Opération tuning
Certains jours, on a tendance à être sur les nerfs. Un doigt d'honneur par-ci, un doigt d'honneur par-là, un petit "Avance, connard !" et le coeur qui fait des dribbles dans la poitrine. Dans ces moments-là, évitons de nous parler.
Quand je sens que je suis prête à tout péter, contrairement à d'autres, je me renferme. Je disparais. Je ne m'expose pas au monde, à larguer mes provocations comme des fientes de pigeon dans l'espoir de me faire casser la gueule. Ignorez-moi, que je m'enterre, et on se revoit dans quelques jours - ou quelques semaines.
Aujourd'hui, rien de tout ça. Aujourd'hui est une bonne journée. Et dans des moments-là, au contraire, si on me cherche la merde, c'est la foire à la provoc. Parce que quand tu restes calme et que tu t'amuses de la situation, tu prends l'ascendant. Et j'aime avoir l'ascendant.
Tout va bien, donc, je suis en claquettes, fenêtres ouvertes, en train de rentrer des courses avec mon PQ dans le coffre, une bouteille de pastis et du sirop d'orgeat. C'est l'été, il est l'heure de s'enquiller à coups de mauresques et de poser ses fesses sur le balcon, petite brise chaude sur le visage. Le genre de journée qui se prête bien à la lecture d'une bonne BD.
J'en profite pour m'arrêter à la librairie et, coup de bol, acheter un Druillet d'occasion. En reprenant la route, une voiture à l'arrière commence à klaxonner comme un petit roquet. Je me marre en me disant que les gens sont vraiment trop cons, quand, après vérification, je me rends compte que c'est moi qui suis concernée.
Une vieille s'énerve dans son SUV en regardant ma caisse. Elle gueule des insultes qu'elle seule peut entendre pendant que ses bras tous flasques s'agitent au-dessus de sa tête.
Je sais pas ce que j'ai pu faire, et il faut bien avouer que j'en ai rien à foutre. Certains roulent comme des tarés, comme ce pote avec lequel personne ne voulait jamais monter. Un danger public. 160 sur l'autoroute, à danser dans le trafic avec sa voiture à laquelle il manquait une portière. Il avait mis une bâche en attendant, et t'avais intérêt à t'accrocher si tu voulais pas être projeté à travers sa portière de subsitution.
Tout ça pour dire que c'est pas mon cas. Je me suis bien pris quelques PV, du style 86 à la place de 80km/h. Tu sais, le genre qui te donne très envie d'aller cramer quelques bâtiments. Mais je me suis trop vue mourir dans un accident pour risquer ma vie, donc je roule tranquille, en claquettes, fenêtres ouvertes, accompagnée d'un petit Fleetwood Mac.
Avec toute la nonchalance dont je suis capable, je fais signe à la vieille au bord de l'AVC de se détendre l'oignon. Et devine à quoi j'ai droit ? Un gros majeur bien frippé qui se dresse dans mon rétro intérieur. On va rigoler.
Je commence à ralentir, en profitant du fait que la rue soit trop étroite pour laisser circuler deux véhicules côte à côte. 20km/h, puis 10km/h, pour finir par rouler aussi lentement qu'une bille dans un bac à sable. J'attends juste qu'une autre voiture se pointe derrière et lui bloque sa voie de retrait avant de m'arrêter complètement.
La vieille ouvre l'anus ridé qui lui sert de bouche et continue de s'agiter dans son SUV immaculé. Hop, une voiture se pointe, il est temps de s'arrêter. Je prends un marqueur dans mon sac - j'ai toujours un marqueur sur moi, en tant que biologiste, ce que je préfère, c'est écrire des conneries sur tout type de surface - et je m'avance vers l'hystérique, mains dans les poches.
C'est marrant, mais les acharnés de la route s'imaginent rarement une confrontation en face à face. Ils hurlent dans leur habitacle, t'insultent de la pire des manières et te jettent leur merde à la gueule, mais quand il s'agit de baisser sa vitre et de discuter, ou même de se mettre quelques baffes, plus personne. Et tant mieux pour moi. C'est toujours une sorte de pari, tu sais jamais sur qui tu vas tomber mais le jeu en vaut la chandelle. Chaque fois que tu vois juste, t'as ce sentiment de supériorité face à une personne tellement prévisible. Et quand tu te trompes, c'est l'occasion de paufiner ta rhétorique et tes esquives.
D'une main, je lui fais signe de baisser sa vitre, ce qu'elle refuse tout en continuant de m'insulter bien à l'abri dans son carrosse.
- Qu'est-ce qu'il vous arrive, madame ?
Elle grogne comme un bouldogue asthmatique en m'expliquant la vie, à quel point je conduis comme une folle et autres conneries. J'écoute à moitié, c'est pas ça qui m'intéresse. Quand je vois qu'elle commence à se calmer un peu, je la relance.
- Il faudrait vous détendre, madame. Avec une belle bite, un coup de pinard ou quoi.
Mots magiques. Elle braille de plus belle, à bouts de nerf. D'autres voitures commencent à débarquer et à s'impatienter. Un joli concert de klaxons rien que pour moi. Je lui fais au revoir, tout sourire, et repars sans me presser.
La vieille se dépêche de changer de direction dès qu'elle en a l'occasion. L'angle est parfait. Dans mon rétro, je vois apparaître sa portière décorée par mes soins.
"En manque de bites" - insérez un superbe dessin de phallus à la place de bites - entouré de plein de petits pénis accompagnés de leurs couilles velues.
Complètement puéril, merci de me l'apprendre. Et alors ? Ca ne vous a jamais fait rire, un dessin de bite ? Parce qu'il ne s'agit que de ça. Il n'est pas question de vengeance ou de punition. Le marqueur, ça s'efface très bien avec un peu d'alcool. Alors si elle est moins stupide qu'elle en a l'air, elle pourra facilement enlever ma ribambelle de prépuces qui giclent.
Si j'avais voulu me venger, je serais allée prendre la bouteille d'un litre de pastis dans le coffre que je lui aurais défoncée sur le pare-brise. Si j'avais voulu la punir, j'aurais gravé les bites à coups de clé, je lui aurais arraché son rétro ou je serais montée sur son capot pour lui chier dessus en IMAX.
C'est plus une question de prétexte. Un prétexte pour dessiner des bites sur la jolie voiture d'une vieille conne.
Rien de plus, rien de moins.
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