CHAPITRE I - Monsieur Brak
La mise en activité du premier centre de purification scolaire s’était accompagnée d’un mouvement massif de grèves dans la plupart des milieux sociaux. Le peuple n’adhérait pas à cette idée mais le corps enseignant et la police validaient complètement le principe : rendre les établissements scolaires sécuritaires et adaptés aux apprentissages. Le dossier CPS s’était ouvert suite à l’agression mortelle qui avait frappé un enseignant. Ces centres étaient des endroits où étaient envoyés les élèves qui posent problème dans le cadre scolaire. Ils y réapprennent à vivre en collectivité et à travailler à l’école. La mise en place de ces centres avait été proposée par le président lors d’un débat à la télévision qui l’opposait à l’Association Nationale des Parents d’Elèves.
—Bonsoir à tous nos téléspectateurs ! nous vous présentons ce soir un débat sur le nouveau décret de mise en route des centres de purification scolaires. Nos invités sont notre président et la représentante de l’Association nationale des parents d’élèves. Bonjour à vous ! annonça le présentateur.
—Bonsoir mes chers concitoyens ! nous allons aller directement au cœur du sujet. Il est inacceptable que des fonctionnaires de l’état et les autres élèves aient à subir de telles violences que celles qui ont frappé M. Robert le mois dernier.
—Ces violences sont marginales ! Nous ne pouvons pas stigmatiser tous les élèves en difficulté scolaire de la sorte. Répliqua vivement la représentante de l’ANPE.
—Il ne s’agit pas de stigmatisation ! mais d’un simple accompagnement personnalisé pour les élèves qui apportent leurs problèmes à l’école. Répondit le président.
—Ah bon ? N’est-ce pas de la stigmatisation que d’envoyer spécifiquement ces enfants ailleurs que là où sont les autres ? N’est-ce pas de la stigmatisation que de les catégoriser de la sorte sur des facteurs aussi subjectifs ? N’est-ce pas de la stigmatisation de …
Le président la coupa et s’engagea sur une explication plus précise du fonctionnement des CPS tandis que le présentateur échouait à faire l’arbitre entre ces deux personnalités.
—Non ! Il s’agit de les aider à revenir auprès de leurs camarades dans de bonnes conditions pour eux et pour les autres. En aucun cas il n’est question de stigmatiser ! sinon nous avons stigmatisé les ULIS dans les années 2000 !
La représentante de l’ANPE ne semblait pas être en accord et le fit savoir en levant le ton.
—Ecoutez tous ! Ici il est question de parler de la liberté de nos enfants ! ils seront enfermés dans des camps de prisonniers où l’on va leur laver le cerveau, en faire de bons moutons ! Nous ne devons pas les laisser faire !
—Du calme … commença le président.
—Non je ne me calmerai pas ! il y a des millions d’enfants concernés, qui seront un jour des citoyens qui devront décider du devenir de notre société ! Nous devons protéger leur diversité !
Le débat prit fin sur ces propos chargés en émotions. Le président quitta le studio de télévision rapidement pour préparer l’inauguration du premier CPS le lendemain matin. L’inauguration se passa sous surveillance de l’armée ce qui mit le feu aux poudres à nouveau. Les journaux indiquaient « Ouverture du premier camp de persécution scolaire » ou encore « Les CPS : calamité du 22ème siècle »… Aucune autre intervention du président ou du gouvernement sur ce sujet n’eut lieu mais l’ouverture fut quand même largement commentée dans les établissements, où la mesure était validée de toute part. Seuls les professeurs d’Histoire-Géographie entrèrent en grève.
La première semaine d’application dans le collège de monsieur Brak se passa bien, aucun élève ne fut sanctionné pour un comportement incorrect qui entrait dans le cadre du décret. La semaine suivante en revanche, un des élèves de monsieur Brak eut le mauvais gout de gifler un de ses camarades de classe pour un soucis de trousse.
—Eh ! Louis ! Arrête-toi immédiatement !
