Van Oaken

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(2013 - Réalité : Van Oaken)

 Deux paires de chaussures marchent dans un rythme identique, la cadence assurée. Les pantalons font ce petit bruit de frottement entre les jambes. En dessous de la ceinture se distinguent déjà les tuniques blanches et médicalisées de ces deux médecins chercheurs. Ils ont le regard droit. Ils se dirigent dans une des salles de réunion de la clinique, d'un air déterminé, passant de multiples couloirs sombres. L'un d'eux pousse la porte, ils posent avec rigueur leurs sacoches sur le bureau, et saluent l'équipe qui les attend, comme tous les après-midis, assis sur leurs chaises respectives.

  — Bonjour à tous, dit l'un des deux médecins en regardant sa montre. 1.00pm, timing parfait. Que dire du sujet de référence ?

  — Rien à signaler pour le moment monsieur, répond une femme en se levant face à lui. Activité cérébrale parfaite.

 Elle se rassoit. Le deuxième médecin ne parle pas, il prend scrupuleusement des notes sur un grand carnet noir, imprimé d'un logo moderne et argenté comprenant les lettres V et O : celui de l'établissement.

  — Bien, parfait. Les quatre sujets du jour sont en place ?

  — En place monsieur, répond un homme dans la salle.

  — Excellent. Ceci annonce une bonne journée. Viviane, où est mon café ?

  — Je vous prie de m'excuser Monsieur Van Oaken, je vous l'apporte de suite.

  — Jason, rapport du jour je vous prie !

  — Et bien, pour la procédure prévue ce jour, le sujet de référence est équipé et prêt à coopérer. Le sujet test numéro un est dans sa chambre, sédaté et équipé. Le sujet test numéro deux est en train de passer son IRM. Les deux derniers sujets tests ont été couplés sans difficulté. Pour ce qui est du reste des sujets de l'établissement, ils sont tous en phase de repos et inactifs cérébralement parlant.

  — Parfait.

 La secrétaire de Van Oaken lui apporte son café, lui chuchotant à l'oreille de la prier de l'excuser, tandis qu'il reprend son discours.

  — Bien ! Chers collaborateurs, aujourd'hui s'écrit une nouvelle page qui va changer l'histoire. Nos grands travaux développés au sein de cette merveilleuse entreprise vont enfin porter leurs fruits. Ce soir, nous aurons révolutionné le monde. Nous sommes sur le point de …

 Tout à coup, la porte de la salle s'ouvre à grand fracas et un homme paniqué s'engouffre dans la pièce :

  — Nous avons perdu le contrôle ! Elle a trouvé une faille dans le système et elle... C'est fini... On est fini !

  — Calmez-vous, Denis, de quoi parlez-vous ?

  — Le sujet de référence nous a échappé, elle est en capacité de contrôler tout ce qu'elle veut !

  — Mais c'est... Impossible, s'étonne Van Oaken.

 Soudain, l'alarme incendie de l'établissement retentit. Tous les systèmes d'éclairage s'éteignent, les gyrophares au plafond s'activent, et des litres d'eau se déversent du système anti-fumée. La panique gagne rapidement la pièce, que tout le monde fuit. Le médecin second se rend à la chambre du sujet de référence, mais la porte est verrouillée. À travers le carreau, on devine la présence d'une femme alitée, endormie, la chevelure cuivrée. Le médecin donne tout ce qu'il peut pour enfoncer la porte, en vain. Van Oaken, lui, court vers une chambre bien spécifique, ou deux assistantes de soin essaient d'extraire des flammes le sujet test numéro un. L'incendie semble avoir gagné sa chambre. Leurs deux paires de mains gantées la saisissent par les poignets pour la tirer de là.

  — Sortez-la de là, vite, elle va mourir si elle reste enfermée là dedans ! s'écrit Van Oaken.

 Mais la demoiselle, bien que toujours sous l'emprise d'un sédatif puissant, à en juger ses yeux clos, se débat et repousse ces mains dont le latex fond. Elle se jette contre la porte où les doigts coincés des assistantes de soin sont sectionnés. Elle se couche derrière la porte, hurlant de douleur, avant de s'apaiser et de s'éteindre dans ce brasier qui la dévore, chuchotant pour dernier mot « Maman ». Van Oaken panique.

  — Non, non, NON ! Fait chier ! s'énerve-t-il.

 Il regarde sa montre qui affiche 1.06pm et s'empresse de parcourir le couloir, se dirigeant vers le secteur des examens. Il arrive dans le couloir des imageries médicales une minute plus tard, soit 1.07pm, lorsqu'une épaisse fumée lui saute aux yeux. Il tousse fortement, recouvrant sa bouche de son avant-bras, marchant au ralenti dans cette allée sombre et bruyante ; cette alarme lui vrille les tympans.

