Jinx
Trois ans passèrent. La vie de Jinx ne s’était pas beaucoup améliorée. Elle servait toujours d’objet sexuel pour les pirates, quoi que la plupart s’était lassée. Seuls quelques-uns continuaient à descendre régulièrement, soit par obsession sexuelle, soit par obsession pour la jeune femme elle-même. Seul Mongo restait fidèle à ses habitudes. Même si ces venues se fut plus rares, il continuait à la battre de bon cœur. Jamais il ne l’avait touché comme les autres. Il aimait juste la tabasser.
Dans ses moments de lucidité, Jinx ne cessait de penser à comment elle allait en sortir, ou comment elle voulait mourir. Mais aucune de ces deux opportunités ne s’étaient présentées encore à elle. Elle s’était résolue à ne pas se rebeller et c’est ce qui l’avait maintenu en vie. D’autres filles avaient été amenées, plus jeunes, plus farouches. Même si la plupart finirent au marché aux esclaves, certaines, trop revêches, trouvèrent la mort dans la cage. Jinx était maintenant autorisée à rester sur le pont du bateau en journée, sauf quand les pirates attaquaient un autre navire ou étaient en « opération ». Elle avait souvent songé à se jeter à l’eau, le boulet garantissant une mort immédiate mais elle était constamment surveillée par Mongo qui l’aurait empêchée de sauter par-dessus bord. La nuit, elle dormait toujours en soute, mais pas dans la cage qui était occupée par d’autres prisonniers.
Ce soir, Daryl était venu la voir. C’était un jeune homme très jeune et très doux. Il s’était entiché de Jinx et même s’il n’hésitait pas à la prendre, il lui parlait avec des mots doux et lui chuchoter des paroles d’amour à l’oreille. Ce soir donc, trois ans jours pour jour depuis que Daryl l’eut prise pour la première fois, il lui apporta un cadeau : un peigne fin en or surmonté d’une belle plume verte. Il l’accrocha dans les cheveux de Jinx et la complimenta sur sa beauté. Puis il fit son affaire et repartit.
Quelques heures plus tard, alors le sommeil ne voulait pas se montrer, Jinx sentit des remous au fond de l’eau. Elle n’eut même pas le temps de se relever qu’elle bascula à terre à cause d’un choc sur la coque. Soudainement, la cénéphir entendit des dizaines de marins hurler d’horreur. Puis encore une secousse sur le bateau et encore plus de cris. Maintenant, l’eau commencer à percer à travers le plancher et le niveau montait rapidement. Jinx essaya de monter par l’escalier mais la trappe dessus était bien évidemment fermée. Dans la cage, la prisonnière, une jeune barbare au teint mat, commença à hurler. L’eau avait déjà atteint le tiers de la hauteur et le débit s’accélérait. Au-dessus retentirent encore des cris, des bruits de combats et des chocs sourds.
Jinx était paralysée. Une mort certaine l’attendait. Mais alors une pensée s’insinua dans son cerveau : est-ce que ses prières avaient été exaucées ? Est-ce que c’était la mort salvatrice qu’elle avait tant demandée qui arrivait ? Mais Jinx n’avait pas envie de mourir. Elle n’avait pas enduré tous ces tourments, toutes ces maltraitances et ces tortures pour en finir ainsi !
Soudain, la coque se brisa en deux et elles chutèrent. Jinx eut le réflexe de prendre sa respiration juste avant d’être submergée mais la jeune barbare, qui était encore en train de hurler à pleins poumons, avala la tasse et mourut en quelques secondes.
Le contact de l’eau gelée paralysa instantanément la cénéphir. Elle savait qu’il ne lui restait que quelques secondes avant de tétaniser et de se noyer. Elle devait réagir ! Alors elle sentit un tiraillement au niveau des cheveux : il s’agissait du peigne de Daryl qui se mêlait dans ses cheveux ! Jinx eut alors une idée : avec l’énergie du désespoir, elle saisit l’accessoire et en utilisa les dents pour essayer de crocheter la serrure de l’anneau attaché à sa cheville qui la reliait au boulet. Elle y parvint par miracle. Elle sentit l’anneau glisser le long de son pied et la libérer d’un grand poids. Mais elle avait passé bien trop de temps immergée et avala de l’eau. Alors que le boulet rouge glissait au fond de l’océan, elle perdit conscience…
La première sensation de Jinx fut le sable dans sa bouche. Elle était vivante ! L’océan l’avait rejetée sur un rivage. Elle vomit toute l’eau encore dans son estomac et ses poumons, et inspira un grand bol d’air. Prise d’un vertige à cause de tout cet oxygène d’un coup, elle vacilla et retomba sur le dos. Au-dessus d’elle, le soleil brillait de mille feux dans le grand ciel bleu et les mouettes volaient en rond. Une fois sa tête rétablie, Jinx se releva et inspecta autour d’elle : la plage était jonchée de débris de bateau et aussi de cadavres de pirates noyés, mutilés ou les deux. L’instinct de survie de la jeune femme prit aussitôt le contrôle et celle-ci se leva. Elle était bien consciente qu’il fallait qu’elle quitte la plage, trouve quelque chose à manger et de l’eau potable ainsi qu’un abri pour la nuit. Elle se mit à remonter la plage. Alors qu’elle marchait péniblement vers l’orée d’une sorte de jungle, elle entendit une voix non loin d’elle.
« Jinx ! Tu es vivante ! Viens ici et aide-moi à me relever ! Je crois que ma jambe est brisée. »
La jeune femme fut étonnée de trouver Mongo allongé non loin sur le sable. L’humain avait une longue blessure sur le visage qui saignait abondamment et pour sa jambe, elle n’était pas brisée mais avait été arrachée au niveau du genou.
« Jinx ! Je t’ai dit de me relever ! Bouge-toi ! »
Mongo, malgré son état, croyait toujours qu’il avait du pouvoir sur la jeune cénéphir. Il lui parlait sur le même ton que dans la cage. Son visage affichait une colère noire et s’il avait pu se lever pour la frapper, il l’aurait déjà fait.
« Jinx ! Bouge-toi ! »
Alors la jeune femme prit tout son temps et chercha du regard autour d’elle. Puis, elle s’arrêta, ayant trouvé ce qu’elle voulait. D’un pas lent, elle fit quelques mètres dans le sable et se baissa pour attraper quelque chose.
« Jinx ! Qu’est-ce qu’il te prend ? Je t’ai dit de venir me relever ! Tu as intérêt à m’obéir ! »
Alors Jinx s’approcha. Arrivée au-dessus de Mongo, elle soupesa d’un air satisfait la grosse pierre qu’elle tenait dans sa main. Elle se pencha vers lui… et ne se releva que quand le crâne de son bourreau ne fut plus que de la pulpe…
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