—Mais … commença le dénommé Louis.
—Pas de Mais ! viens chercher ton bulletin orange et file voir le CPE.
Monsieur Brak s’en voulait d’inaugurer le bulletin orange sur Louis qui était agité mais pas tellement violent habituellement. Cette fois il avait atteint le seuil de signalement au CPS le plus proche. Louis se rendit au bureau du CPE et présenta son bulletin orange.
—Ainsi donc tu es un pionnier ? demanda le CPE.
Louis ne savait pas vraiment quoi répondre, il sentait que l’ambiance avait un peu changé. Le cours de monsieur Brak s’était poursuivi normalement et sans plus de perturbations. Une voiture noire arriva au collège et stationna près de l’entrée. Deux hommes en sortirent, ils étaient habillés d’un pantalon noir et d’une chemise blanche associée à une cravate noire. Ils entrèrent dans le bureau du CPE où le,jeune Louis attendais assis.
—Bonjour ! Nous venons pour récupérer le jeune Louis B.
Le concerné les fixait désormais, un léger sentiment de peur dans les yeux. Il les suivit en silence, le CPE ne lâcha aucun mot. Il ouvrit la porte de son bureau aux deux hommes.
—Bonne journée. Dirent en chœur les deux fonctionnaires qui sortaient.
Les jours continuaient à défiler, l’actualité changeai et se tournai désormais sur l’émergence d’une souche antibio-résistante de la tuberculose qui faisait des ravages en région parisienne. Les effets du CPS n’étaient plus au cœur des discussions et seul les parents concernés s’inquiétaient de voir leurs enfants retirés quelques jours voire plus dans certains cas.
Dans l’établissement de monsieur Brak, situé en Bretagne, deux autres élèves avaient reçu un bulletin orange et avaient été envoyés en CPS. Ils en étaient revenus une semaine plus tard, le regard vidé et totalement calmes. Ils n’avaient jamais été aussi calmes. Monsieur Brak commença à se faire du souci quand il reçut un mail de la famille de Louis.
«
Monsieur Brak,
Je suis la maman de Louis, que vous avez envoyé en CPS il y a de cela quelques semaines. Je souhaiterai savoir si vous pouvez m’indiquer où il se trouve. Il est inadmissible de ne pas revoir notre enfant pendant une si longue période. Où est-il ? Qu’a-t-il fait ?
Je vous demande donc par le présent mail de nous voir demain soir mercredi, pour discuter du problème et faire retirer son bulletin orange. »
Ainsi Louis n’était pas rentré. Le rendez-vous avait eu lieu et monsieur Brak avait du s’exprimer au sujet de son bulletin orange.
—Bonsoir madame ! salua Monsieur Brak.
—Bonsoir. Parlons-peu, parlons-bien ! rendez-nous notre fils ! hurla la mère de Louis.
—Madame, calmez-vous, il a été admis en CPS… commença monsieur Brak.
—Justement ! Dans quel CPS ? pour quelle durée ?
—je ne peux pas vous répondre, et ce pour deux raisons. La première est que ma position de professeur ne me donne pas le droit de parler du CPS et la seconde est que je n’ai aucune information.
—Dites moi où est mon fils ! ! s’emporta la mère de Louis.
L’absence de réponse du professeur signa la fin de l’entretien, la mère de Louis descendit au bureau du principal et lui asséna une masse de paroles aussi douces que des chants d’oiseaux. Il fallut l’intervention de trois autres enseignants pour faire sortir la mère de l’établissement. Le principal se rendit en gendarmerie pour déposer un signalement de non-retour de Louis suite à l’entretien avec sa mère. La rencontre avec les gendarmes ne conduisit à rien du côté du principal.
