Chapitre 20. Héphaïstos
- Ne dis pas ça pour que je reste. Ce serait mal, Héphaïstos.
Elle s’était détachée de lui, au grand regret du dieu. La sensation de douceur et de fraîcheur qu’elle lui procurait se dissipa dans la chaleur harassante de l’atelier. En la voyant dans la forge, il avait cru qu’elle n'était que le fruit de son imagination. Qu’à force de travailler nuit et jour sur la Aphrodite de pierre, elle avait fini par prendre vie comme pour Pygmalion.
Ce dernier était tombé amoureux de Galatée, sa propre statue. Tant et si bien que la sculpture d’ivoire avait pris vie. Il paraît que les deux amoureux s’étaient mariés et avaient eu deux beaux enfants, à la peau aussi éclatante que celle de leur mère.
- Non. J’en ai vraiment envie. Depuis un moment, avoua-t-il, cramoisi. Enfin, seulement si toi aussi, tu en as envie ?
Aphrodite demeura silencieuse, le transperçant de son regard. Il avait du mal à déglutir. C’était une mauvaise idée. Il n’aurait jamais dû lui en parler. L’embrasser était déjà un privilège bien trop grand. Alors plus… Bravo Héphaïstos ! Tu as tout gâché ! se sermonna-t-il intérieurement.
Elle n’avait toujours pas dit mot.
Si, au moins, elle pouvait cesser de le scruter de cette façon. Il savait qu’il était laid, pas besoin de le reluquer autant pour s’en rendre compte. Essayait-elle de lire dans ses pensées ? En avait-elle le pouvoir ? Aphrodite, déesse de l’amour, de la beauté et des télépathes.
- Tu sais quoi, c’est pas… Je voulais pas… Oubli ce que j’ai dit.
- Pourquoi ?
- Tu me poses vraiment la question ? demanda-t-il en soufflant du nez. Regarde-moi, Aphrodite… je ne suis pas…
Sa gorge se serra. Il ne pouvait en supporter davantage. Il devait se cacher. Fuir la situation gênante dans laquelle il s’était fourré. Mais Aphrodite était toujours plantée devant lui, à quelques malheureux centimètres. Son seul repli : dissimuler son visage honteux derrière sa main, l’autre trop occupée à tenir la canne qui lui permettait de ne pas flancher. Maudites jambes, si seulement je pouvais courir !
- Justement, Héphaïstos. Je te regarde.
Le cœur du dieu était sur le point d’exploser. Aphrodite lui releva son menton, délicatement, l’obligeant à lui faire face. Elle fit un pas en avant, collant son corps contre celui d’Héphaïstos. Des décharges électriques s’emparèrent de lui. Pourtant, ce n'était pas la première fois qu’elle était aussi proche. Là, c'était différent.
Il ne voulait pas lui échapper, bien au contraire. Il désirait plus que tout au monde sentir chaque parcelle de sa peau contre la sienne, mais la détermination dans les yeux d’Aphrodite le fit reculer. La déesse ne se laissa pas distancer, rompant toujours plus l’espace entre eux.
- Tu me fais confiance ? demanda-t-elle innocemment.
- Oui, fut le seul mot qu’il était capable de prononcer à cet instant.
D’un geste vif, elle attrapa un pan de tissu sur la table où Héphaïstos avait pris appui. Elle fit jouer le rectangle en fibre brune entre ses doigts fins.
- Oublie la forme de ton enveloppe charnelle. Tu n’en as pas besoin, affirma-t-elle en posant le tissu sur ses yeux. Concentre-toi sur les palpitations de ton cœur, la contraction de tes muscles, poursuivit-elle en le nouant derrière sa tête, murmurant à son oreille. Laisse tes autres sens prendre le dessus.
À présent délesté de la vue, la voix d’Aphrodite était encore plus ensorcelante. Elle se glissait dans son oreille comme le plus dangereux chant des sirènes, parcourait les veines de son corps tel le plus délicieux des poisons et embrasait son être à la manière d’un feu incandescent.
Elle caressa son bras jusqu’à lui prendre sa canne.
Sans sa canne, sans ses yeux, Héphaïstos ne parvenait plus à se repérer dans l’espace. Aphrodite s’empara des mains du dieu et alors commença une cartographie précise du corps de la déesse. En fonction de la courbe et de la douceur de la peau, Héphaïstos parvenait à visualiser la partie qu’elle lui faisait toucher.
