la Conscience de l’imagination, ayant pris forme humaine. Les seules qui ne colportaient pas ces affabulations, c’étaient les cuisiniers, ainsi que tout le personnel de cuisine. Tout d’abord, parce que la première et seule fois qu’une de ces histoires parvint aux oreilles de Hylde, la maîtresse des cuisines, elle s’était mise dans une colère froide. Et le pauvre aide qui l’avait rapportée garda une peur de la femme durant quelques mois. Toutefois, même sans cet événement, tous ceux qui travaillaient aux cuisines prirent l’habitude de voir la fillette. Élentir traînait souvent dans leurs pattes tout en essayant de les aider. Ils se prirent d’affection pour la fillette curieuse. Ils comprirent tous que malgré toutes ces étranges qualités, elle restait une simple petite fille.

 À l’opposé des serviteurs, les nobles étaient loin d’apprécier Élentir. Non pas par superstition. Imaginez plutôt, Élentir dut, durant une grande partie de son enfance, distribuer des messages un peu partout dans le château, y compris chez les nobles. Toutefois, Élentir ne comprit pas, ou ne voulut pas comprendre la notion de respect dû au noble. Elle refusait de faire la différence entre les adultes du château. En grandissant, elle expliqua à Lómelindi qu’elle ne comprenait pas pourquoi elle devrait plus respecter un noble. Après tout, un certain nombre d’entre eux avaient des comportements qui n’invitaient pas au respect. Et vous pouvez facilement comprendre que l’arrogance de l’enfant agaçait énormément. Au point que Sébaste dut se résoudre à éloigner Élentir des nobles. Surtout que ces derniers se sentaient ridiculisés quand Élentir mettait une raclée à leur enfant lors des compétitions. Car même si elle suivait les conseils de Hylde, elle faisait toujours en sorte d’être dans les premiers.

 Et pour finir, Élentir se mit à dos le magicien et son apprenti.

 Tout d’abord, elle offensa accidentellement l’apprenti ou assistant du mage. Cela devait dater de leur première rencontre alors qu’elle n’avait même pas six ans. Ils s’étaient croisés dans un couloir alors que la fillette était encore à la découverte des lieux. La petite avait alors fixé de ses yeux perçants le jeune homme et avait demandé d’une voix étrangement calme :

— Pourquoi tu vas nous trahir ?

 Se sentant insulté, l’apprenti l’avait dégagée violemment de son passage et s’était aussitôt plaint auprès de l’intendant en chef de l’irrespect de la fillette. En plus d’une correction de la part de l’intendant, elle eut également le droit de se faire disputer par Hylde. La fillette oublia cependant très vite l’épisode. Elle ne savait plus vraiment pourquoi elle faisait toujours en sorte d’éviter l’apprenti. Mais l’assistant du mage n’oublia pas. Et je vous conseille de faire de même.

 Quelques années plus tard, sûrement vers ses huit ou neuf ans, ce fut au tour du mage de la cour de se sentir offensé. Tout commença quand elle eut suffisamment de savoir et d’intelligence pour comprendre les livres écrits en ancien draconique. Lors de ses nombreuses conversations avec le maître scribe, elle dévoila des erreurs dans les rituels que le mage préparait, dans son interprétation des savoirs draconiques. Elle avait de tels raisonnements que Lómelindi ne put s’empêcher de les rapporter au mage. Malheureusement pour Élentir, si Lómelindi cacha qu’elle savait lire le draconique, il ne sut dissimuler qu’elle était derrière ses découvertes. Et vous pouvez facilement comprendre qu’un vieil homme sage ait du mal à admettre qu’une fille pas encore sortie de l’enfance puisse le contredire et en connaître plus dans son domaine.

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