Chapitre 2 : Fuite (suite)

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« La mer du Fond », chuchota Azira.

Peu avant que l’étendue d’eau se fut révélée à leurs yeux, une odeur salée leur était parvenu mais ce qui les encouragea à continuer était bel et bien la vision qu’elles eurent à cet instant.

« On va traverser comme ça, d’un coup ? s’inquiéta Tascah.

— A moins que tu aies une meilleure idée ! » rétorqua Misava.

La tension était palpable entre les dragonnes qui habituellement ne se parlaient jamais de la sorte. Elles approchaient de l’eau rapidement et purent bientôt distinguer les vagues qui roulaient jusqu’au bord en formant de l’écume pour se perdre dans le sable blanc. Si elles n’avaient pas été poursuivies, les trois amies auraient sans doute pris le temps d’admirer la beauté du paysage mais les guerriers-ombres leurs rappelaient régulièrement leur présence derrière elles. C’est ensemble, les unes à côtés des autres qu’elles franchirent le bord de mer. Pendant un court instant elles oublièrent ce qu’elles faisaient là et se laissèrent envouter par leur environnement. L’eau était bleu azur, elles n’en avaient jamais vu de pareille. Elle était si claire qu’on pouvait voir jusque plusieurs mètres de profondeur sous la surface, avant qu’elle ne prenne une teinte plus foncée. Des poissons en tous genres nageaient à la surface, disparaissant dans les abîmes quand les ombres des dragonnes leurs passaient au-dessus. Les dragonnes découvrirent de nouvelles espèces aquatiques qui ne vivaient pas chez elles. Elles savaient que les lacs et les mers n’avaient pas grand-chose en commun et de ce fait, abritaient des espèces très différentes. Elles purent en reconnaître certaines grâce aux descriptions qu’elles avaient entendu à la tribu mais d’autres leurs étaient totalement inconnu et même très étranges.

La mer était si grande qu’il était impossible pour le moment d’y voir la côte opposée. Cela n’était pas une surprise, les dragonnes savaient à quoi s’attendre mais la réalité n’en restait pas moins impressionnante, et décourageante. Elles auraient beaucoup à voler et dans des conditions difficiles. Le ciel était aujourd’hui dépourvu de nuage, et le vent soufflait en direction de l’ouest. Les conditions étaient parfaites, mais par conséquent elles l’étaient aussi pour leurs poursuivants, qu’elles apercevaient en arrière. Ces derniers avaient encore réduit la distance entre eux. Misava fut la première à reprendre ses esprits en passant devant les autres.

« On devrait rester en file indienne et près de l’eau, pour mieux profiter du vent ! » dit-elle en haussant le ton pour se faire entendre.

Les dragonnes bleues hochèrent la tête et Azira laissa sa sœur la dépasser pour se positionner en queue de file. Ayant vue sur Tascah, elle se dit que si les guerriers-ombres ne se rapprochaient pas davantage ils ne les repèreraient probablement pas facilement, elle et sa sœur, grâce à leurs teintes assorties à celle de la mer. En revanche, les écailles brunes et vertes de Misava la rendait plus visible sur le fond uniformément bleu que formait la mer et le ciel. Si elle restait devant, peut-être que la présence de ses amies suffirait à la camoufler, sinon cela ne changerait rien à leur situation si ce n’est que les guerriers-ombres se sépareraient peut-être en pensant ne poursuivre qu’une seule des dragonnes. Elle pria pour que leurs poursuivants se fassent avoir.

Les dragonnes poursuivirent leur vol en maintenant leur rythme, aidées par le vent. Elles alternèrent régulièrement leur position dans la file pour éviter que celle en tête ne se fatigue trop. La traversée devenait éprouvante malgré l’aide des éléments, et elles finirent par perdre le compte du temps depuis lequel elles survolaient les flots : des nuages avaient fait leur apparition et camouflaient les deux lunes qui servaient jusqu’ici de repères aux dragonnes. Elles tournaient encore une fois de position quand Misava, qui jeta un coup d’œil à l’arrière, les informa qu’elles n’étaient plus suivies. Elles n’en rompirent pas pour autant leur formation mais le groupe s’interrogea sur la conduite à suivre.

« Alors on fait-demi-tour ? demanda Tascah bien qu’elle ne crût pas elle-même à ce qu’elle proposait.

— Absolument pas ! s’exclama Misava. Si on fait demi-tour, on leur rentre dedans. Et puis à mon avis, on est plus près du bord de l’Ouest que de l’Est maintenant. On ne tiendra pas si on rebrousse chemin. En plus le vent nous pousse, si on rebrousse chemin on va se retrouver face à lui alors qu’on est déjà à la limite de nos forces.

— C’est bon, j’ai compris, marmonna Tascah. »

Elle n’appréciait pas la façon qu’avait la dragonne brune de s’adresser aux deux autres depuis la veille mais elle la savait sous tension extrême et ce n’était pas le moment de se disputer. Tascah se força à ne pas prendre personnellement la mauvaise humeur de son amie. Alors elles continuèrent sans prononcer d’autres paroles, sans doute conscientes toutes les trois que la situation était propice au conflit. L’absence de leurs poursuivants détendit néanmoins un peu la troupe et Azira, fascinée depuis le début de la traversée par de gros poissons qui venaient frôler la surface, n’y tint plus et perdit soudain en altitude pour plonger la patte dans l’eau. Ses compagnes de route hoquetèrent de frayeur. Elle replia sa patte sous elle, les griffes refermées sur le vide, et rejoignit sa sœur et sa meilleure amie en grommelant à la fois à cause de son échec et des remontrances qui allaient suivre.