  — Il y a quelqu'un ? Eh oh ?!

  — Ici ! s'écrit une voix masculine. On est en train de le perdre !

 Il accourt sans tarder vers l'une des salles d'IRM. Quand il y entre, il aperçoit un de ses collaborateurs tenter d'enfoncer une porte derrière laquelle un homme, hurlant de douleur, est ligoté dans un de ces appareils à résonance magnétique. La machine est défectueuse. Des décharges électriques et une fumée nauséabonde s’en échappent.

  — Ça brûle, c'est insupportable ! Aidez-moi, c'est atroce, hurle-t-il de douleur.

 Cette fournaise intracrânienne qu'il ressent s'intensifie de manière exponentielle. Il parvient enfin à se détacher des liens qui le faisaient prisonnier de cette machine infernale et, sans vraiment réfléchir, court vers l'extincteur qui se trouve quelques mètres devant lui, sous une vitre. Cette vitre le sépare de la salle de contrôle où se trouvent le médecin et son collaborateur qui essaient désespérément d'entrer, tentant de fracasser la porte à coup de pied ou de briser cette vitre en lui jetant tout ce qu'ils trouvent : chaises, tours d'ordinateur ou bien meubles à papier. Le sujet test saisit l'extincteur. Il le regarde fixement, avant de constater un silence pesant ; ses deux bourreaux de l'autre côté de la vitre le regardent d'un air désespéré, immobiles, ne faisant plus de bruit. Il dégoupille l'extincteur et met l'extrémité de la lance dans sa bouche, avant d'actionner la gâchette. Un panache de neige carbonique s'engouffre dans ses fosses nasales, ainsi que dans son œsophage et sa trachée. Cette brûlure glacée contraste avec celle qui lui carbonise les neurones. Il hurle de douleur, la main greffée à cette arme de suicide, ne lâchant pas prise. L’extincteur déjà vide, il le projette sur cette fameuse vitre qui explose sous l'impact de l'objet. Sa langue nécrosée par le gel tombe de sa bouche dans un bruit humide et répugnant. Son sang coagulé a cristallisé autour de ce qu'il reste de ses lèvres. Ses viscères et son crâne cryogénisés le font atrocement souffrir. Il convulse et s'écroule au sol, à l'image d'un pantin dont on aurait coupé les liens le séparant de son manipulateur.

 Les deux collègues en blouse blanche franchissent la vitre et s'arrêtent à ses pieds, arrivant trop tard, constatant le décès de leur sujet, l'air désolé, presque énervés.

 Au même moment, le médecin second qui tentait d'entrer dans la cellule du sujet de référence abandonne son objectif pour aller constater les effets de l'incendie sur les jumelés, laissant la place à deux pompiers en uniforme, un masque anti-fumée sur le visage, s'occuper de cet important sujet. Il franchit un couloir dont le faux plafond, humide et déchiqueté, s'est écroulé sur le sol. Il enjambe les divers obstacles qui jonchent l'allée avant d'enfin arriver à la chambre des deux sujets couplés. La porte est grande ouverte. La fenêtre également. Sur le rebord, les deux jeunes mains dans la main tentent, malgré leur sédation, de fuir cet incendie qui pourrait gagner leur chambre. Ils sont debout, les paupières fermées, dans cette immense encadrement qui orne la double fenêtre. Le médecin se précipite sur eux afin de les empêcher de sauter, mais en vain. Ils perdent pied sous ses yeux et plongent vers le bitume quelques mètres plus bas.

 La fille n'atteindra pas le sol. Elle percute violemment le toit de l'un des nombreux camions de pompier qui stationnent à l'entrée de l'établissement. Sa face et sa cage thoracique implosent sous le choc, déformant son profil, libérant ses organes sur les barreaux de la grande échelle pas encore déployée, faisant jaillir un ou deux litres de sang qui éclaboussent lentement tout le véhicule. Quant à lui, ses chevilles s'enfoncent dans le sol à travers ses pieds. Ses jambes se broient et ses fémurs glissent dans son bassin sous le poids de son buste qui se tord. Ses vertèbres sont disloquées et ses côtes transpercent sa peau tout comme ses clavicules. Ce qu'il reste de lui est étalé sous les pneus d'une ambulance qui arrive en trombe, le transformant en bouillie sanguinolente.

 Une bonne partie de la clinique s'embrase, sous les cris, les larmes et le sang, laissant dans ses ruines gésir de nombreux corps sans vie, qu'ils soient coupables ou victimes de ce qu'il se passait dans l’enceinte de ces murs.

 Dans les jours qui suivent, ni les médias ni la presse locale ne relaient une quelconque information concernant cet événement tragique. L'affaire est comme étouffée, dissimulée par le secret encore jamais percé de l’existence d'un tel établissement : la sinistre clinique Van Oaken.

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