Portrait de la femme à la fenêtre
La première fois que Lilus avait poussé les portes de cet appartement, elle s'était sentie chez elle. La visite avec l'agent immobilier avait à peine débuté lorsqu'elle lui tendit son dossier et prononça la phrase "je le prends". Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais quelque chose l'attirait ici. Le vieux plancher poussiéreux, la tâpisserie décollée par endroits, les fuites des robinets... Tous chuchottaient son prénom, l'absorbaient dans ses recoins, ses angles, ses fentes. Comme si elle avait toujours vécu ici, comme une maison de famille abandonnée au fil du temps et retrouvée bien plus tard, dans une vague de mélancolie. Et ce sentiment de familiarité ne l'avait jamais abandonnée depuis dix ans.
Ce matin, en se réveillant, elle s'était avancée vers la salle de bain pour prendre ses cachets. Face au miroir, elle s'observait toujours à la loupe, caressant du bout des doigts ses éphélides, ses fossettes, les contours de ses lèvres pâles. Elle avait toujours ressemblé à son frère, mais plus elle avançait dans l'âge, plus les similarités étaient frappantes. Il était mort lorsqu'elle était enfant, elle se souvenait pourtant tous les jours de ses cheveux roux et bouclés, son menton avancé, ses grands yeux verts. Lilus n'avait pas hérité de cheveux aussi soyeux, mais ses yeux en amandes et ses longs cils semblaient avoir été clônés sur les siens. Elle avait pourtant l'air plus faible que lui ; plus mince, plus petite, son visage était creusé par des soucis que lui n'avait jamais connus. Avalant ses pilules bleues, elle saisit la porte de la douche avant de pénétrer sous l'eau brûlante. La chaleur du liquide roulant sur la longueur de son corps la détendait toujours autant ; elle aimait se perdre dans ses pensées en respirant la vapeur d'eau. La sagesse qu'elle avait acquise avec le temps se dessinait sur ses rides faciales. Plus les cadrans des montres s'activaient, plus la vie lui paraîssait valoir la peine d'être vécue. Un flamenco tanguant, une danse folle et déséquilibrée l'avait jusqu'à présent menée ici, dans cette douche, dans cet appartement, et il devait y avoir une raison à cela. Elle ne croyait pas au hasard, mais plutôt à un genre de destin implacable, attendant d'être poussée dans les bras de l'homme qui la ferait chavirer. Tous les jours, elle regardait les passants pressés par sa fenêtre, presque toujours propres sur eux, se demandant lequel d'entre eux deviendrait sien. Mais tout le long spectatrice, elle ne remarquait pas que de l'autre côté de la rue, derrière une vitre, un amoureux faisait de même en la regardant elle.
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