Rendez-vous glauque
Un fin crachin tombait sur la pelouse d'un vert quasiment incandescent. Toute la beauté du printemps commençait à s'estomper, laissant la place aux couleurs estivales.
Paul est arrivé en premier, avec à ses côtés, ses amis, François, Jules, Martial et Frank.
Combien de fois ces cinq acolytes se sont-ils retrouvés pour parler du dernier match des Canadiens ou de la dernière connerie du ministre Untel au gouvernement ? Combien de bières ont-ils dégustées ensemble au fil des ans sur une terrasse, sur un quai, dans un canot ou dans une cache à l'orignal ? Ils étaient inséparables ceux-là, dans le calme comme dans la tourmente.
Martial et ses amants secrets jusqu'à ce qu'il sorte de la cage dans laquelle il s'était confiné. François et sa magnifique épouse qu'il a trompée mille fois parce qu'elle l'avait trompé une fois. Jules, le Parisien, un peu détaché du lot mais ô combien bonimenteur, qui avait toujours mille projets en tête et qui avait fait fortune dans les placements. Frank, l'Américain manqué, qui parlait toujours de retourner dans la Louisiane de ses ancêtres mais qui avait fait construire des duplex et des triplex à la chaîne pour justifier son incapacité à sauter la frontière. Puis finalement, Paul, le célibataire enamouré d'une mystérieuse jeune et jolie femme qu'il avait croisée un jour d'été sur une plage, qu'il rêvait un jour de retrouver et à qui il allait enfin révéler son grand amour.
La grande Catherine arrivait enfin, flanquée de trois amies, Nicole, Félicia et Antoinette.
Nicole, la soeur de Catherine, avait tout arrangé, anxieuse de faire de cette rencontre un événement grandiose que tous se remémoreraient. Félicia, confidente de toujours de Cathy, s'était assurée que les amis de Paul y soient également, témoins fidèles du moment. Quant à Antoinette, il avait peu à en dire, du moins pour l'instant, sinon qu'elle revêtait ce regard de mystère qui inquièterait un quidam qui passerait là par hasard.
Les fines gouttelettes s'alourdissaient pour cogner dur contre les parapluies ouverts.
Les deux groupes se rapprochèrent et malgré le tumulte des eaux venues du ciel à travers les rafales, un mélange de silence et de soupirs tourbillonnait sans fin.
Paul et Catherine furent mis côte à côte et tous reculèrent.
Deux cercueils brillaient au centre du terrain vague. Mille étoiles glissaient le long des boiseries et des ferrures. Un souffle retenu. Des larmes masquées par le temps.
Jules et Frank ouvrirent le cercueil où reposait Paul puis celui de Catherine. Ils soulevèrent le corps avec douceur et le déposèrent aux côtés de Catherine puis refermèrent le couvercle de bois en se signant.
Antoinette fit signer les papiers requis et se retira sans ajouter rien de plus à cette scène.
Quelque part, dans un ailleurs meilleur, Catherine tendit la main à Paul qui la saisit.
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