"Êtes vous un humain?".

La fenêtre clignote, agressif pop-up devant mes rétines. Moi qui cherchais comment arroser mes bégonias, me voici à me faire questionner par un robot sur "est ce que je suis humain". Quelle ironie.

Il est bientôt minuit, c'est pas l'heure pour la philosophie !

Ce n'est pas une heure non plus pour arroser mes bégonias, tu me diras.

"Êtes vous un humain?".

Ce que je peux te dire, c'est que j'ai deux pouces préhenseurs, l'ordinateur.

Deux pouces opposables, oui madame, ô joie que celle de l'évolution ! Sur chacune de mes mains, un doigt qui peut toucher tous les autres, qu'est ce que vous dites de ça, hein, j'ai pas l'air humain?

"Êtes vous un humain?'.

Bien sûr que oui.

Maman dit que je suis dans le déni, mais moi ça fait longtemps que je n'écoute plus quand elle me le dit. Tout en lissant ma moustache, je réfléchis.

Comment on en est arrivés là avec la technologie?

Inventer internet, le faire progresser, inventer des sites pleins d'informations, puis les sécuriser, le summum de l'invention humaine, le fleuron de la sécurité... Puis les captchas, les gatchas, les IAs et maintenant ça... Il n'y a plus un seul site sur lequel je ne puisse me ballader sans qu'un foutu ROBOT ne me questionne sur mon humanité.

À y réfléchir, c'est fort de café.

Je saisis mon mug de thé fumant et y plonge mon nez.

"Êtes vous humain?" me demander ça à moi, quelle idée !

Je m'étire sur ma chaise de tout mon long, mets mes pattes sur mon bidon.

Il se fait tard et mes bégonias n'ont toujours pas bu ! Je les vois dans leur petit pot sur ma fenêtre en train de dépérir. Encore des plantes qui trouveront la mort dans mon appartement, j'ai deux mains avec des pouces opposables, certes, mais aucune main verte, incontestablement...

La page ne charge pas, malgré le fait qu'à la foutu question "huMaIn?" je n'ait répondu "oui".

Il est minuit et quart maintenant, je n'ai toujours pas sommeil, je suis parti pour une bonne insomnie...

Je regarde mes mails, mes réseaux, ma musique, mon cyber-journal, les messages de ma petite-amie...

Qu'est ce que je m'ennuie !

Et mes pauvres bégonias décrépits...

Je recharge la page, je n'ai pas toute la nuit !

Bon, tant pis un autre site...

Google, cinquième liens, je clique et puis...

"Pour arroser vos bégonias, prévoyez aux premières lueurs du matin un arrosoir rempli... Ensuite, assurez vous que votre plante soit bien exposée dans la pièce. Posez là dans une soucoupe et..."

Pop-up.

"Êtes vous un humain?"

Mais c'est pas vrai ! Encore ?!

Je clique sur "oui", rien.

Je martèle le bouton droit de ma souris du bout du doigt en soupirant d'agacement "ouiiiiii"...

Après 36 clics agacés, la fenêtre disparaît enfin.

Suivie par une autre où il est écrit : "êtes vous sûr?"

Dites voir, il commence à me faire flipper ce pc.

Je recule, je respire un coup, en vrai ça m'a soûlé.

Il est tard, j'ai pas la patience, et en plus à ce rythme là mes fleurs auront le temps de se dessécher.

J'en ai marre, je ferme la page et éteins l'ordi.

Mon téléphone est sur ma table : je m'en saisis.

Du bout des doigts je demande à Google "comment arroser mes bégonia ?"

Mes moustaches frétillent, la page charge.

"Êtes vous humain ?" je te jure, quelle question con.

Mon père dirait des informaticiens qu' "ils auraient du faire un autre travail, comme nous, laveurs honorables, les plus efficaces, foi de Raton !"

Quel clown mon pôpa.

Il me manque un peu. Je l'appellerai demain.

Ayant enfin trouvé l'info, je me dirige avec de l'eau vers mes pauvres bégonias.

Puis je fais ma toilette, brosse mes quenottes, masse mes coussinets endoloris.

Je traîne mes questions de philo et mon insomnie droit jusque dans mon lit.

"Êtes vous humain?"

Quelle question...

Bien sûr que oui.