« Ça ne va pas la tête ?! s’exclama sa sœur devant elle. Tu pensais pouvoir attraper quoi comme ça ?

— C’était trop tentant ! s’excusa Azira. On a appris à pêcher au Lac du Pic oui ou non ?

— Oui, mais pas en pleine mer ! répondit Misava.

— J’avais juste envie d’attraper un poisson !

— Je sais, dit Tascah, on en meurt toutes d’envie. Mais imagine qu’une vague te happe, les courants pourraient t’entraîner au fond !

— Et on ne connaît pas ces poissons ici. Celui-là était peut-être être dangereux, ou toxique. Il faut continuer sans manger, renchérit Misava. On n’a pas le choix. »

Azira ne répondit pas. Elle savait qu’elle n’aurait pas dû tenter le diable mais elle avait tellement faim. Ses compagnes aussi, elle le savait. Les daimes attrapées plus tôt dans la journées ne suffisaient pas à fournir l’énergie nécessaire à un tel effort. Le silence s’installa à nouveau, et l’obscurité également. Les dragonnes purent enfin estimer depuis combien de temps elles volaient. La nuit s’installant, elles durent se concentrer davantage et se fier uniquement leur sens de l’orientation pour être sûres de ne pas dévier de leur trajectoire. Elles craignaient davantage de perdre de l’altitude que de virer vers le nord ou le sud. Les flots de pleine mer ne leur inspiraient pas confiance et elles commencèrent à espérer avec force que les nuages s’estompent et laissent les lunes les éclairer. Trop peu familières au climat marin, elles ne se rendirent pas compte qu’une tempête se levait jusqu’à ce que les signes deviennent évident. Azira, en tête, réalisa que les bourrasques étaient de plus en plus violentes. En se concentrant elle devina également que les vagues étaient plus fortes et jaillissaient plus haut. Elle frissonna.

« Les filles, vous sentez ? »

Les deux autres, maintenant informées, remarquèrent alors les perturbations qui se formaient autour d’elles.

« J’ai l’impression que ça augmente de plus en plus en puissance » souffla Tascah.

Ses amies ne répondirent pas, préoccupées. Il était maintenant impossible de ne pas entendre le vent mugissant et les vagues s’écraser les unes contre les autres. Les dragonnes luttaient autant que possible pour maintenir le cap vers l’ouest, mais Azira fatiguait et elles craignaient trop de rompre leur formation. Alors elle tint, Misava et Tascah l’encourageant et lui indiquant la bonne direction quand elle déviait sans s’en rendre compte. Elles avaient ralenti leur vitesse de vol, d’une part pour se préserver et de l’autre pour ne pas se fatiguer de trop en luttant contre le vent. Les dragonnes avaient pour la seconde fois perdu la notion du temps. Tout ce qu’elles espéraient était d’atteindre la côte mais elles n’étaient même pas sûres de s’en rendre compte lorsque cela arriverait –si cela arrivait. Elles étaient de plus en plus ballotées par les vents et parfois ceux-ci les envoyaient frôler la mer avant de les faire remonter en flèche. Elles n’avaient pas d’autres choix que de les laisser les malmener en essayant de conserver la bonne direction. Il n’était plus question d’échapper aux guerriers-ombres, mais d’échapper à la mer. Voilà qu’après avoir ressenti les effets de la traque les dragonnes expérimentaient l’impuissance face à une force supérieure à elles. Azira laissa échapper un cri quand elle sentit une vague lui passer au travers. Elle ne s’était pas rendu compte qu’elle s’était rapprochée autant de l’eau, et Misava derrière elle non plus. Les dragonnes éprouvaient des difficultés à faire attention à la fois à elles-mêmes et à leurs amies.

« Vous entendez ? demanda soudain Misava, sa voix se distinguant au milieu des sifflements du vent.

— Quoi ? répondit Tascah.

— Rien ! Je n’entends plus l’eau ! Juste le vent ! »

Les dragonnes n’eurent pas besoin de plus d’explications pour deviner que si elles n’entendaient plus l’eau, c’était qu’elles l’avaient dépassée. Azira descendit en flèche, les deux autres la suivant en la surveillant de peur qu’elle ne s’écrase au sol de fatigue dans sa précipitation. Mais elle parvint à freiner, devinant quelques secondes avant qu’elle ne l’atteigne la terre nue mêlée au sable.

Epuisée, elle se roula en boule et s’endormit sur le champ malgré le vent qui continuait de faire rage autour d’elle. Misava et Tascah se pelotonnèrent à ses côtés et s’endormirent aussi, trop fatiguées pour seulement penser à installer un tour de garde ou pour chercher un endroit plus confortable où dormir. De toute façon, elles n’y voyaient rien devant elles même si le vent s’était un peu calmé. Elles savaient seulement qu’elles n’avaient pas dépassé de très loin la mer puisque du sable se trouvait encore sous leurs pattes.

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