Chapitre 2: La jeune vate*

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451 ad – Armorique** – Proche de Carnac

Ahona venait d’avoir 16 ans. Elle allait bientôt rentrer dans le cercle sacré des Druides et commencer sa véritable initiation de prophétesse. Non pas qu’elle ait eue besoin de quelques formations que ce soit concernant ses talents divinatoires naturels, qu’elle maitrisait déjà parfaitement, et ce, depuis sa plus tendre enfance, mais il était de tradition, et de bon ton, que les jeunes filles et jeunes garçons de son âge ferment la porte une bonne fois pour toute au confort de l’enfance pour s'introduire dans le monde inquiétant des adultes. Néanmoins, Ahona ne partageait pas cet avis. Pour elle, arriver enfin à l'âge de raison et être intronisée en tant que telle était comme une libération. On allait finalement l’écouter. Elle aurait enfin une voix parmi le conseil des Druides et recevrait la considération qu’elle méritait, selon elle.

Le grand druide, du nom de Taranvel, était un homme d’un certain âge, comme en témoignaient les rides qui parsemaient son visage, ses longs cheveux et sa non moins longue barbe blanche. Il était aussi son père adoptif. Car Ahona n’avait jamais connu ses parents. La seule chose qu’elle savait concernant ses origines, c’est qu’elle avait été trouvée sur un des dolmens du site sacré consacré aux Dieux lors d’une nuit claire de pleine lune. C’était Taranvel qui l’avait découverte, alors qu’il s’était rendu sur le site pour honorer sa déesse, Arianrhod, déesse de la lune et de la magie. De ce fait, Ahona grandit dans la plus pure tradition celtique avec la promesse d’un destin exceptionnel. En vertu de ses origines mystérieuses, elle devait forcément être la progéniture d’un quelconque dieu ou déesse qui offrait aux pauvres mortels l’espoir de protection et d'abondance. Mais pas pour les prêtres chrétiens qui avaient déjà envahi la région et commencé leur évangélisation. La petite fille aurait pu être assimilée à une nouvelle sorte de messie, mais la place avait déjà été prise, cinq siècles auparavant, par un fils de Charpentier, originaire d’une ville lointaine du nom de Nazareth. Au lieu de cela, ces missionnaires la prenaient au mieux pour une imposture, au pire pour la progéniture du Diable. Après tout, ce n’était pas la première fois, que le Grand Cornu engendrait des magiciens et des sorcières. Il y avait bien cet énergumène qui avait élu domicile, dans la vaste forêt de Brocéliande. On disait qu’il était doté de pouvoirs immenses, mais sa magie l’avait rendu instable. Il était pourtant régulièrement consulté par les initiés du grand cercle. Bien sûr, tout ceci se faisait dans la plus grande discrétion, car avant d'être vu comme l’un des plus grands enchanteurs de notre temps, il était plutôt considéré comme un fou extrêmement dangereux.

Ainsi, en cette belle matinée de printemps, Ahona se para de sa robe blanche de druide et se couvrit les épaules de sa grande fourrure sombre en peau et tête de loup pour montrer son appartenance au clan des devins. La peau de bête était le costume traditionnel des vates, autre nom que l’on donnait aux voyants et prophètes chez les gaulois à cette époque.

Elle avançait d’un pas assuré vers la clairière du grand cerf. C’était à une vingtaine de minutes de son village. Les druides avaient déjà du commencé les préparatifs pour son intronisation. Elle pressa donc le pas, le sourire aux lèvres, tout en admirant les bourgeons naissants des arbres sacrés. Le ciel était clair. Pourtant, un léger vent chaud présageait la fin de l’accalmie dans le courant de la journée. Peut-être que cette dernière allait se terminer par un violent orage ? Cela l’enthousiasmait encore plus. Elle adorait l’eau et le grondement du tonnerre. Et puis sa cérémonie se déroulerait sous le soleil encore présent. La journée s’annonçait plutôt bonne. Alors qu’elle se dirigeait d’un pas allègre vers la clairière, quelque chose lui fit ralentir sa démarche. Normalement, les oiseaux piaillaient suffisamment fort et la forêt étaient plutôt bruyante en ce début de printemps. L'orage allait sûrement arriver plus tôt que prévu. Elle leva la tête pour regarder le ciel. Il était d’un bleu éclatant, sans aucun nuage à l’horizon. Arrivée à la clairière du cerf, elle ne vit pas le cercle traditionnel de robes blanches et n’entendit pas le chant si envoutant des druides. En fait, il n’y avait que Taranvel, seul, debout à côté d’un des dolmens qui dominait la petite plaine. Lorsqu’il la vit, un sourire désolé s’afficha sur son visage ridé. Il écarta les mains pour la saluer et la serra dans ses bras.