Au début, il effleura l'étoffe qui constituait le chiton d’Aphrodite. Mais pas longtemps, car il entendit le frôlement de la robe contre le sol. La sensation au bout de ses doigts devint plus douce, plus malléable, plus charnue. Son épaule. Son bras. Elle remonta à sa cage thoracique. Il pouvait sentir le cœur de sa femme tambouriner contre sa peau. Voilà bien la seule chose qu’il n’avait jamais pu fabriquer : un cœur palpitant, plein de vie, capable de ressentir des émotions, de prendre des décisions, d’aimer.
Elle continua son parcours. Glissant la main de son mari entre ses seins, les contournant, les caressant. Lorsqu’il passa dessus, ses tétons se durcissent, elle accentua la pression à cet endroit. La bouche d’Aphrodite était si proche qu’il pouvait sentir son souffle changer, devenir plus saccadé, pris par des spasmes de plaisir. La peau de la déesse se parsemait de chair de poule, formant un chemin pour Héphaïstos.
Plus il explorait son corps à l’aveugle, plus le ventre du dieu se réchauffait. En même temps qu’Aphrodite descendait jusqu’à son nombril, dessinant les formes de ses courbes, il sentait le bas de son anatomie s’éveiller et grandir.
La déesse se colla encore plus contre lui, un rire dans la voix.
- C’est moi qui te fais cet effet ou tu as oublié un outil dans ton tablier.
Il était incapable de parler, de penser ou de déglutir. Il n’était même pas sûr de respirer. Voilà que le circuit avait changé, elle lui faisait à présent retracer la rondeur de ses fesses. Le corps d’Aphrodite tressaillit contre lui. Héphaïstos sentit qu’elle glissa son genou entre ses jambes et d’un mouvement lent, elle appuya sur sa proéminence. Tout en faisant des va-et-vient, elle augmenta la pression et la vitesse.
Il avait l’impression de devenir fou. Plus elle titillait cette zone, plus Héphaïstos respirait fort, des gémissements rauques s’échappant de sa gorge. Il essayait de rester silencieux, mais ce qu’elle lui faisait le mettait dans un tel état que son propre corps ne lui répondait plus. Il ressentait tout en plus puissant. Les doigts d’Aphrodite lui montrant le chemin, sa poitrine se soulevant à chacune de ses respirations, son genou taquinant toujours plus son entrejambe, ses longs cheveux, tissés dans de la soie, caressant le torse et les épaules du dieu.
Son parfum de pêche et de jasmin pénétrait dans la tête d’Héphaïstos, engourdissait son esprit comme une liqueur sucrée, glissait sur sa langue. Une odeur enivrante et dangereuse. Maintenant qu’il y avait goûté, il n’était pas sûr de pouvoir s’en échapper.
Alors qu’Héphaïstos avait perdu le fil, les sens saturés, Aphrodite fondit sur sa bouche. Elle l’embrassa jusqu'à lui faire perdre la tête, jouant avec sa langue, mordant sa lèvre inférieure. Si le bonheur avait une saveur, c’était celle-là. Rapidement, le dieu suffoquait entre respiration erratique et gémissement de plaisir.
Toujours en l'embrassant, elle lui fit quitter la table de travail. C’est ce qu’en avait conclu Héphaïstos après avoir perdu la sensation de la table contre ses jambes. À la place, elle l’aida à s’asseoir sur le sol. Les pierres qui recouvraient le bas de l’atelier étaient chauffées par les bassins de lave fusion. Une chaleur incomparable par rapport à celle qui parcourait désormais ses veines. Il posa ses mains sur son front. Était-ce parce que tout ceci le rendit fiévreux ou parce qu'il était délesté de la vue, mais il avait l’impression de perdre le nord.
Aphrodite délaissa ses lèvres et se concentra sur le reste de son corps. Elle déposa des baisers le long de sa mâchoire tordue, descendit le long de son cou et mordit ses épaules musclées. Au moment où elle planta ses dents, il laissa échapper un rire. Elle rit à son tour. Un rire cristallin, aussi doux que le clapotis de l’eau.
- J’aime ton rire, confia-t-il.
Aphrodite ne répondit pas, à la place, elle embrassa son torse, puis son ventre, descendant toujours plus bas.
Héphaïstos arrêta de respirer. De toute façon, il n'avait pas besoin d’air. Il n’avait besoin que de ses caresses.
Et soudain, il sentit un poids sur son bassin, rapidement accompagné de légers va-et-vient. Un souffle d’excitation s'empara si violemment de lui, qu’il dût se mordre les lèvres et serrer les poings pour le contenir.
