Chapitre 1

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– On arrive dans dix minutes, m'informe la voix de ma mère.

Je me retiens de soupirer et tourne la tête vers la fenêtre afin de lui cacher le trouble qui est en train de s'installer de plus en plus en moi à mesure que nous approchons de notre destination. Je ne peux m'empêcher de repenser à tout ce qui m'a amené à ce moment.

Avant, j'étais une fille comme les autres, brune, de taille normale, prunelles couleur noisette, une bande d'amis avec qui je trainais tout le temps...bref je me fondais plutôt bien dans le décor. Jusqu'à cet accident il y a deux ans qui m'a rendu achromate et qui a ôté toute couleur à mon quotidien, réduisant ma vie à différentes nuances de gris.

J'étais naïve au départ à me dire que rien d'autre n'allait changer. Mes soi-disant amis n'avaient pas tardé à me trouver bizarre alors que des gestes simples étaient maintenant pour moi de véritables combats. J'étais devenue la fille qui ne pouvait pas coordonner ses vêtements, qui devait plisser les yeux pour voir quand il y avait du soleil, qui ne pourrait jamais conduire...

J'ai terminé mes années de lycée à Brentwood seule à cause de ma différence. C'est pour cela que ma mère m'avait offert cette nouvelle possibilité cette année : aller habiter chez sa meilleure amie à Santa Monica pour entrer dans une université où je ne connaitrais personne. Je n'ai pas hésité longtemps. Je connais très bien Sophie qui vient de temps en temps nous rendre visite. J'ai pris ça comme l'occasion de commencer une nouvelle vie sans que personne ne nous connaisse mon histoire et moi. Et je suis bien déterminée à cacher ma différence là-bas. Seule Sophie est au courant. Elle a un fils, Eyden, âgé de dix-neuf ans, qui ne l'a jamais accompagné à Brentwood et que je ne connais donc pas, mais elle m'a assuré que si c'était ce que je désirais, elle ne le mettrait pas au courant. C'est toujours ça de gagné.

Ma mère et Sophie ont tenu à ce que j'arrive deux semaines avant la rentrée, le temps de m'acclimater à Santa Monica. Même si les deux villes sont relativement proches, je n'y suis jamais venue et ses grandes plages ont aussi grandement contribué à mon désir de changer d'air.

Mais voilà que je me mets à stresser. Je ressens soudainement la peur de ne pas réussir à cacher mon achromatopsie et que tout recommence dans cette nouvelle ville. J'inspire un grand coup pour me donner du courage. Avec mes lunettes de soleil adaptées à ma vue, je n'allais pas devoir loucher comme une dingue pour distinguer le moindre objet. Personne ne peut deviner ma pathologie si simplement, si je fais attention, elle peut passer inaperçue.

– Nous y voilà.

L'annonce de ma mère me sort de mes pensées. Nous sommes garées devant une grande maison plutôt moderne. Elle semble accueillante et je commence à me détendre un peu. Ma mère me fait un sourire encourageant avant de sortir de la voiture pour ouvrir le coffre et m'aider à décharger mes bagages. Sophie, qui devait guetter de notre arrivée, sort pour venir nous souhaiter la bienvenue.

– Alice ! Hana ! Comme ça me fait plaisir de vous voir ici !

Cela suffit à enlever mes dernières traces de gênes. La joie de Sophie est vraiment contagieuse et son enthousiasme me redonne un regain de confiance pour l'avenir. Mon hôte me guide jusqu'à ma chambre pour que je puisse poser mes affaires. J'examine ce qui sera mon nouvel espace de vie pour un bon moment. La pièce est dans des tons clairs et fait presque le double de ma chambre à Brentwood. Un grand lit deux places trône dans un coin de la pièce et je ne peux retenir une exclamation de surprise en constatant que je possède un mini balcon pour moi toute seule. Je m'empresse d'ouvrir la porte fenêtre menant à l'extérieur et le vent marin me parvint aussitôt, se faufilant dans mes cheveux. Un sourire béat se colle aussitôt sur mon visage.

– Le balcon juste à côté du tien mène à la chambre d'Eyden, m'explique Sophie. Tu le verras ce soir, il est sorti avec des amis cet après-midi.

Je hoche la tête même si rencontrer son fils n'est pas en premier sur l'ordre de mes priorités. Je suis bien plus fascinée par ce paysage qui s'étend devant. A vue d'œil, je me dis que la mer doit se trouver à un kilomètre et demi de la villa, ce qui me permettra d'y aller à pied très facilement. Pendant un instant, je me demande à quoi ressemblerait ce que j'ai sous les yeux en couleurs. Le bleu était ma couleur préférée avant.

Je secoue la tête pour abandonner cette idée, ça ne sert à rien de courir après un rêve inatteignable. Je retourne dans ma chambre pour constater que ma mère et Sophie sont redescendue en me laissant mon intimité pour m'installer. Je sors un combi-short de ma valise, le jean que j'ai mis pour partir est bien trop chaud pour le temps qu'il y a ici. Après m'être changé, je décide d'aller faire un tour dans le quartier, j'aurais bien le temps de défaire ma valise plus tard. Et puis ma mère repart le lendemain alors je vais la laisser parler un peu seule à seule avec son amie.

Je les avertis donc que je pars faire un tour tout en promettant de faire attention à ne pas me perdre et me dépêche de me faufiler dehors. Je suis toujours plus à l'aise dans la nature qu'enfermée. Tout à l'air plus lumineux ici, je le vois au gris plus clair qui domine le paysage, et je suis bien contente d'avoir pensé à prendre mes lunettes. Vingt minutes plus tard, c'est tout naturellement que je découvre que mes pas m'ont porté jusqu'à la plage. Je respire à pleins poumons cet air salé si caractéristique. J'enlève mes Converses pour continuer à marcher pieds nus dans le sable.

Naturellement en cette saison, la plage est pleine de monde. Je marche donc le long de la mer avec l'eau m'arrivant au niveau des chevilles, faisant abstraction des cris des vacanciers pour me concentrer sur le bruit du vent et des vagues.

Soudain, je ressens un brusque coup dans l'épaule qui me déséquilibre et me fait tomber dans la mer. Je suis en train de me relever et d'essayer d'enlever en vain le sable qui est désormais collé à ma tenue quand un grand brun aux yeux clairs qui semble tout droit sorti d'une pub Play boy s'avance vers moi pour récupérer sa balle de volley qui vient de me heurter.

– Merci d'avoir arrêté la balle, princesse, me sort-il avec un clin d'œil sans s'excuser.

Je lui lance mon regard le plus meurtrier et m'apprête à lui balancer ses quatre vérités en commençant par son arrogance mais c'est peine perdue, il est déjà parti rejoindre sa bande d'amis. Après une seconde d'hésitation, je décide que ça n'en vaut pas la peine et commence à faire demi-tour, clairement redescendue de mon petit nuage. On ne peut pas dire que ma première visite de la plage était une réussite, j'espère que les prochaines fois seront plus calmes.

Si seulement j'avais su ce qui m'attendait alors...

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