Le Conseil (3/4)
Lucilia garda le silence jusqu'à notre arrivée sur une grande étendue terreuse. Au sol un entremêlement composé de glyphes gravés dans le sol formait un immense cercle. La forêt cintrait cette endroit et aucune plante ne semblait vouloir s'y aventurer. Un râtelier d'armes avait été disposé non loin ainsi que trois sièges.
« Les spectateurs ou les juges ? »
J'étendis ma perception à son maximum. Je pus sentir quatre âmes dissimulées dans les arbres. À n'en pas douter, leur mission était de prévenir et sanctionner toute tentative de fuite.
– Ne traversez pas, m'ordonna Lucilia.
J'obéis sans poser de questions. Ces runes étaient déïques. Sans aucun doute un sceau. Pour quelle raison était-il là ? Je gageai que je n'allais pas tarder à le découvrir.
Nous approchâmes du râtelier tandis qu'elle m'expliquait les règles du duel.
– Officiellement, ce n'est pas un duel à mort mais ça vous le savez déjà. Prouvez que vous êtes fort en tant que... humain et vous pourrez choisir de rester. Soyez faible et vous mourrez. C'est ce qui arrivera. Vous commencerez là-bas, ajouta-t-elle en désignant un extrémité de la zone. Votre adversaire est à l'opposé. Il vous reste un peu de temps pour choisir une arme. Je suppose que vous avez quelques préférences.
Elle me dévisageait à nouveau. Elle m'observait. Moi, mes gestes, mes réactions, tout.
Je lui tournai le dos et m'accroupis devant le râtelier, faisant mine de m'intéresser aux armes. Le choix était large. Épée, hache, dague, arc, lance, hallebarde, marteau. De bonne facture pour la plupart, certaines étaient néanmoins endommagées. Les précédents duels.
– Faites-vous partie des trois ? demandai-je.
Elle soupira.
– Choisissez votre arme.
– Vous ne voulez pas répondre. Très bien. La discussion s'arrête donc ici.
Têtue jusqu'au bout.
– En réalité, pas tout à fait. Vous ne prenez pas d'armes ?
Je me redressais et m'en allai vers mon emplacement.
– Pour moi elle est finie.
– Et votre arme ! Me lança-t-elle.
Je continuai à m'éloigner. Une arme ? Je suis une arme.
– Nous avons une coutume, dit-elle précipitamment.
– Je n'en ai cure, fis-je d'un geste de la main.
– Celui qui part et qui n'est pas sûr de revenir doit dire à une personne proche quelque chose que cette dernière ne sait pas sur lui !
Je m'arrêtai.
Dites-moi une chose que je ne sais pas sur vous...
Je me tournai lentement à moitié vers elle. Je sentis mes traits se déformer, mon regard se faire tonnerre, mes paroles acides.
– Vous... je vous l'ai dit... je me fiche de vos coutumes.
Il fallait que je me calme. Vite. Ou sinon je ne serais plus en mesure de mener ce duel comme je le voulais. Car tout l'enjeu était là. Ma survie à ce combat ne faisait aucun doute pour moi contrairement à ma doctoresse. Cependant le but était de prouver ma force sans trop en montrer. L'idéal aurait été que mes pouvoirs me reviennent entièrement mais je doutais d'un tel miracle. Non je devais faire appel à mes dons innés et surtout je devais garder les idées claires. Ne pas perdre le contrôle. Sauf si...
Tout à mes réflexions, je n'avais pas prêté attention aux nouveaux arrivants. Un vieil homme à la stature haute et aux longs cheveux blancs s'était assis dans le siège central. Son empreinte trahissait quelques siècles d'existence. Je me réjouis intérieurement de ne pas l'avoir comme adversaire. Il emmenait de lui une aura de sérénité fragile. À sa droite, Lucilia avait pris place. À sa gauche, un homme d'aspect chétif. Ou était-ce le contraste avec le colosse à côté de lui. Ses yeux perçants ne m'inspirèrent pas confiance. Je reconnus aisément l'empreinte de l'homme à la voix mielleuse qui siégeait au Conseil. Enfin, à l'opposé de moi, un homme vêtu de noir me faisait face. Ses vêtements avaient l'air conçu pour le mouvement, fins, légers. Son visage m'était occulté par une capuche et un foulard du même ton. Seuls ses yeux étaient visible, mais pas de là où je me tenais.
– Kalatorn !
Je dévisageais le vieil homme.
– Avancez dans le cercle !
Je m'exécutai tout en sentant les regards braqués sur moi. Je jetai un coup d' œil en arrière. Rien, les glyphes n'avaient pas réagis. L'homme à l'allure sournoise semblait surpris.
– Vous n'avez pas d'arme, kalatorn ?
– Je suis une arme, vieil homme.
Le chétif émit un raclement de gorge :
– Il serait de bon ton de ne pas offenser notre autorité par des appellations déplacées, jeune pousse.
Jeune pousse ? Sérieusement ? Amusant.
– J'appellerais chacun de vous comme bon me semble aussi longtemps que vous m'appellerez « étranger » !
Il voulut répondre malgré sa surprise quant à ma connaissance de leur langue mais l'autre l'en empêcha d'un geste de la main.
– Eken du clan de la serre, reprit-il, avancez dans le cercle.
La serre ? Des attributs d'oiseau à n'en pas douter.
– Au nom du créateur de toute vie, Yon, dieu sauvage et...
Yon ? Ils vénéraient Yon ? Cet idiot même pas foutu de tenir tête à son frère ? C'était ça leur dieu ? Génial...
– Kalatorn ! Eken ! Combattez !
Trêves de rêveries. J'adoptai comme à mon habitude une garde basse avant de me souvenir que nulle magie ne m'avertirait d'un danger imminent autour de moi. Mes protections n'étaient plus.
– T'as toujours été nul à mains nues, frérot !
Je fis volte-face en entendant ces paroles.
Se dressait devant moi un homme au regard bleu profond et aux longs cheveux bruns. Son port de tête désinvolte et son sourire en coin firent resurgir une vague de nostalgie imprévue et pour le moins très peu souhaitée. Je doutai fortement de ma vision à cette instant précis mais je ne pouvais nier ce que je voyais. Zaïnor, mon presque frère se tenait là, et me dardait de son habituel regard alerte.
– Tu es mort, soufflai-je.
– Attention, dit-il en pointant du doigt.
À peine avais-je tourné la tête que je sentis un choc dans la mâchoire, suivi d'une grande douleur. Je tombai lourdement et roulai sur le sol, non sans avoir pendant un court instant volé dans les airs.
Ça commençait bien.
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