Sidération
Sébastien repassa sa tête dans la cuisine, sa mère lui mima les mots « laisse-lui le temps, je reste avec elle », il acquiesça et fila donner des nouvelles aux autres.
— Bon, elle est toujours dans les bras de ma mère, ça a l’air de lui convenir.
Il souffla puis demanda à Grégory,
— Elle est toujours comme ça ta mère ?
Grégory avait pleuré, il se frotta les yeux avant de répondre à Sébastien,
— Oui, mais je crois qu’aujourd’hui elle a été encore plus odieuse que d’habitude.
Encore consterné par ce à quoi il avait assisté, Sébastien avoua,
— D’accord, lorsque Valentine me parlait d’une mère qui ne l’aimait pas, je n’imaginais pas que ce soit au point de vouloir la tuer… Je… Je suis abasourdi.
Françoise glissa,
— Moi je suis abasourdie par la haine qu’elle porte à sa propre fille…
L’assemblée se tut quelques instants. Grégory rompit le silence en tentant un petit trait d’humour,
— Eh bien Sébastien, au moins, ta mère s’est rapprochée de Val ! Ce n’était pas « Madame Mère », son petit nom, à ta mère ?
— Oui ! Mais, purée ! Ma mère, c’est rien à côté de la tienne !
Françoise, qui revint de la cuisine leur dit, songeuse,
— Moi je crois que Val connaît pour la première fois ce que peut être la douceur maternelle… Je crois qu’elle n’a jamais été prise dans les bras par sa mère.
Grégory confirma,
— De fait, je n’en ai aucun souvenir en tous les cas.
Sébastien intervint,
— Moi je comprends mieux ses craintes constantes d’être jugée, ça a dû être horrible toute son enfance !
La mère de Françoise lui expliqua ce qu’elle connaissait de la situation,
— Nous, nous étions toujours contents de l’avoir à la maison. Nous avions déjà croisé sa mère et put voir ce qui se passait parfois, et puis Françoise nous racontait aussi des choses… Je dois dire qu’au début, nous ne voulions pas y croire, mais un jour, j’ai eu une petite discussion avec votre mère… Et j’ai compris que ni Françoise ni Valentine n’en rajoutait une couche, que du contraire, Valentine tentait même de minimiser les choses.
Les discussions reprirent sur des thèmes plus légers, lorsqu’ils entendirent que les choses bougeaient dans la cuisine, ils virent arriver Marianne et Valentine, les bras chargés de toasts et de chips. Valentine leur lança,
— Allez, voici les recharges, hop, engloutissez tout cela, il y en a encore qui attendent en cuisine, Françoise en a prévu pour un régiment.
Françoise renchérit, brisant ainsi la glace qui était tombée sur l’assemblée depuis l’altercation.
— Mais oui, et de toute façon, pas d’inquiétude, s’il en reste, c’est Greg qui vous remerciera parce qu’il échappera à la corvée cuisine demain !
— Ouaips… Parce que maintenant je n’ai même plus l’excuse du plan de travail trop haut !
Sébastien renchérit,
— Ah ça … oui, c’est foutu maintenant, il fallait réfléchir avant de faire les travaux !
Ils éclatèrent de rire.
La soirée se termina sur une note de sérénité, le père de Grégory et de Valentine ne réapparu pas, il devait avoir du fil à retordre avec sa femme.
Chaque couple repartit de son côté, Marianne prit Valentine à part avant de monter dans sa voiture pour rejoindre Mons.
— Valentine, si elle te fait à nouveau le moindre problème, tu me le dis… Tu viens m’en parler, ça m’a fait mal ce qu’elle t’a fait subir, je ne comprends pas, … Je ne la comprends pas !
— Oh, c’est comme ça tu sais… Merci pour là tantôt, vraiment.
Marianne la reprit dans ses bras, puis lui glissa,
— Mais de rien, tu sais, cela m’a fendu le cœur de te voir comme ça… Tu ressemblais à un petit soldat au garde-à-vous devant un dragon qui s’en donnait à cœur joie avec toi.