”Je suis désolé ma chère enfant. Nous ne pourrons pas procéder à ton rituel d’intronisation aujourd’hui. La druidesse Sorcha, qui devait présider la procession, nous a quitté abruptement ce matin."

Sidérée par la nouvelle, la gorge serrée, elle ne pouvait plus émettre un son ou prononcer un mot. Une chape de plomb s’abattit brutalement sur ses frêles épaule. Accusant le coup et ravalant les larmes naissantes qui commençaient à perler au creux de ses yeux, elle réussit tout de même à articuler :

“Mais… pour… pourquoi ?"

Son père adoptif la serra d’autant plus dans ses bras.

– C’est ainsi le sort des hommes, mon enfant. Sorcha a terminé sa mission ici sur cette terre et est partie rejoindre les Dieux. Parfois, les départs ne sont pas annoncés. C’est ainsi.

– Je… Je voulais tellement rentrer dans le cercle ! “ Elle se ravisa et rajouta. “Excuse-moi pour mon égoïsme, mon père. Je ne voulais pas lui manquer de respect. Je suis d’accord d’attendre et d’honorer Sorcha pour qu’elle s’incarne dignement vers une nouvelle forme de vie."

Le grand druide contempla sa protégée, le regard compatissant. Il entoura ses épaules de ses longs bras fins et la dirigea doucement vers le chemin qui menait au village.
Le jour passa, et comme l’avait pressenti le vent du sud, un violent orage éclata à la tombée de la nuit.

Sous la pluie battante qui cognait le toit de sa modeste chaumière, et les lumières abruptes du tonnerre, Ahona s’endormit, le cœur lourd de la perte de l’un des leurs.

Cette nuit-là, peut-être à cause du vacarme généré par la tempête, la jeune fille rêva.

Elle était au bord de la plage attenante au village et à la forêt. Les battements de la pluie sur le sol se transformèrent bientôt en bruit de galop. Au loin, sur la plage, elle vit un groupe de cavaliers, armés. Leurs armures, leurs armes ne lui étaient absolument pas familières. Une appréhension soudaine l’envahit. Elle continua à observer les hommes en selle qui s’approchaient d’elle dangereusement. Et elle les vit. Leurs casques étaient bardés de fourrure, leurs armures étaient constituées de différentes pièces de cuir qui se juxtaposaient. Dès qu’ils furent proches d’elle, ils brandirent vers le ciel leurs arcs armés de flèche. Puis, elle découvrit leurs visages sous les bandes d’hermines qui ornaient leurs casques oblongs. Les yeux, petits, étaient comme enfoncés dans leurs orbites, le teint jaune, les joues griffées de longues cicatrices rougeâtres et les cheveux d’un noir de jais encadraient leurs joues creuses. Ils avaient le sourire cruel et dément. La peur la tétanisait et elle ne pouvait plus faire un seul mouvement. Les cavaliers passèrent près d’elle, sans la voir. Elle entendit alors les cris de terreur et de douleur derrière elle. L’odeur de suie et de sang remplaçait bientôt l’embrun de la mer. Puis, alors que tous étaient derrière elle, un des cavaliers s’arrêta devant elle. Il n’avait pas ce teint jaunâtre ni ces yeux noirs. Il avait le visage clair et ses yeux verts brillaient de paillettes dorées. Ses joues avaient les mêmes cicatrices, il portait la même armure. Des boucles cendrées encadraient son visage fin. Étrangement, la peur disparut. Elle voulait rejoindre cet homme et partir loin. Il se pencha alors vers elle, lui tendit la main, et lui murmura d’une voix d’outre tombe :

“ Veni, Venifica ! Omnes morientur. “ (“Viens, sorcière ! Ils vont tous mourir.”).

Ahona ouvrit subitement les yeux, le cœur battant la chamade et le front en sueur. Elle devait alerter le village. Ils allaient être attaqués.

*druide chez les celtes dont la spécialité était le culte, les arts divinatoires et la médecine.

** L'Armorique était le nom de la région donnée à la région qui correspond plus ou moins à la Bretagne actuelle.

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