Chapitre 14 : Congé et désagréable surprise

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Je détestais vraiment l’été. C’était le cas avant et c’était toujours le cas aujourd’hui. Non, en fait, je détestais encore plus cette saison à cause de mon travail.


Avec l’été, on recevait pas mal d’appel à la rédaction où de jeunes mangakas en herbe souhaitaient nous montrer leurs planches avec l’espoir, même mince, d’être publié. Surtout des lycéens venant du club de manga de leur lycée. La plupart du temps, et même si on sentait souvent une volonté de bien faire, leurs mangas n’allaient pas. Aussi bien sur le fond que sur la forme, imputable à un manque de maturité dans l’écriture de l’histoire et à une maîtrise du dessin qui n’était pas encore tout à fait au point. Enfin, il y avait aussi des exceptions qui confirmaient la règle. Mais ceux-là, quand bien même on acceptait de publier leur one-shot, on tentait de leur faire comprendre que pour avoir une série, la rédaction préférait attendre qu’ils aient au moins fini le lycée pour les lancer. À cause de la charge de travail qu’un ado de cet âge ne pourrait pas supporter.

Heureusement, cette année, j’échappais à cette corvée et l’avait déléguée à Karin, qui m’en a un peu tenu rigueur pour lui avoir refilé une tâche aussi ingrate.

-On réponds tous à un moment ou un autre au téléphone. Toi, c’est aujourd’hui, lui ai-je expliqué.

-Senpaï, tu te fiches de moi ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

-Un peu, lui ai-je dit avant de partir pour mon premier rendez-vous de l’après-midi.

Malgré tout, ma charge de travail avait significativement augmenté. J’avais tout juste assez de temps pour souffler un peu ou manger un morceau avant de repartir au front. Qui plus est, Sennen Sensô commençait à recevoir des demandes de studios d’animation pour une adaptation en série animée. Ça faisait un peu plus d’un an que le manga était publié et, à titre d’éditeur, je trouvais qu’il valait mieux attendre encore un peu avant de lancer le processus. Gon rejoignait mon avis et j’en avais fait part au rédacteur-en-chef quand il me posa la question. Il a pris note de nos avis mais dans tous les cas, la décision finale lui reviendrait.

J’ai essayé une nouvelle fois de prendre un congé prolongé pendant les vacances scolaires des filles, sur demande de Yuna qui voulait qu’on passe un peu de temps tous les quatre. Ce qui n’a pas empêché la propagation des bruits de couloirs et des mauvais yeux à mon encontre. Du pain béni pour des types comme Terada, qui commentaient, l’air de rien, que ceux qui demandaient des congés alors qu’ils pouvaient travailler n’étaient pas fait pour les emplois à plein temps et qu’ils devraient démissionner. Une chance pour cet enfoiré que je n’avais pas envie de me faire arrêter pour agression…

-Ah, soupira Karin après avoir raccroché le téléphone une énième fois. Il me paraît loin, le temps où je pouvais partir en vacances durant l’été pour aller à la plage, pour profiter du soleil ou me faire draguer par des mecs...

-Parce que tu aimais te faire accoster ?

-Non mais c’était un peu flatteur. Maintenant, les seuls hommes que je fréquente travaillent à la rédaction ou sont auteurs…

-Et il n’y a pas quelqu’un qui t’intéresse dans le lot ?

-Je veux pas mélanger travail et vie sentimentale. Pour le bien de mon équilibre.

-Ça se défend.

La conversation a pris fin quand le téléphone fixe du bureau de Karin sonna une nouvelle fois. Elle poussa un long, très long soupire de lassitude puis décrocha et, de sa voix la plus mielleuse, fit un :

-Bonjour. Rédaction du Shônen Jump. Que puis-je pour vous ?

Intérieurement, je lui envoyé tout mon soutien pour qu’elle puisse s’acquitter au mieux de sa tâche.

C’était pendant l’un de mes jours de repos. J’aurais aimé passer encore un peu de temps avec mon oreiller, vu que j’étais rentré très tard la veille, mais Yuna ne l’entendit pas de cette oreille et estima qu’à onze heures, j’avais assez profité de ma grasse matinée.

-Sadique…, lui ai-je lancé quand elle tira d’un coup la couverture pour me forcer à me lever.

-Pour une fois que je fais l’adulte responsable et toi, l’enfant… Allez, mon Shûhei ! Je comprends que tu sois fatigué mais tu ne vas quand même pas passer ta journée au lit.

