Contrairement à ce qu'on propage, il vaut mieux se bourrer la gueule tout seul.

Seul, on regarde le fleuve se texturer comme un jeu des années 2000, et c'est pas si mal. Avec un peu de mouvement, c'est même plutôt beau. Tu alignes des mots sans poésie, tu écoutes de la musique que tu écoutes tous les jours, et quelle claque. Même la piquette que tu bois a un goût d'honnête créativité.

Pas grandiose, pas de faux semblant, rien de transcendant, 100% authentique.

Finalement, tout ce que tu fais à la lumière privée des autres n'est pas plus intense, mais c'est bien plus subtil. Les autres, c'est plus puissant, c'est du gazole dans les narines, un shot de mazout, du poppers bas de gamme cul sec engoncé dans du bpm moite.

Les mots ont une importance, ton attitude, ton haleine et l'odeur de tes aisselles sous 35°C. Beaucoup de honte le lendemain, quand tu te rends compte que tu as étalé ta merde sur le front d'illustres inconnus, que tu t'es livré à la dernière personne à laquelle tu dois accorder ta confiance, ou que tu t'es pété la gueule bien salement tout en insultant des résidus de chiotte. Dans les chiottes.

La solitude, c'est une bière bien fraîche, un bouquin qui ne prend pas de détour. Cul nu dans ton salon, fenêtres ouvertes, Pink Martini en fond et vin rouge à trois balles. Et aucune honte le lendemain.

J'ai pas honte de lire ce que je lis. Bukowski, Palahniuk, Gutiérrez et Ballard. La crasse, la picole, le sperme, les poings dans la gueule et l'échec. Rien de honteux là dedans. La honte, c'est à la lumière des autres qu'on la découvre, c'est quand on se réveille le lendemain et qu'on n'ose plus se montrer. Parce que t'as dit des choses que tu regrettes, que t'as écouté des gens auxquels t'aurais dû dire "ta gueule".

Tu pensais vivre ta meilleure vie, mais en définitive t'as subi ta soirée. Ta journée, tes dernières heures, ces dernières années.

Ne te montre pas, et tout ira bien. Il faudra bien se pointer au travail, aller faire quelques courses, échanger deux ou trois mots avec une bouche pâteuse où ta langue colle au palais. Joue le jeu, écoute, apprends, dis "oui, c'est terrible ce qu'il t'arrive" et ne te dévoile pas. Si tu te dévoiles, attends toi à de la pitié, de la sympathie, du dégoût, de l'admiration ou de la haine. Mais la compréhension, enterre là sous ton besoin de reconnaissance, crache lui dessus et n'y jette plus un coup d'œil. Ils sont tous là à comparer (1) la taille de leur bite, (2) ce qu'ils se sont pris dans le cul.

Pas de jugement là dedans, on se compare tous, moi la première, mais c'est fatiguant. Un petit coup franc, je me fous au milieu et je balance un coup de pied hasardeux pour voir ce que ça donne. Et croyez moi, ça ne donne qu'un peu de gêne, celle qui prend forme sous des lèvres pincées, un rire nerveux et/ou gras quand la belle famille ougandaise se pointe à l'enterrement de la tante raciste, le raclement de gorge quand on te questionne sur ton avenir.

Allez, parle moi de toi plutôt, non pas que ça m'intéresse mais ça évitera de gaspiller de la salive sur des choses que j'arrive même pas à formuler à l'intérieur de mon crâne vide.

Parle moi de toi, tu meures d'envie de te combler. Ma vie prend des allures de brèche cosmique, plus on tarde et plus il nous faudra de vieux rouge. Et je n'attends rien d'autre que de me noyer dedans. Peut être qu'on gagnera une bataille quand ton "et toi" attendra vraiment une réponse. Quand il y aura vraiment un "et toi". En attendant, il y a toi, nous sommes tous là, des milliards de petites abeilles qui construisent leurs propres alvéoles avec le jus de leur vie, et on se félicite, tous les autres, toi et moi, de construire du rien à partir de rien. Bravo.