Chapitre 12
— Tu as quoi ?
Rose écarquille comme je viens de lui déballer toutes mes mésaventures avec Eyden depuis le début de mon séjour. Elle m'a rappelé en sortant de boite, paniquée, et m'a donné rendez-vous au café ce soir. Je la vois hésiter entre incrédulité et fou rire mais c'est finalement ce dernier qui l'emporte.
— Tu es folle de provoquer Eyden comme ça, il a réglé leur compte à beaucoup pour moins que ça.
Je roule des yeux.
— Sérieusement ? Il faut qu'il apprenne à contrôler ses nerfs.
— Oh mais il les a contrôlés avec toi, crois-moi. Tu as touché à son point le plus sensible en dégainant cette photo et tu as juste obtenu un "tais-toi". Il s'est bien plus attaché à toi que je ne l'aurais pensé.
Je la dévisage, interloquée.
— Eyden ? Attaché à moi ? Ce n'est pas l'impression que j'ai eue quand il a attendu le dernier moment pour intervenir en boîte avec Timothy.
— Je m'excuse encore à propos de ça Hana ! Si tu savais comme je m'en veux, Eyden nous a passé un savon avec les filles quand il a su qu'on t'avait laissé toute seule pendant la soirée.
Il avait fait ça ? Vraiment ? Je pense que Rose a remarqué mon air dubitatif puisqu'elle poursuit :
— Je t'assure que ça fait longtemps qu'il n'a pas été aussi prévenant avec quelqu'un Hana. Tu l'intrigues et rien que le fait qu'il cherche à te connaitre à travers ton passé le prouve.
Je sirote pensivement ma boisson. C'est vrai qu'il m'avait dit le premier jour qu'il comptait m'ignorer mais c'est loin d'être le cas. Sinon, pourquoi m'aurait-il proposé ces leçons de natation ? Pourquoi m'aurait-il donné son numéro de téléphone en cas de problème ? Est-il possible qu'il soit autant intrigué par moi que moi par lui ? Je repousse ces interrogations à plus tard comme je n'ai pas assez d'éléments de réponse dans l'immédiat.
— Peu importe, il faut que j'y aille Rose. J'ai dit que je serais rentrée pour vingt-deux heures.
Elle hoche la tête et m'accompagne sur un bout du chemin avant de me saluer.
J'ai mangé avant de partir alors je regagne directement ma chambre, surtout que Sophie est encore de garde ce soir. Je m'empresse de me changer avant de gagner mon balcon. J'aime contempler les étoiles avant de me coucher.
J'ai la surprise de trouver Eyden en train de fumer une cigarette sur le sien. Il jette sa cigarette et l'écrase dès qu'il m'aperçoit.
— C'était bien avec Rose ? me lance-t-il.
Je hausse les épaules.
— Pas mal ouais. On a papoté en buvant un coup dans un bar.
— C'est pour ça que mes oreilles ont sifflé toute la soirée.
Un sourire amusé m'échappe.
— Sûrement, mais pas pour les raisons que tu imagines. En fait Rose a émis l'absurde hypothèse que tu puisses être intrigué par moi.
Il se penche par-dessus son balcon pour se rapprocher de moi.
— Et pourquoi est-ce que ça ne pourrait pas être le cas ?
Je le dévisage un instant. La réponse est évidente. Il a un corps d'Apollon, une dévotion pour ses proches et une grande intelligence, même s'il s'amuse à la cacher la plupart du temps pour une raison inconnue. Et de l'autre côté il y a moi. Je suis tellement loin de ces adolescentes sociales qui savent s'amuser. Je suis le genre de fille à aimer la nature qu'il doit certainement trouver barbante.
— Je ne vois pas ce qu'il y a d'intéressant en moi. Tu as bien vu à quel point j'ai du mal à m'intégrer. Je me sens mal à l'aise en boîte alors que toutes les filles de mon âge s'amusent, je ne me maquille pas, je ne cherche même pas à soigner mon look ou à plaire. Je suis plutôt morne comme fille à côté de toutes celles qu'il y a à Santa Monica.