-Laisse-moi. C’est mon jour de congé depuis un bail. Laisse-moi en profiter un peu…

-Tu pourrais en profiter avec ta fiancée et tes sœurs, alors…

-Grmbl… Donne-moi cinq minutes alors…

-Pas une de plus. Sinon, je viens te réveiller avec des bisous.

-Terrifiante, cette menace…

-Je ne comptais pas t’embrasser sur la joue ou la bouche…

-… C’est limite du harcèlement sexuel, ça.

Mais elle s’est contentée d’en rire avant de me laisser mes cinq minutes pour émerger d’un sommeil qui n’a pas du tout été réparateur.

(Une douche glacée par cette chaleur me réveillera un peu…)

Après avoir enfilé quelque chose de décent, je suis passé devant la chambre de Yuko, qui était en train de jouer de sa guitare tout en chantant :


« Country Road

Kono michi… zutto yukeba

Ano machi ni… tsuzu iteru

Kiga suru… Country Road… »


Je descendis ensuite, pour trouver Miku en train de regarder la télé et vint lui dire « bonjour » en lui frottant affectueusement la tête, ce qui la fit rire. Yuna me servit mon petit-déjeuner pendant que je m’installais à table, dans la salle à manger.

-Tu as des projets, pour aujourd’hui ?

-Comme je pars bientôt pour disputer un match, je voulais passer un maximum de temps avec les filles avant mon départ. Elles sont si mimis !

-Ce sont pas des poupées…

-Je le sais !

-Combien de temps tu pars, déjà ?

-Trois jours. Et avant que tu me le redemandes, je pars mercredi.

-Désolé. J’ai tellement à penser ces derniers temps que certaines choses finissent par m’échapper.

-Tout va bien ? De mémoire, je ne t’ai jamais vu travailler autant.

-Tu aurais dû me voir durant mes études à la fac, alors.

-Justement. Si j’avais vu ça, je t’aurais sermonné plus d’une fois pour que tu prennes soin de toi.

-Peut-être. Mais tu aurais eu une excuse pour t’occuper de moi pendant ma convalescence.

-…

-Yuna ?

-Shûhei… Tu peux tomber malade, s’il te plaît ?

-C’est la pire chose que tu puisses demander à quelqu’un. Encore plus à ton fiancé !

-Vraiment la pire ?

-… L’une des pires.

Nous en avons ri ensemble et m’a accompagné pendant que je mangeais.

J’ai passé le reste de la matinée au salon, à travailler un peu tout en gardant un œil sur Miku. À midi, nous avons déjeuner en famille. J’ai proposé qu’on sorte tous faire une petite balade cet après-midi. Comme je m’y attendais, Miku et Yuna ont accueillies cette proposition avec un certain enthousiasme. Yuko, elle, s’était contenté de dire « Pourquoi pas… » en détournant le regard. Mais j’ai compris plus tard qu’en fait, elle était contente de cette sortie. Quand je suis passé devant sa chambre avec la porte ouverte, pendant qu’elle cherchait, en souriant et en fredonnant, dans ses affaires une tenue adéquate pour une sortie familiale.

Cela m’a doucement fait sourire.

Nous avons pris le train pour rejoindre un parc, afin de profiter d’un grand espace et pour y pique-niquer. Pendant que Yuna et Yuko mettait tout en place, Miku m’a presque trainé pour que je joue avec elle. Ça se résumait surtout à courir avec elle ou à jouer à chat. Cette petite avait beaucoup d’énergie. Je l’enviais un peu… Si seulement j’avais autant d’énergie pour tenir mes journées.

-Dis, Grand frère Shûhei !

-Oui ?

-Grande sœur Yuna m’a dit que tu avais un chat. Pourquoi il est pas à la maison ?

-Ah, c’est parce qu’il est vieux et que j’ai préféré le laisser chez ma mère.

-Chez ta maman ?

-C’est ça.

-Est-ce qu’on pourrait aller les voir ? S’il te plaît !

Au début, l’idée de déranger ma mère ne me plaisait pas trop. D’un autre côté, depuis qu’elle ne travaillait plus, elle devait avoir pas mal de temps libre.

-Je vais demander à ma mère si on peut passer la voir cet été. Mais je ne promets rien.

-On pourra avoir un chat ? Ou un chien ?

-Je vais y réfléchir.

-Allez, Grand frère !

-Miku… Qu’est-ce qu’on a dit, sur les caprices ?

-…Ne pas en faire ?

-Voilà.

