Chapitre I  

L'an 1684, Genève

Moi, Adrien Lasalle, de la lointaine Genève où ma vie s'essouffle, dans cet hiver sans fin de l'an de grâce 1684, je ne peux penser qu'à mon pays, je sais que je ne le reverrai jamais. L'exil m'a condamné au souvenir.

 Mon pays est fait de granit et d'argile, il porte le doux nom de Sévenne. Jadis, les grecs anciens le nommaient kèmmènon, c'est lui qui m'a vu naître.

 Au début de ce siècle qui me verra disparaître, je n’étais qu'un jeune officier de l’armée huguenote, fier d'être parmi ceux qui purent approcher, Henri II de Rohan, chef de notre parti.

 Dès nos premières victoires, dès nos premiers moments exaltants, je fus toujours son dévoué serviteur, je n'eus de cesse d'agir avec Monseigneur pour défendre notre cause.

 Que l'Histoire se souvienne de ce grand homme et que gloire et grâce lui soient rendues éternellement.

  Aujourd'hui, en 1684, dans ces moments d'exil, mon corps affaibli par les temps ne peut lutter comme autrefois, je ne puis qu’écrire en laissant sous le crissement de ma plume, les mots qu'il faut. La vérité de mon existence ne doit se perde, jamais. Les afflictions, les joies qu'il plût à Dieu de m'envoyer ici-bas ne sont point l 'essence de mon témoignage, cela eut été trop facile à vous dire, il en est toute autre chose et tout autrement.

 De la couleur pourpre de son éminence qui me submergea à Alais en 1629 aux quatre vers prophétiques qui brûlent encore mon cœur, je ne puis partir sans vous bailler le secret de mes jours anciens. En voici le récit.

 Que Dieu me laisse le temps et la force d'écrire ce témoignage de la vie du combattant huguenot que je fus.

Adrien Lasalle
Enseigne de l'Armée Huguenote

Genève

Le quinzième jour de Décembre 1684