Aldebert

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Inventer, c’est penser à côté.

Albert Einstein

AN 28 après Dieu


 Dans sa cave, le scientifique se trémoussait au rythme de Bloody Sunday tout en inspectant le contenu de chaque éprouvette à sa portée. Tout paraissait ancien dans ce décor : le matériel, le tourne-disque, les photos en noir et blanc et, surtout, l’homme de science. Ce dernier semblait avoir vieilli prématurément. Les rides rivalisaient avec ses cernes. Ceux qui ne le connaissaient pas bien trouvaient qu’il perdait parfois la boule. C’était aussi le cas de certains de ses proches. Mais pour les autres, il restait l’un des plus brillants esprit de son époque. Quand il ne se droguait pas, bien sûr.

 — Al’, c’est toi qui a la mallette à outils ?

 Aldebert sursauta. Il se retourna et cacha précipitamment une éprouvette dans son dos. Isaac se trouvait encore dans l’escalier. Il trouvait la réaction de son père adoptif hautement suspecte. Pourtant, il ne dit rien et se dirigea simplement vers la malle qu’il avait repérée près du frigo.

 — Il est encore tombé en panne ? On devrait te prendre un appareil plus moderne…

 — Oh, Elodie m’a expliqué, je sais le réparer tout seul, maintenant.

 — Comme un grand, hein ? Dis, justement, on aura bientôt fini avec Elodie, ça t’intéresse de voir le lancement ?

 Le quinquagénaire eut une grimace partagée. Autant il était très fier des prouesses de ses protégés, autant leur domaine de prédilection lui donnait des sueurs froides.

 — Tu es sûr que ça ne risque rien ?

 — J’ai moi-même conçu l’IA d’Andromède, et Elodie ne l’a doté de rien de bien dangereux. Au pire, il suffit de presser sur un bouton pour la désactiver. Je ne vois pas ce qui pourrait mal se passer.

 Aldebert ne répondit rien mais prit un air grave. Un souvenir lui repassait en tête. Finalement, il accorda un faible sourire à Isaac avant d’engager la marche pour le suivre.

 — Tu ferais bien laisser ton LSD ici, Al’. Tu te souviens quand tu en as renversé par terre et que Tara l’a reniflé ?

 Le scientifique se figea, rouge de honte. Il fit volte-face pour déposer l’éprouvette qu’il cachait encore. Leur pauvre chienne n’avait pas à revivre ça. Pas une troisième fois.

*

* *

 Dans le salon, Elodie terminait les derniers réglages d’Andromède. Si elle et Isaac ne partageaient aucun lien de sang, leur complicité restait légendaire. Leur androïde était le fruit de leurs prouesses. Ils travaillaient dessus depuis des mois. Certes, ce type de robot prenait une part croissante dans la société d’aujourd’hui. Mais ils étaient rarement conçus par deux autodidactes comme eux. Les dons en informatique d’Isaac couplés à l’amour d’Elodie pour la mécanique n’étaient pas à leur premier coup d’éclat.

 Lorsqu’Isaac arriva, il lui tendit la mallette. À tâtons, sans quitter le dos d’Andromède du regard, Elodie reconnut le tournevis dont elle avait besoin et s’en empara. Pendant ce temps, Aldebert remontait à son tour de la cave. Il s’éclipsa dans la cuisine, direction le frigo. Il se servit d’une bouteille de soda puis, comme il était bientôt l’heure du gouter, sortit les crêpes qu’il avait cuisinées la veille. Il en mit trois au micro-ondes. Comme il ouvrait le frigo, Tara vint réclamer quelques gratouilles que le scientifique lui accorda.

 Les crêpes réchauffées, il les saupoudra de sucre et les répartit sur trois assiettes. Il allait rejoindre ses enfants adoptifs quand il remarqua deux hommes dans l’allée de jardin. Le premier était en costume noir et l’autre portait la tenue verte des militaires de l’OPI.

 — Les enfants, le Colonel et le lieutenant sont là !

 — Oh, une nouvelle affaire pour nous changer les idées ?

 — Une affaire ou juste les beaux yeux du Lieutenant Campbell ?

 Elodie répliqua à la pique d’Isaac avec un petit claquement de son essui à huile, tout en mimant un gamin qui racuspotait. Pour son frère, c’était bien une preuve qu’il visait juste. Cependant, ne désirant pas finir le visage couvert d’huile de moteur, il préféra ouvrir à leurs employeurs plutôt que de le lui faire remarquer.

 — Colonel Cornell, Lieutenant Campbell.

 — Bonjour Isaac, répondit le plus haut gradé d’une voix à la fois stricte et amicale. Nous avons une affaire qui requiert votre expertise. Enfin, surtout celle du Professeur. Il est là ?

 — Je suis là, je suis là ! Entrez, voyons ! Colonel, vous prendrez bien une crêpe ?

 Ce dernier refusa poliment sans remarquer que son sous-fifre, derrière, acquiesçait à la question silencieuse que le professeur Caul venait de lui adresser. Ils entrèrent et furent accueillis par Tara dont la queue se balançait frénétiquement de droite à gauche. La chienne se jeta presque sur le lieutenant qui ne tarissait pas de petites attentions envers elle quand il était de passage. Quand Aldebert lui confia sa crêpe, Billy Campbell dut être très rapide pour éviter que la chienne l’attrape avant lui.

 — Je vois que votre projet avance bien, Miss Caul ! s’exclama le Colonel en voyant Elodie quitter Andromède pour venir leur serrer la main.

 — Encore quelques petits réglages et elle pourra faire ses premiers pas ! T’en penses quoi, Lieutenant ?

 — Hât’ de voir cha !

 Comme il parlait la bouche pleine, le Colonel se retourna pour lui adresser un regard désapprobateur. Parfois, il avait l’impression de devoir refaire toute l’éducation de son protégé.

 — Que nous vaut votre visite, Colonel ? demanda Aldebert, de retour avec sa propre crêpe et celles de ses enfants. Oh, ne me dites pas que vous m’apportez encore un cadavre ?

 — Dans ce cas, je ne vous apporte pas un cadavre. Je vous en apporte trois.

 Isaac et Billy pouffèrent de rire tandis que le professeur Caul poussait un long soupir désabusé.

 — Contentez-vous d’une boite de chocolat, la prochaine fois…

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