Onwas
Les ors de l'aube se reflétaient sur les eaux salées du lac Eyasi, poursuivant leur course jusqu'aux remparts de la vallée du Grand Rift : territoire des Hadzabes, un peuple nomade d'environ mille individus attachés au mode de vie de leurs ancêtres.
Onwas sentait la caresse de l'astre solaire sur ses paupières mi-closes retenues par le rêve mouvementé d'une partie de chasse nocturne. Certaines nuits, son esprit revivait des scènes d'un passé ancestral dans des corps-à-corps sauvages, sa chair perforée par des crocs acérés ou des épines d'acacias à pointe, flore dominante de cette région. Le jeune homme se réveilla en sursaut et reprit pied dans la réalité : personne ne s'aventure seul la nuit dans la brousse. La traque nocturne est une affaire de groupe, menée seulement quelques fois par an.
Au camp, les gens dorment quand ils veulent. Certains restent debout une grande partie de la nuit et somnolent pendant la chaleur de la journée. Lorsque Onwas s'abandonne à l'appel engourdissant du sommeil, un de ses amis veille à le protéger des dangers environnants. Depuis toujours, la quiétude de la communauté repose sur cet accord. Nul ne nomme « confiance » cette faculté vitale qui les lie si étroitement les uns aux autres.
Son corps endormi en position fœtale s'éveillait à la vie dans une nouvelle présence au monde. Par de longs étirements de son torse, de ses bras, Onwas semblait rendre au ciel un hymne à la force. Le dessin de ses muscles laissait deviner une attitude agile et athlétique. Le jeune chasseur-cueilleur parcourait quatre à sept kilomètres par jour à la recherche de baies, de miel et de petit gibier. Sur sa route, il aimait converser avec un oiseau guide de miel, siffler avec lui jusqu'à ce qu'il le conduise vers une ruche grouillante. De son passage furtif, la nature ne gardait aucune empreinte.
Les Hadzabes ne cultivent pas la terre, ils n'ont ni bétail ni abris permanents. Leur tribu vit sans possessions : les seuls objets rudimentaires qu'ils détiennent peuvent être enveloppés dans une couverture et portés sur une épaule. Aucun n'a plus de richesse que l'autre ; aucun n'a plus de pouvoir sur l'autre.
Un seul questionnement reste présent à l'esprit du chasseur-cueilleur : Vais-je manger demain ? Est-ce que quelque chose me mangera demain ? Bien que cette incertitude pèse sur son existence, Onwas ne s'inquiète de rien. Il ne sait rien de la terre au-delà mais il sait tout ce qu'il y a à savoir sur la brousse.
Dans cette partie du monde, le sol est saumâtre, l'eau douce est rare. Ainsi, peu d'étrangers franchissent les frontières de cette terre inhospitalière. Quelques lunes en arrière, une tribu d'agriculteurs dépossédés de sa récolte, arriva au camp où elle s'installa le temps d'un asile temporaire. La cohabitation animait différemment les habitudes de chacun et amenait de nouvelles discussions.
Le jeune chasseur se demandait pourquoi faire pousser de la nourriture ou élever des animaux quand cela est fait naturellement dans la brousse. Quand ils veulent des baies, ils marchent vers un arbuste à baies. Quant à la viande dont ils ont besoin, elle est gardée dans le plus grand enclos du monde : leur terre.
Cette vision de la vie avait séduit Mataiyo conscient que les efforts fournis par les siens n'étaient pas récompensés par les grâces du ciel. Y avait-il un dieu ? Avant d'avoir connu la famine, il n'en doutait pas. Il n'aurait jamais osé critiquer l'agriculture ou l'élevage, piliers fondateurs de leur communauté. À présent, il aimait accompagner Onwas dans sa course silencieuse. Mataiyo découvrait un art de vivre inconnu et se demandait à quel Dieu se vouait son ami.
« Dieu est aveuglément brillant, extrêmement puissant et essentiel à la vie. Dieu, c'est le soleil. » lui avait répondu simplement le chasseur.
Mille, l'épouse d'Onwas, fut la seconde à se réveiller. Vêtue d'un T-shirt sans manches et d'une étoffe à motif floral, enroulée autour d'elle comme une toge, elle scrutait l'horizon d'un air serein. Son regard souriant plongea dans les yeux d'Onwas. Elle aimait souvent s'attarder dans ce rayon de lumière matinale, pieds nus dans la poussière, admirant l'allure athlétique de son compagnon.
Un peu plus tard, Mille rejoindrait les autres femmes du camp pour préparer la prochaine nuit de l'épème, une nuit sans lune où les femmes chantent tandis que les hommes, un à un, enfilent une coiffure à plumes, attachent des cloches autour de leurs chevilles et s'élancent dans une danse rythmée. Les ancêtres, dit-on, sortent alors de la brousse pour se joindre à la danse.
Peu à peu le camp s'animait. Onwas saisit son arc et l'étui qui contenait ses flèches empoisonnées. Il aperçut au loin la démarche enjouée de Mataiyo. Complices, les deux hommes s'éloignèrent dans l'immensité sauvage.
Loin de la Tanzanie, à des milliers de kilomètres au-delà des frontières du territoire Hadzabe...
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