Barnabé Holley
Le problème aujourd’hui n’est pas l’énergie atomique, mais le cœur des hommes.
Albert Einstein
AN 8 après Dieu
Le Dr Barnabé Holley était à son bureau. Armé d’un pinceau et d’un grattoir, il nettoyait un fossile d’ammonite. Il sursauta et faillit bien donner un coup mortel à sa relique du passé quand la sonnerie retentit. Un client ? Ça faisait un petit moment qu’il n’en avait pas eu, aussi avait-il éparpillé sur son meuble tout un tas de documents pour sa coopération avec Cœlacanthe. Tout était censé rester top secret, mais il n’avait pas le temps de ranger. Peu importe, il ne pouvait abandonner un malade qui lui réclamait son aide !
Il se précipita dans le hall d’entrée. Son fils était arrivé avant lui et avait déjà ouvert la porte. L’homme derrière s’était accroupi pour lui parler. Quand l’inconnu se releva, Barnabé déchanta. Il était clair qu’il ne venait pas pour être soigné.
— Monsieur Holley ! Ravi de vous rencontrer, je me présente, je-
— Inutile, je vous ai reconnu, l’interrompit Barnabé en faisant signe à son fils de retourner dans le salon. Vous êtes le Professeur Caul.
— Oh, vous avez entendu parler de moi ?
Qui n’avait jamais lu le nom d’Aldebert devait vivre au plus profond d’une grotte, pensa Barnabé. Lui et Higgs, son collègue, avaient révolutionné la médecine en concevant leur Machine. Depuis, ils étaient devenus des célébrités et leur entreprise, Elefant Corp, attirait tous les regards. Pourtant, ce jeune génie semblait sincèrement surpris. Il lui tendait une main que Barnabé feignait de ne pas avoir remarquée.
— Que me voulez-vous, Caul, demanda-t-il en croisant les bras.
— C’est peut-être un peu délicat, répondit le prodige en le fuyant un rien du regard. En fait, j’ai eu vent de votre collaboration avec Coelacanthe et…
— Votre ami m’a déjà contacté. Ma réponse est toujours la même. Allez vous faire foutre.
Il fit claquer la porte, laissant derrière lui un Aldebert surpris et dépité, la main toujours en attente d’une poignée qui ne viendrait jamais. Il resta figé de longues secondes avant de repartir vers le Centre.
Depuis huit ans, des Centres s’étaient établis dans le monde entier. Le premier, à Bruxelles, avait secoué la planète avec sa promesse de guérison rapide. Ils avaient été si vite débordés qu’ils avaient dû prévoir au plus vite de nouveaux lieux où mettre à disposition la Machine. Hors de question, cependant, de révéler les secrets de sa conception. Les plans appartenaient à leur entreprise et personne d’autre qu’Aldebert et Oscha n’y avaient accès. Beaucoup avaient tenté de les leur voler ou de reproduire leur exploit. Que de vaines tentatives d’égaler leur création miraculeuse. Il en résultait énormément de jalousie de la part de nombreux collègues. Ce n’était pas la première fois qu’on lui parlait ainsi, pourtant Aldebert ne s’expliquait pas ces réactions. L’homme ne pouvait-il se réjouir d’un tel bon dans le progrès ?
Au Centre, les infirmières l’accueillirent avec de grands sourires. Toutes l’appelaient par son prénom, il avait une très bonne réputation auprès de ses employées. Il les salua vaguement et retourna à son bureau à l’étage où il lança une conférence vidéo. Très vite, le visage de Dorothéa apparut.
— Salut Al’ ! Tu tires une drôle de tronche, mon vieux. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Je reviens de chez le Dr Holley. Disons que son accueil… hum. Ce n’était pas vraiment un accueil, en fait.
— Ça ne me surprend pas trop. Oscha avait déjà essayé avant toi.
— J’ai cru comprendre… J’ai à peine pu lui dire que je venais pour son projet qu’il m’a fermé la porte.
— Le projet de Coelacanthe est censé être secret, Al’, lui rappela son amie. Ce n’est pas très surprenant qu’il ne veuille pas t’en parler.
— Ce n’est pas comme si je faisais de l’espionnage industriel.
— Rappelle-moi qui t’a demandé de te renseigner sur le sujet ?
— Oscha, pourquoi ?
— Alors c’est clairement de l’espionnage industriel.
— Tu crois ? Je pense que c’est juste de la curiosité… Pourquoi Oscha voudrait-il concurrencer Coelacanthe sur un projet aussi fou ?
— Je t’adore, Al’, mais parfois, tu es un peu naïf… Ceci dit, j’ai peut-être une solution pour toi. Figure-toi que moi aussi, je me suis renseigné sur le Dr Holley. Si tu veux te rapprocher de lui, il se balade tous les dimanches avec son fils du côté de Fossil Creek.
— Tu penses que j’ai des chances de m’en faire un ami ?
— Al’, je t’ai déjà vu sympathiser avec un livreur de plats chinois sur les trois minutes où il est resté. S’il y en a un qui en est capable, c’est toi.
Quelqu’un venait d’entrer dans le bureau de Dorothéa, car celle-ci avait quitté la caméra des yeux pour afficher un grand sourire à un inconnu. Elle se désintéressa quelques secondes d’Aldebert qui fut surpris de voir les pommettes de son amie s’empourprer. Il toussa pour rappeler sa présence.
— Excuse-moi, Al’, mais je dois y aller ! lança-t-elle précipitamment. Tu n’oublies pas notre rendez-vous au resto dans deux semaines ? Oscha et Amos seront là aussi.
— J’ai dû le noter dans mon agenda…
— Al’ ! Tu as intérêt à être présent !
— Mais oui, mais oui…
— Alors à la prochaine et bonne chance !
Elle coupa la conférence au moment où une ombre commençait à la voiler. Pas de chance, Aldebert n’eut pas le temps de voir qui mettait son amie dans cet état. Malgré tout, il réfléchit à sa proposition. Ce n’était peut-être pas une mauvaise idée… Il fallait qu’il prépare son sac pour une petite randonnée !
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