Valentine eut un demi-sourire,
— Un dragon, oui, cela lui ressemble.
— Souviens-toi qu’à Mons, on le chasse, le dragon ! Tous les ans !
Valentine sourit franchement puis lâcha,
— Oui, je devrais un jour assister au Doudou[1]… Cela me ferait peut-être l’effet d’un exorcisme, on ne sait jamais.
Rassurée par la réaction de la jeune femme, Marianne finit par prendre congé.
— Allez, je te laisse passer le restant de la soirée avec mon fils, je l’ai refoulé plusieurs fois de la cuisine tu sais, il s’inquiétait.
— Tu as bien fait, je ne voulais pas qu’il me voie avec de la morve au nez et pleurant toutes les larmes de mon corps.
— Allez, vas-y !
— Oui, merci encore, Marianne.
Elle lui fit la bise avant de la regarder monter dans sa voiture et mettre le contact. Valentine rejoignit Sébastien qui discutait encore avec Françoise et Grégory sur le trottoir, devant la porte d’entrée. Son frère l’interpella,
— Eh Val, comment tu vas, petite sœur ?
Grégory lui avait pris la main et la tenait fermement dans la sienne. Valentine prit une profonde respiration avant de lui répondre,
— Ben, écoute, ça va… Je ne sais rien dire d’autre. Pas de nouvelles de papa ?
— Oui, il vient de m’envoyer un texto, il a eu du mal à la coucher… Il ne repassera pas ce soir.
Valentine hésita puis demanda à son frère,
— J’aimerais savoir Greg… Tu as des souvenirs de notre grand-mère maternelle ?
Grégory réfléchit quelques secondes et lui répondit,
— Très peu, on y allait rarement avec maman, je me souviens d’une belle femme et d’un homme, grand-père, qui était très attentionné mais toujours triste. J’ai un souvenir un peu carte postale d’un couple de contes de fées, lui tout gris et elle rayonnante comme le soleil.
Il lui serra la main. Valentine fit de même et lança, avec quelques tremblements dans la voix,
— Elle m’a dit qu’elle la haïssait Greg, et que je lui ressemblais. Et si j’ai bien compris, elle l’aurait « aidée » à mourir. Pfff quelle famille j’te jure !
Elle ravala ses larmes, elle en avait assez versé aujourd’hui … elle s’étonna même de pouvoir en produire encore.
Françoise passa derrière elle pour la serrer dans ses bras sans qu’elle n’ait à devoir lâcher la main de son frère.
— Val, on est là pour toi si t’as besoin d’aide, tu le sais, hein ma chérie.
— Oui, je le sais. Mais je crois qu’on va vous laisser Seb et moi. Je vais vous laisser ranger votre appartement, surtout que je sais bien que maintenant Greg ne pourra plus rechigner ; tout est à sa hauteur !
— Ah sœurette ! Merci pour ce soutien fraternel !
Elle leur fit la bise, suivie de Sébastien. Grégory et Françoise les regardèrent partir, Sébastien l’avait enlacée, elle se collait à lui.
Avant de rentrer dans son appartement, Grégory glissa à sa compagne,
— J’espère qu’elle s’en remettra, ma mère a été particulièrement odieuse aujourd’hui, elle n’avait encore jamais dit aussi clairement et devant témoins, qu’elle désirait la mort de Valentine.
Françoise acquiesça,
— J’espère aussi que ça ira… Note, elle s’est rapprochée de sa belle-mère, cela pourra peut-être l’aider, qui sait.
— Ce serait bien… Viens, rentre, ma poulette, le temps s’est radouci, tu vas prendre froid.
— Poulette ? Je vais t’en mettre des poulettes moi !
— Oh oui ! Plein, s’il te plaît !
Il sourit, elle éclata de rire.
[1] La ducasse de Mons ou Doudou est une fête locale basée sur des traditions ancestrales qui a lieu tous les ans, le week-end de la Trinité, à Mons en Belgique. Depuis 2005, la ducasse de Mons est reconnue comme l'un des chefs-d'œuvre du patrimoine oral et immatériel de l'humanité par l'UNESCO
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