Peu après, Yuna nous a appelé pour déjeuner. Franchement, si elle n’avait pas décidé de faire carrière dans le basket-ball, elle aurait pu sans problème faire chef cuisinier, comme son père.

J’aurais aimé dire qu’on a profité d’une partie de l’après-midi dehors mais nous avions tellement chaud… Enfin, surtout moi. Il était temps de bouger. Yuna voulait en profiter pour acheter quelques vêtements à Miku et aussi pour Yuko. Cette dernière a soutenu qu’elle pouvait se payer ses propres vêtements mais Yuna a tellement insisté qu’elle a fini par lâcher l’affaire. Avant de rentrer, nous avons donc fait un détour par un centre commerciale. Au début, tout se passait bien, jusqu’à ce qu’on arrive au rayon des sous-vêtements. Les deux sœurs m’ont alors regardé et m’ont dit, que dis-je, ordonné de ne pas les suivre. Je n’en avais pas l’intention, de base ! En plus, la situation a bien fait rire Yuna, cette idiote ! Je suis donc allé faire un tour, le temps qu’elles finissent ce qu’elles avaient à faire ici. Conscient que j’allais paraître louche à rester planter debout comme ça devant les rayons, j’ai cherché un endroit où m’asseoir en attendant. J’en ai profité pour consulter mes mails et messages, en priant que Karin ou encore Gon ne m’annonce pas une catastrophe. Surtout Gon.

Bon sang, s’il tombait malade maintenant, ce serait problématique pour nous deux…

(Pense pas aux malheurs, crétin !)

Dans tous les cas, je pouvais profiter de la climatisation du centre commerciale, en les attendant. Ah, l’air frais… Je ne connaissais rien de meilleur. Ou si, peut-être une bière. Une bière bien fraîche. Avec un truc à grignoter. Tiens, maintenant que j’y pensais, ça faisait un moment que je n’étais pas sorti boire un coup. Depuis que j’avais les filles, en fait.

Je ne sais pas pourquoi mais… je me suis mis à penser à mes années universitaires.

Yuna était partie pour les États-Unis peu après avoir obtenu son diplôme, Saya et moi avions intégrés la même université. Nous sommes restés proches durant notre première année là-bas. Plus d’une fois, les gens ont cru que nous étions en couple et ceux qui savaient que ce n’était pas le cas se demandaient pourquoi elle traînait avec moi. Même si nous ne fréquentions pas les mêmes cercles, elle s’arrangeait toujours pour que nous nous voyions en-dehors des cours. Surtout le soir. Elle venait souvent me voir dans mon petit appartement pas loin de la fac. On mangeait, on buvait plus que de raison, on riait, on couchait ensemble… De toute sa vie, malgré sa bisexualité, elle n’avait couché qu’avec un seul homme : moi. Ce n’était pas comme avec Yuna mais c’était tout aussi bon…

-Shûhei !

La voix de ma fiancée m’a fait sursauter. J’étais tellement pris dans mes souvenirs que j’en avais oublié où j’étais et pourquoi j’y étais pendant un instant.

-Ça va ? Tu avais la tête ailleurs. T’as pas pris un coup de chaud, au moins ?

-Un coup de… ? Non, non. Je réfléchissais, c’est tout.

-À quoi ?

-Oh, rien du tout…

-Tu réfléchis à rien ? Toi ? D’habitude, c’est moi qui aie la tête vide.

-Tu te rends compte que tu viens de t’insulter toi-même ?

-D’accord, d’accord… Changeons de sujet. Tu ne demandes pas ce qu’on a acheté ?

-Pourquoi je voudrais savoir ce que vous achetiez dans un magasin de sous-vêtements ?! me suis-je légèrement emporté.

-Bah, tu sais… Ce que je porte, tout ça…

-Yuna !

-Oh, c’est bon. Tu me vois en petite culotte presque tous les jours. Et parfois même, sans.

-Mais ça va pas de parler de tes sous-vêtements sans pudeur !? Et en public, en plus ! Ou alors, c’est l’influence américaine ! Dans tous les cas, arrête de parler de ça devant les filles !

Heureusement que Yuko bouchait les oreilles pures de sa petite sœur, bien qu’elle rougît en entendant les adultes que nous étions avoir une conversation si gênante. Autant pour elle que pour moi.

Heureusement, notre conversation a été interrompu par un message. Enfin, des messages. Yuna comme moi venions d’en recevoir un sur nos téléphones respectifs.

-Oh, Shûhei ! Abby est de passage au Japon et aimerait savoir quand est-ce que je suis disponible pour la voir, me dit Yuna.

