Le lendemain midi, Charm avait tout arrangé ! Le plan était solide et personne ne devrait être blessé. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à appâter le poisson et le faire venir là où il voulait. C’est pourquoi il arriva une heure plus tard au port, une bouteille de rhum à la main. Il trouva facilement le galion des pirates : celui-ci donnait à la fois l’impression de solidité et de rapidité. Sur chaque côté s’alignaient cinq trappes, témoignant de la présence d’au moins dix canons en tout. De quoi tenir tête à beaucoup de monde !

Alors que Charm arrivait devant, il fut hélé par un des hommes qui le reconnut depuis le pont :

« Hé ! T’es pas le gars qui présentait le spectacle hier ?, cria Djojo d’en-haut.

- Si fait !, répondu le kaméen en faisait une courbette. Je suis Charm et j’ai amené un cadeau pour l’équipage ! Permission de monter à bord ? »

Djojo prit le temps de réfléchir et répondit, embarrassé :

« C’est pas que je veux pas mais je peux pas te laisser monter sans la permission du Capitaine. J’ai fait ça la dernière fois avec quelqu’un d’autre et ça s’est mal passé…

- Pas de problème, répondit Charm. J’attends la permission du Capitaine.

- Ok, je vais l’appeler. »

Et Djojo partit en courant à l’intérieur de la cabine. Charm prit son mal en patience et attendit sur le quai. Il regarda l’activité sur le bateau. Elle donnait l’impression que les pirates allaient bientôt partir. Une raison de plus d’être persuasif !

Soudain, il aperçut une silhouette féminine qui sortit de la cabine. C’était la cénéphir ! Celle-ci remarqua aussi Charm et le fixa pendant quelques secondes. Djojo réapparut alors et héla à nouveau le kaméen, rompant ce moment entre les deux.

« Le Capitaine est d’accord. Monte ! »

Charm, soulagé, afficha son plus grand sourire et grimpa la passerelle.

Djojo conduisit Charm dans la chambre du capitaine Braidy. Celui-ci avait l’air intrigué, probablement par la présence du saltimbanque.

« Salutations à vous, Capitaine ! Mon patron vous envoie ce cadeau en remerciement de votre présence et générosité d’hier soir. Nous avons tous remarqué que vous étiez des esthètes de l’art ! »

Charm posa la bouteille sur la table et attendit de voir la réaction du capitaine. Il espéra aussi qu’il apprécierait le rhum : c’était le plus cher à l’échoppe et il avait coûté la plus grande partie des économies du kaméen.

Braidy avait l’air étonné. Il essaya cependant de cacher sa perplexité et, pour se donner bonne composition, se saisit de la bouteille, arracha le bouchon et en but une bonne rasade. Le rhum était doux et ambré, un vrai régal pour ses papilles. Il reposa la bouteille et remarqua que Djojo attendait de se la faire tendre. Mais le capitaine ne la lui offrit pas et le pirate afficha un air de contrariété, ce qui amusa intérieurement Braidy.

« Excellent ! Merci à toi, Charm. »

Le kaméen remarqua que le capitaine se souvenait de son nom. Un pigeon qui se souvient est un pigeon dangereux. Il faudra jouer serré…

Pour la suite, il aura besoin de Djojo dont il avait remarqué la passion pour le cirque. Il se décala subrepticement pour avoir les deux en face, tout en gardant son attention sur Braidy.

« C’est un plaisir, Capitaine ! Mon patron m’a aussi demandé de transmettre un message : il aimerait vous inviter à un spectacle exceptionnel demain soir spécialement en votre honneur ! Nous savons reconnaître les connaisseurs et nous voudrions vous remercier pour votre appréciation. »

Tournant la tête rapidement, Charm fit un clin d’œil à Djojo.

« C’est bien dommage, Charm !, répondit Braidy. Demain soir, nous aurons déjà repris la mer. On nous attend ailleurs. »

Charm cacha soudain sa mine inquiète pour afficher un visage déçu.

« Mais envoie-lui mes remerciements, ajouta le capitaine.

- Quel dommage en effet !, s’exclama un peu trop fort le kaméen. En plus, nous prévoyions de refaire le numéro de contorsion que vous aviez tant apprécié… »

Et il se retourna vers Djojo :

« Et Djojo, Misa s’est rappelée de l’air des Iles Bleus qu’elle comptait interpréter rien que pour toi… »

A cette évocation, Djojo sentit son cœur fondre. Sa grand-mère lui chantait cet air quand il était petit. C’était probablement un des seuls souvenirs qu’il avait de sa famille… avant qu’elle se fasse massacrer par les pirates en tout cas. Djojo leva le doigt et attendit que le capitaine lui donne la parole :

« Capitaine, est-ce qu’on pourrait parler en privé ? »

Avant que Braidy ne réponde, Charm fit :

« Mes excuses, je ne veux pas interférer. Je vais attendre dehors. »

Et il sortit. A peine la porte franchie, un large sourire se forma sur son visage à tel point qu’il dut faire un effort pour le réprimer.

Charm entendit Djojo et Braidy argumenter en chuchotant de l’autre côté de la porte. Il imaginait bien les arguments du pirate : un jour de plus ne changerait rien, les pirates étaient en sécurité ici, le spectacle serait rien que pour eux, etc… Le kaméen était tellement concentré sur la conversation qu’il n’entendit les pas derrière lui qu’à la dernière minute. Il se retourna précipitamment pour se retrouver nez-à-nez avec la cénéphir. Il se raidit, embarrassé, et pour une fois, n’avait rien à dire… Jinx, quant à elle, était curieuse de savoir ce que ce nabot qui l’avait regardé intensément la veille venait faire ici. Plus que de la curiosité, son intuition lui laissait présager une opportunité et elle allait tout faire pour la saisir. Elle ouvrit la bouche pour parler juste au moment où la porte du bureau se rouvrit. Trop tard ! Jinx vit un sentiment de regret se former sur le visage de Charm, mais celui-ci reprit sa composition très rapidement.

« Charm, reviens, dit Djojo. Le Capitaine a quelque chose à te dire. »

Le kaméen détourna à regret son regard de la cénéphir et rentra à nouveau dans le bureau.

« Charm, fit Braidy, j’aimerais que tu remercies ton patron pour l’honneur que vous nous faites. »

Charm pensa alors que d’habitude, c’était à ce moment-là que tombait le « mais ». Mais il n’en fut rien.

« Et c’est avec plaisir que nous assisterons à cet événement spécial ! Nous arrivons à la tombée de la nuit. »

Le kaméen afficha un sourire de satisfaction, véritable cette fois-ci.

« Quelle joie !, s’exclama-t-il. Pouvons-nous compter sur la présence de tout l’équipage ?

- Bien sûr, répondit le Capitaine. Nous serons tous là. »

A ces mots, les cœurs de Charm et de Jinx bondirent en même temps dans leur poitrine respective. Le kaméen avait réussi à attirer sa proie dans son piège. Quant à la cénéphir, elle eut à ce moment-là la certitude d’une opportunité à saisir.