Eyden me regarde droit dans les yeux lorsqu'il déclare d'un ton rempli à la fois de tendresse et de fermeté :
— Oh Hana, je suis désolée que tu aies cette vision de toi, mais crois-moi, ce n'est pas du tout la vision que les gens ont de toi. Ce n'est pas parce qu'on sort des conformismes sociétaux qu'on n'est pas normal. Il ne faut pas penser que parce que tu n'es pas une femme stéréotypée, tu n'es pas une femme, tu n'es simplement pas l'objet sexuel que les hommes attendent de toi d'habitude. Et c'est ce qui fait ta force. Tu préfères rester intègre que d'essayer de faire semblant d'être quelqu'un que tu n'es pas. Toi tu préfères les choses simples mais pourtant tu es loin de l'être. Tu as mille fois plus d'esprit que ces autres filles dont tu parles. Bon sang, tu ne réalises même pas à quel point ça me rend dingue. Tu me rappelles celui que j'étais avant.
Ses mots m'émeuvent au plus haut point. Il m'analyse donc bien depuis le début. Néanmoins, moi aussi je l'ai bien observé.
— Celui que tu es, je rectifie doucement.
Il secoue la tête.
— Non, celui que j'étais. Le garçon souriant que tu as vu sur la photo n'existe plus.
— C'est faux. Tu as beau de le cacher, il refait surface quand tu lâches prise.
Je repense à ces quelques moments où il paraissait détendu et les mots de Rose me traversent de nouveau l'esprit. "Tu l'intrigues Hana". Je fixe un instant ses lèvres avant de tester cette théorie en passant ma main derrière son cou pour l'attirer à moi et coller mes lèvres aux siennes. Il ne tarde pas à répondre avec une certaine douceur que je n'aurais pas soupçonnée de sa part. Nous nous séparons seulement lorsque nous sommes à bout de souffle et mon cœur rate un battement en voyant l'intensité de son regard.
— Attention à ne pas te brûler les ailes douce Hana. Tu joues avec le feu.
— Je sais ce que je fais, j'affirme avec plus de certitude que je n'en ai en moi.
— Alors Roxane s'est finalement abandonnée à Usbek ? lâche-t-il avec un sourire malicieux.
— J'ai changé d'avis, Usbek n'est pas celui qui te correspond, je réponds sur le même ton.
— Ah oui ? A qui penses-tu alors ?
— Un balcon, une belle fille, ça ne te rappelle vraiment rien ?
Un sourire le gagne lorsqu'il comprend ma référence à Shakespeare. Un rire sort du fond de sa gorge et je frissonne en écho. Sa main remonte une dernière fois le long de ma nuque avant de caresser une de mes longues mèches brunes.
— Bonne nuit douce Hana.
Puis il se détourne en me laissant tremblante sur mon balcon. Je regagne ma chambre et je m'étonne de trouver le sommeil si rapidement, la sensation des lèvres d'Eyden encore présente sur les miennes.
Pendant la nuit, j'entends de l'agitation dans la chambre à côté de la mienne mais le sommeil me rattrape rapidement avant que j'aie le temps de me poser le plus de questions. Et le lendemain matin lorsque je me réveille, je découvre un papier accroché à la vitre de mon balcon.
Hana. Mon comportement va sûrement te paraitre celui d'un salaud mais crois-moi, les choses se passeraient différemment si elles ne dépendaient que de moi. Je t'avais prévenu que trainer avec moi était dangereux. On dit que "tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels" mais crois-moi, j'aurais préféré être un autre homme si on m'en laissait le choix. Il vaut mieux que l'on garde nos distances à présent, ça vaut mieux pour nous deux. Je suis désolé. Sincèrement. Eyden.
C'est presque par réflexe que je rédige ma réponse sans même ajouter de touche personnelle au texte original de Musset.
"Toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux."
Cependant, je comprends alors qu'il me faudra chasser les démons d'Eyden avant d'envisager toute forme de relation avec lui. Mais comment puis-je l'aider alors que j'ai déjà du mal à lutter avec les miens ?
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