-Oh, c’est… bien.

-Shûhei ?

-Désolé mais on me demande de passer à la rédaction. Un problème avec un auteur dont Karin s’occupe.

-Mais… ton jour de congé…

-Je sais, je sais. Je vais essayer de faire vite et avec de la chance, j’en aurais fini à temps pour vous rejoindre avant de tous rentrer à la maison.

Yuna s’est mise à gonfler ses joues. Elle n’était pas contente mais ce n’était pas de la colère. Pas encore.

-D’accord. Mais si tu trahis ta promesse, ça va mal aller pour toi, à la maison…

J’ai dégluti. Après tout ce temps à fréquenter Yuna, j’avais compris que ses menaces quand elle était en colère, ce n’était pas du vent. Pour ma paix, et éventuellement ma santé, j’avais intérêt à tenir cette promesse.

J’ai confié les affaires que je portais aux filles et j’ai pris le chemin de la Shûeisha, en faisant au passage le deuil d’une partie de ma journée de congé.

J’étais encore dans le couloir menant à la rédaction que j’entendis la voix de mon supérieur en train de réprimander quelqu’un. Je me doutais bien de qui il s’agissait et j’eus la confirmation en passant la porte. Karin, tête baissée, encaissant ce qui lui lançait Makimura :

-C’est ton boulot de faire en sorte que l’auteur dont tu t’occupes donne ses planches en temps et en heure ! Même si tu dois être sur son dos à tout bout de champ !

-Je suis désolée !

-Tu te rends compte des problèmes causés parce qu’on risque de ne pas avoir ses planches à temps pour l’impression ?

-Je suis désolée !

En me voyant arriver, Makimura cessa aussi de s’intéresser à elle et vint à ma rencontre :

-Ah, Nishiyama ! Content que tu sois là !

-Quel est le problème, exactement ? Vous avez été très vague quand vous m’avez appelé.

-Le jeune débutant dont Kaminari s’occupe… Tu sais, celui qui avait reçu de nombreux votes dans l’Akamaru de la saison dernière. Il devait nous remettre ses planches pour celui de cette saison, publié dans deux semaines, afin de partir à l’imprimerie aujourd’hui. Sauf qu’il ne l’a pas fait parce que Kaminari lui a demandé refaire la fin et depuis, il ne donne plus de nouvelles.

-Est-ce vraiment un problème ? On peut toujours le remplacer par un autre manga.

-En temps normal, oui. Mais le rédacteur-en-chef mise beaucoup sur ce petit jeune parce que sa dernière histoire a beaucoup plu aux lecteurs et veut absolument qu’on maintienne leur intérêt pour ses one shot en entendant qu’il ait une série.

(C’est rare que le rédacteur-en-chef lui-même demande un investissement particulier envers un auteur…)

-Dans tous les cas, il faut absolument récupérer les planches aujourd’hui pour qu’elles partent à l’impression ! Et puisque Kaminari n’a pas assurée…

Oui, classique… S’il y a cafouillage, la tête de la pyramide réprimande ceux en-dessous et les réprimandent se transmettent jusqu’à arriver au responsable en question. Je n’étais que le maillon d’une chaîne dont le bout était Kaminari.

-Très bien, je vais arranger ça…, ai-je soupiré.

-Je compte sur toi.

Sur ces mots, Makimura retourna à son bureau tandis que je fis signe à Karin de me rejoindre pour que nous allions parler dans un coin plus discret. Une fois que je me suis assuré que nous étions assez éloignés des oreilles indiscrètes, j’ai tenté d’en savoir plus :

-Bon, c’est quoi, ta version des faits ?

-Senpai… Tu n’es pas en colère ?

-Dis-moi déjà de quoi il en retourne et je verrais jusqu’à quel point je dois être en colère…

Il m’a regardé comme si elle était sur le point d’éclater en sanglots puis a baissé la tête et a commencé à m’expliquer :

-L’auteur dont je suis responsable… C’est un jeune bourré de talent au dessin. Mais au niveau écriture… C’est très maladroit, par moment. Je lui ai fait la remarque mais il n’en a pas tenu compte. Encore moins avec son histoire actuelle…

-Je vois le genre… Continue.

