Ghost story
Cette rue me semblait familière.
Je connaissais bien ces immeubles bourgeois parisiens, avec leur hiérarchie subtile et leurs habitudes surannées.
La journée était déjà bien avancée, paisible comme toutes les banales journées de ces vies sans surprise, sans histoire.
En fait, je connaissais bien, très bien cette rue, même si je ne parvenais pas à retrouver son nom. C’était une des rares allées « riches » de mon quartier plutôt populaire.
Ce peuple se retrouvait parfois dans l’immeuble vieillot et un peu crasseux de la CGT, qui n’était qu’à quelques pas de notre petit appartement.
Tout me revenait, l’immeuble devait être au bout de la rue et la maison était donc proche.
Je savais que rien ne me pressait, pourtant il y avait dans cette scène quelque chose de troublant, une inquiétante étrangeté.
Derrière cette façade paisible, se cachait une menace, une incohérence.
Je regardais cette scène avec plus d’attention, l’esprit aux aguets.
La rue était vide, mais je me rappelais que cela n’avait rien d’incongru, les rues aisées sont souvent désertes.
Quelques voitures étaient garées.
Je les connaissais bien, les deux chevaux, les DS Citroën faisaient partie du paysage.
Mais une voix intérieure me dit : « Réfléchis, c’est cela qui cloche».
Pourtant, au début des années soixante-dix de tels modèles avaient toute leur place.
Ce n’est que bien plus tard que les modèles s’étaient diversifiés.
Une pensée me cloua sur place : « Comment pouvais-je savoir ce qui viendrait ensuite? ».
Cette scène se déroulait , ou s’était déroulée, pendant mon enfance.
Pourtant, quelque chose clochait, je savais que je n’étais plus un enfant, même si, je ne connaissais pas mon âge.
Quelle année sommes-nous ?
La question avait surgi du plus profond de moi-même. Elle résonnait dans mon esprit, elle m’envahissait.
Je me mis frénétiquement à la recherche d’indices, de réponses.
Mais la rue était vide, et je ne savais où trouver cette simple information.
Devant les boutiques fermées, il y avait quelques affichettes, mais nulle date n’était précisée.
Un paquet de gâteau avait une date de péremption à demi effacée et totalement incohérente.
Soudain je pris conscience d’un regard étonné, curieux qui semblait m’observer depuis un certain temps.
Je rougis : ma folie avait dû inquiéter ou amuser ce témoin involontaire.
Rapidement, je fus rassuré : c’était une petite fille.
La petite blonde aux yeux bleus se concentrait sur sa sucette, tout en me regardant du coin de l’œil.
Elle portait une robe blanche à volants, elle semblait sortie directement d’une gravure du siècle passée.
Je pris mon courage à deux mains et demandai :
« Petite, tu peux m’aider.
— Vous cherchez quelque chose, Monsieur ?
— Oui et non, répondis-je, en fait j’ai oublié quelque chose.
— Je peux vous aider à retrouver, si vous me dites ce que vous cherchez.
— Non, je recherche la date, ou plutôt, précisais-je, l’année.
— C’est marqué à l’entrée : 1972.
— Non petite, la vraie année,
— Ah nous sommes en…
— Lulu tais -toi ! »
Surgie de nulle part, une dame blonde grande fort élégante saisit le bras de la petite fille.
La gamine résista :
« Mais, maman, j’aidais ce monsieur.
— Pas question, on s’en va, cria la belle blonde.
— Mais je lui ai juste dit que la date écrite était 1972.
— On s’en va, tout de suite insista la mère.
— Votre fille ne risque rien, osais-je ajouter.
— Vous, le fantôme, on ne vous a rien demandé, éructa la mère.
— Mais maman ce n’est pas un fantôme, c’est un monsieur.
— Ah bon, alors ma fille essaye de le toucher! »
La petite fille approcha, timidement, sa main droite vers moi et … traversa mon corps , comme si je n’étais qu’une ombre !
« C’est scandaleux, s’indignait la mère. La direction est incapable de nettoyer ces déchets du passé. Je vais me plaindre ! Lulu, on t’a dit mille fois de ne pas rentrer seule dans une simulation. »
Je n’eus pas le temps de protester, tout disparut autour de moi , comme un brouillard qui grignotait cette « réalité ».
Un texte explication, ou d’excuse, se mit à lentement défiler.
Vous êtes tombé dans un trou, sur un lien cassé, une info évaporée, une nouvelle disparue...
J’espère que vous ne vous êtes pas fait mal, que vous n’êtes pas trop désemparé...
Votre visite sur cette page me désole...
Reconnaissez
que pour quelqu'un qui n'a pas de visage
et qui travaille dans l'ombre sans jamais voir la lumière des projecteurs,
ce n'est pas le plus beau des rôles disponibles.
Je ne vais pas vous dire « A bientôt »,
vous penseriez que je suis maso,
mais si je sens que vous commencez déjà à mieux me comprendre,
ça me console
et ça me donne presque envie de vous revoir !
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