- Est-ce que je te fais mal ? demanda Aphrodite.
Héphaïstos posa un coude au sol pour soulever son torse et ainsi être plus proche de l’endroit d’où provenait la voix de sa femme.
- Disons que… ce n’est pas vraiment… douloureux. Pas à proprement parler.
Les sensations qu’il ressentait à cet instant n’avaient rien à voir avec ses problèmes de jambes. Pour une raison qui lui échappait, il avait envie de rire, de pleurer, de crier.
- Es-tu toujours certain de me vouloir ? De vouloir aller jusqu’au bout ?
Jamais. Ô grand jamais. Par tous les dieux de sa famille, jamais il ne lui aurait dit non.
- Je le veux. Et toi ?
Pour toute réponse, il sentit son tablier de travail et son chiton s’envoler, puis Aphrodite reprendre sa place au creux de ses reins. La sensation était tout à fait différente. Beaucoup plus douce, plus moelleuse aussi et, par-dessus tout, excitante. Absolument plus rien ne le séparait de la déesse. Héphaïstos dû réprimer une nouvelle vague de plaisir. Son cœur s’affolait dans sa cage thoracique. Il n’avait pas eu l'habitude de ressentir autant d’émotions et encore moins l’habitude de les contrôler.
Le corps d’Aphrodite épousait parfaitement celui d'Héphaïstos. À croire que le bassin du dieu des volcans était le trône qui lui était dédié. Celui duquel elle pourrait régner.
- A…attends, murmura-t-il. J’aimerais te voir, s’il te plait.
Il eut l’impression d’entendre les commissures des lèvres de la déesse se soulever en un sourire. Délicatement, elle lui retira le bandeau des yeux. Et elle apparut devant lui. Baignée par la lueur du feu. Ses cheveux en bataille après leurs baisers ne la rendaient que plus belle, à l’image des guerrières amazones. Ses joues rougies faisaient ressortir le bleu de ses yeux. Et l'éclat de son corps nu aurait pu faire pâlir la statue de marbre qui reposait dans son atelier.
- Tu es magnifique, déclara-t-il en posant une main sur sa joue. Son pouce la caressant d’un geste tendre.
Il l’avait dit avec un air si idiot, qu’il eut envie de se gifler. Les yeux d’Aphrodite s'écarquillèrent le temps d’une seconde avant qu’un sourire illumine son visage. Elle prit la main d’Héphaïstos dans la sienne et l’embrassa de nouveau.
Puis, ils ne firent plus qu’un. Un seul corps. Deux âmes.
Héphaïstos n’aurait jamais su décrire ce qu’il ressentait. C’était comme se retrouver dans un tourbillon de contradictions. Une danse à la fois douce et sauvage. Un moment d’intimité mêlé à la sensation d’être complètement mis à nu. Un acte charnel accompagné par l’extase des émotions.
Et puis, il ne pensa plus qu’à Aphrodite. À son corps contre le sien. À ses mouvements, tantôt rapides, tantôt langoureux. À sa respiration de plus en plus saccadée. Aux gémissements qui s’échappaient de ses lèvres.
Les coups de reins d’Aphrodite devenaient de plus en plus pressants, plus profonds, plus abrupts. Le cœur du dieu palpitait à tout rompre, coupant sa respiration.
Une vague de plaisir plus puissante que les autres afflua dans ses veines. Les marques sur son corps rougeoyèrent d’un éclat vif. Cette fois, il le savait, il ne pourrait pas se contrôler. Après une nouvelle décharge, sa tête bascula en arrière.
- A…Aphrodite… Je…
Mais elle l’empêcha de parler en accaparant sa bouche avec la sienne. À son tour, Héphaïstos l’emprisonna dans ses bras. Et d’un dernier coup de bassin, il ressentit un soulagement infini. Un bonheur qui électrisa tout son corps et fit éclater les rouages de son cerveau comme des bulles de savon.
Essoufflé, il ne rompit pour autant pas le contact avec Aphrodite, poursuivant ses baisers.
- On devrait y aller, suggéra Aphrodite, posant deux doigts sur les lèvres brûlantes d’Héphaïstos. J’ai peur que les cyclopes reviennent de leur pause déjeuner.
Le dieu hocha la tête mollement. Il avait l’impression de sortir d’un rêve. Un rêve merveilleux dans lequel il avait follement envie de replonger.
- La prochaine fois, on fera ça dans ta chambre. On sera, disons… plus tranquille, continua la déesse, une lueur amusée et taquine dans le regard.
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