Chapitre 5- Hayden
Snow Heaven
Leurs regards rivés sur moi m'ont mis mal à l'aise. Une tension sourde s'installant dans mes entrailles. Un instant, j'ai cru qu'ils avaient percé à jour ce que je suis réellement. Un loup. Un ennemi.
Ce n'est qu'une illusion. Si la vérité avait été découverte, l'alerte aurait été donnée. Les patrouilles de Snow Heaven auraient lâché leurs chiens, et je n'aurais eu d'autre choix que de revêtir ma forme lupine pour espérer rejoindre mes terres. heureusement, chacun est retourné à ses occupations.
Je respire profondément, essayant de comprendre ce revirement soudain. L'odeur camphrée et résineuse qui imprègne l'air me pique les narines. Est-ce elle qui a apaisé les esprits, dissipant le doute qui aurait pu me trahir ?
— Que fais-tu là ?
La voix froide de la chamane brise ma réflexion. Son ton, chargé de reproches, glisse sur moi sans m'ébranler. Je lève les yeux vers elle, trouvant son visage fermé, ses traits tirés par un mécontentement évident.
— Bonjour, Hateya. Moi aussi je suis heureux de te voir !
Mon ton est léger, empreint d'un sarcasme à peine voilé. Certains pourraient y déceler une touche de défi, mais il y a aussi une vérité plus profonde, plus amère, dissimulée sous cette façade. Parce qu'il fut un temps où tout était plus simple, où la vie des miens n'était pas une lutte constante pour la survie.
— Dommage que ce ne soit pas réciproque, raille-t-elle, croisant les bras sur sa poitrine, renforçant ainsi le poids de ses paroles.
— Ta position de chamane n'est-elle pas censée te rendre neutre ?
Hateya soupire.
Puis, comme si elle avait décidé de laisser tomber les hostilités, elle soulève sa robe dont la teinte me fait penser à un ciel d'été et s'assoit sur la banquette face à la mienne.
— Si je ne l'étais pas, Hayden, crois-tu que tu serais encore là ? Installé à cette table ? Dois-je te rappeler que tu es en dehors des limites de Grey Woods et que tu violes le traité ?
La réponse est évidente mais je n'arrive pas à la formuler verbalement. Venir ici, prendre tous ces risques prouve que la situation est désespérée. À quel point, je le suis moi-même !
— Qu'en penserait ton Alpha ?
Je ne préfère pas y songer ! Konur me réduirait en charpie.
Le point positif c'est que je n'aurais plus à devoir subir une union non désirée avec la fille de Rosco.
— Pourquoi es-tu là, Hayden ? poursuit-elle, la tête penchée sur le côté.
— Les miens meurent de faim ! Nous avons besoin de vivres !
— Premièrement, je ne pense pas que ce soit ton rôle de te présenter ici avec une telle requête.
— Hateya...
— Non, tu es un Zeta. Un guerrier. Tu n'es ni Alpha ni son messager.
— Toi et moi savons que Konur est trop fier pour se présenter ici, je réplique, agacé.
Parce que hormis son idée minable de me vendre comme si je n'étais qu'un objet sans importance, il n'en a pas d'autres.
— Alors sans doute est-il plus intelligent que toi !
Cette fois, c'est à mon tour de soupirer. J'ai touché le fond.
— Il y a cette petite fille, Mia, à qui je tiens beaucoup, je tente dans l'espoir de jouer sur la corde sensible. Elle a perdu son père au début de l'année et aujourd'hui sa mère n'a plus la force de se lever. Si l'on ne remédie pas à la situation, elle est condamnée. Tout ce que je demande c'est un peu d'aide pour éviter que cette petite fille de six ans se retrouve orpheline.
— Si j'étais en mesure de t'aider, Hayden, je ne pourrais le faire continuellement ce qui vous replongerait dans les mêmes problématiques. Ce n'est que repousser l'échéance !
Et elle n'a pas tort !
Las, je m'enfonce dans la banquette et balaye la salle des yeux. Lorsqu'on passe d'un statut de prédateur à celui de bête traquée, certains instincts s'amplifient. Particulièrement celui de survie.
Cependant malgré une entrée chaotique où je ne pensais pas réussir à tenir plus de quelques minutes, la situation a tourné à mon avantage lorsque toutes les personnes présentes dans le restaurant ont oublié ma présence.
Enfin tous, sauf elle !
Si j'en crois les œillades à répétitions de la serveuse aux boucles désordonnées, remontées en une queue de cheval, elle semble être l'exception à la règle.
— Comment as-tu fait ? j'interroge Hateya d'un air curieux, le regard vissé sur cette fille.
— J'ai gommé leurs pensées négatives en utilisant de la sauge !
Lorsque les yeux méfiants de cette fille croisent à nouveau les miens, je maintiens son regard. Certains diront que je joue avec le feu, mais c'est plus fort que moi. Le danger est une ombre familière, une compagne inséparable de ma nature. Je suis un loup dominant et non de ceux qui se soumettent. La tentative d'intimidation de Konur pour me remettre à ma place m'a suffisamment frustré pour que je ne permette à qui que ce soit de prendre le dessus sur moi. Et encore moins à cette petite serveuse à la peau blafarde.
Mes sens sont en éveil. Je la vois déglutir avec difficulté, sa gorge se contractant sous la pression. Le frémissement de son pouls, que je devine sous la peau fine de son cou, résonne à mes oreilles comme une mélodie envoûtante. Chaque battement, chaque palpitation qui s'accélère, fait vibrer la bête tapie sous ma chair.
— Qu'est-ce que tu regardes comme ça ?
La chamane ne reçoit aucune réponse de ma part.
Intriguée, elle se retourne pour découvrir la scène : la serveuse et moi, nos regards entremêlés.
— On dirait que ton petit tour de magie ne fonctionne pas sur elle, dis-je avec un sourire narquois.
— Je te l'interdis, Hayden !
La menace dans sa voix est aussi limpide que de l'eau de roche. Elle me fait l'effet d'une douche froide. Lorsque je croise son regard sombre, l'air grave de la chamane me frappe de plein fouet. Elle ne plaisante pas.
— Où veux-tu en venir ?
— Ta réputation de coureur de jupons te précède, je la connais par cœur !
La remarque me prend de court, et je ris, d'abord amusé.
Même si sa serveuse n'est pas désagréable à regarder, l'idée de la mettre dans mon lit ne m'a jamais traversé l'esprit.
Pas une seule seconde.
Je ne suis pas là pour ça ! Rien que d'y penser, une colère sourde gronde en moi, ravivant un tsunami de souvenirs que j'aurais préféré laisser enfouis.
— Je ne couche pas avec les humaines, si c'est ce qui te préoccupe ! Au final, je suis peut-être le plus intelligent des deux.
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