Quelques jours plus tard, les journaux commençaient à raconter les quelques cas de kidnapping par le CPS de certains enfants, 4 dans la région bretagne sur un mois. Le petit Louis faisait partie de ces disparus du CPS. En réponse à ces articles, de nouveaux personnels furent adjoints aux établissements, ils étaient dédiés au lien entre les CPS et les établissements. Le temps passa encore et les articles mentionnant ce genre de cas se faisaient de plus en plus rare de telle sorte que les gens pensaient que ces histoires avaient été réglées et ne se reproduisaient plus. Monsieur Brak n’avait jamais vu revenir Louis du CPS. Le mois de décembre arrivait et cela faisait désormais trois mois qu’il était envoyé là-bas. Monsieur Brak s’étonnait particulièrement de ne plus avoir de nouvelles des parents. Il alluma son ordinateur et rédigea un mail à la mère de Louis dont il avait toujours l’adresse.
« Madame, Monsieur,
Je vous contacte pour savoir ce qu’il est advenu de votre fils Louis qui avait été expédié en CPS. Je m’inquiète de ne pas le voir revenir, l’avez-vous envoyé dans un nouvel établissement ? Est-ce pour cela que plus personne n’en parle au collège ?
Tenez-moi au courant,
Monsieur Brak. »
Deux nouvelles journées passèrent, aucune nouvelle des parents n’arriva dans le mail de monsieur Brak. La semaine des conseils de classe était entamée et le conseil de la classe de Louis avait lieu ce soir-là. Monsieur Brak, en position de professeur d’Histoire y était convié. La discussion avançait, les problèmes de classe furent traités puis furent passés en revue les élèves au cas par cas. Le tour de Louis ne survint pas.
—Pourquoi n’abordons-nous pas le cas de Louis ? demanda monsieur Brak surpris.
—Le cas de Louis ? il n’est plus inscrit dans l’établissement. Nous ne pouvons pas perdre de temps sur ce dossier. Répondit le professeur principal.
—Je confirme votre réponse ! insista le principal.
Monsieur Brak ne continua pas et nota de renvoyer un mail à la mère de Louis. Le conseil se termina tard et quand monsieur Brak rentra chez lui, il avait un mail. Les parents de Louis avaient répondu.
« Monsieur,
Nous n’avons pas de fils, je suis désolé mais vous devez vous tromper de personnes. Vérifiez l’adresse mail car vous avez fait une erreur. »
Monsieur Brak était terrifié, il se passait quelque chose d’anormal avec le CPS. Le lendemain matin il se rendit à la gendarmerie et exposa les faits. Les gendarmes contactèrent l’administration du CPS et notèrent l’adresse du professeur qui allait recevoir leur visite pour comprendre ce qui se passait.
Le soir même, une voiture noire se gara devant la maison de monsieur Brak, deux hommes en chemise blanche sortirent de la voiture et s’approchèrent de la porte. Ils sonnèrent et entrèrent sans demander l’autorisation.
—Bonsoir ! Qui vous a permis d’entrer ? demanda monsieur Brak.
—Nous avons pris ce droit nous-mêmes. Indiqua l’un des deux individus.
—Et en quel honneur ?
—Venez avec nous, nous allons vous montrer où est Louis. Intervint le second homme.
Sentant que la situation prenait un air de rafle, monsieur Brak se plaça sur la défensive et répondit.
—Non merci. Ça ira, sortez de chez moi !
—Cela ne va pas être possible… soupira le premier homme en avançant et se saisissant du bras de l’enseignant.
Monsieur Brak fut contraint par la force d’entrer dans la voiture. Une fois installé à l’arrière entre les deux hommes, la voiture démarra, conduite par un troisième homme. Une vitre intermédiaire entre l’avant et l’arrière se leva, les deux hommes autour de monsieur Brak s’équipèrent d’un masque à gaz.
—Que ? pourquoi enfilez-vous ces … commença monsieur Brak en toussotant.
Une vapeur étrange entrait dans les bronches de monsieur Brak, il ne parvenait plus à respirer. L’homme à sa droite commença à parler tandis que monsieur Brak se débattait désespérément pour respirer…
—Ne vous en faites pas, tout va bien aller …
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