Le départ de ma mère le lendemain après-midi lui arrache quelques larmes alors que je retiens les miennes pour me montrer forte. Il est prévu qu'elle vienne et que nous allions la voir quelques fois pendant les vacances scolaires. 

Je décide d'aller me balader dans le centre-ville cette fois pour découvrir un peu la zone. Je vais alors en informer Sophie, qui doit aller travailler puisqu'elle n'a posé que sa matinée. 

– Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir te faire visiter la ville ma puce. Mais je suis sûre qu'Eyden se fera un plaisir de te montrer les environs, n'est-ce pas ?

Elle se tourne vers son fils avec un regard sévère à la fin de sa phrase. Ce dernier me lança un regard meurtrier, comme si j'y étais pour quelque chose, mais grogna tout de même :

– Ouais, si tu veux.

Il sort de la maison sans m'attendre et j'ai juste le temps d'attraper mon portable ainsi que mon portefeuille comme il s'éloigne déjà à grandes enjambées. Je suis obligée de trottiner pour parvenir à le suivre. Il me traine comme ça pendant une dizaine de minutes jusqu'à ce que l'on parvienne à une grande rue. Il s'arrête brusquement et se tourne vers moi sans que je m'y attende, s'y bien que je lui fonce accidentellement dedans. 

Il grogne de nouveau avant de me pousser légèrement pour me décoller de lui. Plus je passe de temps avec lui et plus je trouve qu'il ressemble à un ours grincheux. 

– Voilà, tu es dans la rue principale. Tu vas réussir à te retrouver toute seule comme une grande maintenant ou tu vas continuer à me coller aux basques. 

– C'est drôle, tu n'osais pas vraiment la ramener devant ta mère tout à l'heure, je le raille. Où est passé son petit bichon docile qui obéit gentiment ? 

Je vois sa mâchoire se serrer mais je n'ai pas le temps de m'en inquiéter qu'une voix nous coupe en pleine dispute. 

– Eyden ! Qu'est-ce que tu fais là ?

Une grande fille s'approche alors de nous.

– Oh excuse-moi, je n'avais pas vu que tu n'étais pas seul. Salut, moi c'est Rose, la meilleure amie de cet énergumène qui crie beaucoup mais qui mord rarement.

– Rose, gronda l'ours en avertissement. 

Cela ne suffit pas à m'ôter mon sourire amusé. 

– Ravie de te rencontrer. Je suis Hana. Je vais habiter avec cet énergumène et sa mère qui heureusement est un ange cette année.

– Tu ne m'avais pas parlé de ça Eyden, fait-elle en haussant un sourcil. 

Nous avons droit à un nouveau grognement en réponse. 

– Il parle uniquement par grognement. C'est une sorte de code ou quoi ? je demande à Rose en me détournant de l'intéressé. 

Elle rit à ma remarque. 

– Si seulement ! Il a ses phases on va dire. 

– C'est bon, vous avez terminé ? 

Il se tourne vers moi avant d'ajouter. 

– C'est bon, tu es déjà restée assez longtemps, tu peux te casser maintenant.

Je fronce les sourcils ? Non mais c'est quoi son problème à lui ? Il est incapable d'avoir une discussion normale avec quelqu'un ou quoi ? 

Nous nous tournons tous les trois en entendant des voix un peu plus loin crier le nom d'Eyden. J'aperçois des mecs tatoués, bandanas au front et jeans troués en train de fumer ce qui ne doit pas être de la simple nicotine à mon avis. Ils font signe à Eyden de les rejoindre, ce qu'il s'empresse de faire après donne une tape amicale sur l'épaule de Rose. Si je ne connaissais pas le personnage, je penserais presque que cette tape sonnait comme un geste d'excuse. 

Une fois arrivé près d'eux, ils se tourne vers nous et je vois ses lèvres former une phrase que je comprends sans mal. Je t'avais dit que j'étais un loup. Je suis reste donc seule avec Rose tandis qu'un silence s'installe. Elle pousse un soupire las, comme si ce genre de scène n'était pas rare, avant de se tourner vers moi. 

– Un Starbucks, ça te dit ?

Je réponds à son sourire par un hochement de tête. 

Une fois installées devant nos milkshakes, nous parlons un peu de nos vies. Je lui raconte que je viens ici faire mes études de droits pour changer d'air sans toutefois en préciser la raison. Je lui parle de ma vie à Brentwood seule avec ma mère car mon père est parti avant ma naissance. Elle me demande si ça ne me fait pas un vide mais j'avoue que j'évite d'y penser. Cela m'a permis de tisser des liens très forts avec ma mère. Et puis si ce type n'a pas voulu de moi avant que je naisse, il serait sûrement parti lorsque je suis devenue défectueuse. Je ne le précise pas à Rose cependant.

J'apprends qu'elle est en fac de langue dans la même année qu'Eyden. Elle me propose de la rejoindre pour manger avec elle le midi, ce qui me fait plaisir. C'est rare que je sociabilise si rapidement avec quelqu'un et j'aime déjà énormément le caractère de Rose. 

Au bout d'un moment de la conversation, elle se mord la lèvre d'un air gênée avant de me dire d'un ton hésitant :

–  Tu sais, il n'a pas toujours été comme ça. Eyden je veux dire. Enfin tu vois, grossier et à se droguer. Il était clean et très souriant avant. C'est pour ça que je reste avec lui même si tous les autres l'ont lâché. Oh je ne les blâme pas, il l'a bien mérité vu la façon dont il les a traités. Mais je me dis que pour avoir changé autant que ça, l'incident devant avoir une ampleur pour lui que nous ne pouvions même pas imaginer si nous ne l'avions pas vécu par nous-mêmes.

Je hoche la tête. Je ne demande pas "avant quoi ? " car je sais qu'il est trop tôt pour ça mais même sans ça, je pense comprendre un peu dans le fond. Elle me parait être très censée et réfléchie, ce qui me change de mes anciens amis. Peut-être que je pourrais retenter l'expérience ici, une dernière fois. 

Rose m'annonce alors qu'elle a un rendez-vous et qu'elle doit me quitter. 

–  Je suis vraiment désolée, je passais vraiment un bon moment avec toi, c'est cool que tu viennes t'installer dans le coin. Attends, tiens !

Elle sort son téléphone pour que j'y rentre mon numéro et me promet qu'elle me recontacte bientôt avant de s'en aller. 

Je fais demi-tour pour regagner également mon nouveau chez moi tout en réfléchissant à tout ce que j'ai appris cet après-midi. Si ce matin encore je pensais qu'Eyden était un gros rustre sans manières, je comprends maintenant que tout cela cache quelque chose de bien plus profond. Et sur tout le chemin du retour, je ne peux m'empêcher de m'interroger. Qui est vraiment Eyden ?