-Dans l’ensemble, son histoire était correcte mais la fin n’entrait pas vraiment dans la ligne éditoriale du magazine. Un peu trop sombre. Je lui ai demandé d’égayer ça un peu ou alors de faire une fin en demi-teinte. Le souci, c’est qu’il n’a pas voulu changer, m’a dit que je n’y connaissais rien et refuse de remettre les planches tant que je souhaite une modification. Il refuse de me parler tant que je reste sur mes positions…

Je comprenais mieux. Ce n’était pas étonnant. Il n’était pas rare qu’un débutant soit réticent à modifier son travail sur lequel il avait passé énormément de temps mais en général, avec des explications, il comprenait le point de vue et faisait ce qu’on lui demandait.

-Tu as son numéro ?

-Oui, bien sûr.

-Appelle-le et passe-le-moi après.

-D’a… d’accord.

Elle prit alors son téléphone et l’appela pendant que je patientai.

-Allô, Sakamoto-san ? Je vous appelle pour… Oui, vos planches. Et… Attendez, ne raccrochez pas ! Mon supérieur hiérarchique aimerait vous parler… Oui… Oui, je vous le passe.

(Bon, au moins, il voulait bien parler)

Elle me passa le téléphone et j’entamais le dialogue :

-Sakamoto-san ? Nishiyama Shûhei, éditeur pour le Shônen Jump. Merci d’avoir accepté de me parler.

-Sakamoto Daiki, fit une voix assurée. Enchanté. J’imagine que c’est au sujet de mon manga.

-Oui. J’ai cru comprendre qu’on vous a demandé des modifications mais que vous avez refusé de les faire.

-La fin est très bien comme elle est ! dit-il en haussant le ton. Il n’y a pas besoin de la changer ! Et de toute façon, qu’est-ce qu’elle en sait, de ce qui est bien ou non dans un manga shônen ? C’est une femme ! Comment pourrait-elle comprendre ce que veulent les lecteurs ?

Malgré sa remarque plus que déplacé, je n’avais pas l’intention de lui faire la morale sur sa façon de penser. Je n’avais pas le temps ni la patience pour ça. Mais il fallait qu’on sorte de cette situation. Donc, je lui ai proposé ceci :

-Sakamoto-san, pourriez-vous venir à la rédaction avec vos planches ? J’aimerais les regarder moi-même pour juger l’histoire.

-Vous ?... Bah, vous êtes un homme. Vous serez plus à même de bien juger mon histoire, au moins ! D’accord, je viens !

(Il n’a pas été difficile à convaincre… Mais le fait qu’il soit si enthousiaste à l’idée qu’un homme juge son travail, je trouve ça dérangeant…)

Après m’avoir annoncé qu’il serait là dans une demi-heure, j’ai raccroché et rendu son téléphone à Karin. Elle n’a rien dit, se contentant de garder la tête baissée. Il n’était pas difficile de deviner qu’elle pensait avoir merdé et que j’allais rattraper sa bourde, surtout parce qu’elle débutait vraiment le métier avec son premier auteur.

Nous avons patiemment attendu la venue de Sakamoto, que nous avons accueillis tous les deux dans un box au rez-de-chaussée pour pouvoir parler et regarder son travail.

Sakamoto était un garçon maigrichon qui entrait dans sa vingtaine à l’allure négligé. Si son apparence laissait à désirer, ses dessins étaient vraiment très soignés voire au niveau de certains pros qui avaient déjà une série. En revanche, comme l’a souligné Karin, au niveau de l’écriture, ce n’était pas ça. Je trouvais même que Karin avait été très indulgente de ce côté-là. Ses archétypes de personnages étaient très caricaturaux mais n’avait pas de touches qui laisserait penser qu’il irait au-delà. Pour des personnes qui lisaient peu de mangas ou de la fiction en général, cela pouvait passer et encore ! Mais pour des habitués, ça risquait de bloquer. Et là, nous parlions d’une histoire courte, alors une série…

J’ai lu son manga deux fois, alors qu’il bombait le torse avec fierté comme s’il s’attendait à être encensé. J’ai ensuite posé les planches sur la table et ai soupiré avant de prendre la parole :

-Sakamoto-san, je suis navré mais dans l’état, votre histoire manque de qualité. Surtout en comparaison avec la précédente. Et comme a dû vous le dire Kaminari-san, la fin est trop sombre pour la ligne éditoriale du Jump.

Le visage de Sakamoto se décomposa dans un premier temps puis se déforma sous la colère avant qu’il ne réplique :

-Mais… C’est cohérent avec le reste, non ? Faire une fin plus gaie n’aurait aucun sens !

-C’est cohérent, je vous l’accorde. Mais si ça ne rentre pas dans la ligne éditoriale, votre histoire a plus de chance d’être mise de côté, même si les lecteurs apprécient.

