L'attente
L'enfant ne cessait de hurler. Hélène n'en pouvait plus, sa mère n'allait-elle pas demander à son mioche de se taire ? D'une main tremblante, elle porta une cigarette à sa bouche. Elle ne fumait plus depuis deux ans et deux jours avaient suffit, coincée dans cette foutue gare, pour qu'elle craque à nouveau. Elle souffla la fumée par la fenêtre entrouverte.
- Vous pourriez pas faire ça dehors ! s'insurgea un petit homme rondouillard, boudiné par son costume trois pièces.
Elle tourna la tête et l'observa avec dédain.
- Trop froid. répondit-elle d'un ton laconique.
Elle inspira une grande bouffée et se retourna vers la vitre. L'homme marmonna une réflexion désagréable entre ses dents. Elle jeta son mégot, trace rougeoyante devenue noire sur la neige immaculée.
Cette fois, c'était sûr, elle n'arriverait jamais à temps. La météo s'était liguée contre elle. Foutue neige.
Un homme accoudé au comptoir d'accueil de la gare désertée, ne cessait de la regarder. Ses yeux parcouraient son corps, s'arrêtaient sur ses seins, ses fesses, sans gêne, la rendant perplexe.
Sûrement le prof de cette bande d'ados raccordés au mur avec le câble les reliant à leurs écrans bleus tel un cordon ombilical. Il possédait bien la tête de l'emploi.
Elle vit quelques pas nerveux jusqu'à la grande porte. La neige ne semblait pas vouloir s'arrêter.
Elle croisa les bras sous sa poitrine. Le contrat allait lui passer sous le nez, elle n'aurait plus qu'à ramasser ses affaires comme lui assura son boss avant son départ.
Elle retourna s'asseoir dans le hall de la petite gare. Malgré le froid, une pellicule de sueur collait à sa peau. Elle rêvait d'une douche chaude qui délierait ses muscles tendus.
L'enfant ne se taisait toujours pas. Les regards agacés de l'auditoire ne semblaient pas décider la mère à stopper sa progéniture.
La tête de prof s'approcha et vint s'assoir en face d'elle.
- On se connaît non ?
Vraiment ? Il ne disposait pas de mieux ? Et c'était-il bien observé avec sa tête de l'emploi et son ventre bedonnant qui s'échappait de son pull ? Non pas qu'elle soit un canon de beauté. Non, elle se considérait trop maigre, trop sèche. Mais son approche paraissait tellement...
- Vas-y, lâche moi ! s'époumona un grand enfant, gesticulant comme une marionnette désarticulée.
L'homme devant elle, tourna la tête vers la scène où les deux ados se tenaient face-à-face comme des coqs prêts à se bouffer le nez. Sa moue et son œil marquaient son désarroi.
- Islem ! Axel ! Arrêtez ça immédiatement.
Il se leva, devoir oblige.
L'enfant meugla de plus bel. La migraine pointait, elle se malaxa les tempes et se leva à son tour. Elle passa devant le couple de retraités, isolé de la petite troupe perdue au milieu de nulle part, attendant le dégel.
Elle entra dans les toilettes. Elle s'aspergea d'eau en regardant son visage couvert des ridules du temps, marqué par la fatigue. Et dire qu'il faudrait encore passer une nuit dans ce hall de gare.
Elle pivota le cou au bruit du cliquetis de la serrure qui s'ouvrait. La tête de prof pointa. Il ferma la porte à clef derrière lui. Ils se toisèrent à travers le miroir.
Elle savait parfaitement ce qu'il voulait, elle le lisait dans ses yeux. Fallait-il qu'elle en arrive là ?
Qu'avait-elle d'autres à faire dans le fond ? Il fallait bien passer le temps.
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