-C’est les lecteurs qui ont raison ! Si le manga leur plaît, il sera publié !

-Très certainement, votre manga récoltera des voix. Mais, Sakamoto-san, vous comptez passer pro ? Avoir une série dans l’hebdomadaire ?

-Bien sûr !

-Dans ce cas, ça va coincer avec ce genre de fin. Encore une fois, c’est trop sombre. Pas adapté avec la ligne éditoriale. Ça risque de vous desservir si vous voulez continuer à être publié ici.

Sakamoto ne dit plus rien, se contentant de me fusiller du regard. J’ai donc poursuivi :

-Mais si vous tenez à faire publier votre manga en l’état, je peux toujours le transmettre à mes supérieurs. Après, la décision finale de le mettre ou non dans le magazine leur revient.

Sakamoto n’a même pas pris le temps de réfléchir et me demanda de présenter son manga comme il était. Il a ainsi remis ses planches et est parti juste après.

Karin et moi sommes ensuite remonté à la rédaction remettre les planches à Makimura. Je devinais facilement qu’il n’était pas ravi du manga qu’on lui ramenait mais nous devions ramener ces planches au plus vite. Qui plus est, nous lui avons raconté notre entrevue avec Sakamoto et il s’est montré plus compréhensif.

-Ah, on en rencontre toujours, parmi les débutants, ce genre de type… Bah, comme tu l’as prévenu, Nishiyama, il n’aura pas à s’étonner du résultat… Bon, faut que j’envoie ça fissa à l’imprimerie… Ah, j’y pense ! Nishiyama, l’auteure dont tu t’occupes… Heu… Kamado ?

-Oui.

-Elle n’a pas présenté d’histoire pour l’Akamaru de cet été. Ça va aller ?

-Ah, à ce sujet… Le dessinateur a bâclé le travail et en l’état, je ne pouvais pas décemment le présenter à la réunion pour une publication.

-Ah, je vois… Attends, le dessinateur en question… C’était pas Okada, par hasard.

-Si. Et ce n’est pas la première fois qu’il nous fait le coup. À mon avis, nous ne devrions plus faire appel à lui.

-Ah, ce Okada… Il arrête pas de nous causer des problèmes, depuis un moment… J’ai déjà reçu plusieurs plaintes de la part de personnes avec qui il bossait… Bien ! La rédaction va se passer de lui, maintenant, de manière officielle. Je m’en chargerai après avoir envoyé ces planches à l’imprimerie. Navré de t’avoir demandé de te déplacer ici pendant ton jour de congé, Nishiyama. Tu aurais sans doute voulu profiter de ta famille.

-Si on pouvait éviter ce genre de chose, à l’avenir… Ma fiancée a failli se mettre en colère pour ça.

-Yuna-san ? C’est rare, qu’elle s’énerve contre toi, intervint Karin.

-Hahaha ! Dans ce cas, tu devrais retourner auprès d’elle rapidement ou elle risque de rompre vos fiançailles !

-Ne plaisantez pas avec ça, M. Makimura…, lui ai-je demandé en fronçant les sourcils.

J’ai vérifié quelques papiers avant de laisser Karin s’occuper du reste et je suis reparti de la rédaction. En tout, tout ceci m’avait pris trois bonnes heures. J’avais tout juste le temps de rejoindre les filles avant qu’elles ne rentrent à la maison. J’ai envoyé un message à Yuna pour la prévenir :

J’ai terminé à la rédaction. Vous êtes où ?

Une réponse plus tard :


On s’est posé dans un petit restaurant familial. On a bien profité des magasins. Ah, Abby a dit qu’elle nous rejoindrait là-bas, pour nous dire bonjour. Je compte sur toi pour bien te tenir, hein ?


J’ai roulé des yeux avant d’envoyer ma réponse :


Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Que je vais l’embrasser ou un truc comme ça ?

Ce ne serait pas la première fois…, m’écrivit-elle. Je te taquine, Shûhei. Bref, on t’attend avant de rentrer à la maison.


Si elle pouvait éviter de faire ce genre de plaisanterie…

Elle m’a ensuite envoyé l’adresse du dit restaurant et je me suis ensuite dirigé vers la gare. Ah, le manque de bol… C’était l’heure de pointe. Circuler dans les couloirs du métro bondé était étouffant, encore plus avec cette foutue chaleur. Sans parler du fait d’être serré comme pas possible dans une rame bondée.

Ah, j’avais hâte de me poser tranquillement pour profiter de la fin de ma journée de congé…

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