Prologue
Extraits de correspondance entre l'Impératrice Marie-Thérèse, la Dauphine/Reine Marie-Antoinette, l'Ambassadeur Comte de Mercy-Argenteau et la sœur Marie-Christine ; mais aussi des extraits de lettres de l'armoire de fer.
En l'an 1770.
Le 21 avril, à sa fille : Demandez à M. et Mme de Noailles, en l'exigeant même, sur tous les cas, ce que, comme étrangère et voulant absolument plaire à la nation, vous deviez faire, et qu'ils vous disent sincèrement s'il y a quelque chose à corriger dans votre maintien, dans vos discours ou autres points. Depuis Strasbourg vous n'accepterez plus rien sans en demander l'avis de M. ou de Mme de Noailles, et vous renverrez à eux tous ceux qui vous parleront de leurs affaires, en leur disant honnêtement qu'étant vous-même étrangère, vous ne sauriez vous charger de recommander quelqu'un au Roi.
Le 8 mai, à Marie-Thérèse : La comtesse de Noailles, qui répond à tout ce qu'on avait dit à ma chère maman, me sert de guide avec un intérêt et un dévouement admirables.
Le 15 juin, à Marie-Thérèse : D'ailleurs le Roi, en traitant fort bien la comtesse de Noailles, lui dit qu'il s'en reposait sur elle de tout ce qui regardait le service qui lui était confié, et qu'il donnerait les mains à ce qu'elle aurait à lui proposer dans la suite à cet égard. Elle connait à fond la comtesse de Noailles ; je voudrais que celle-ci n'étendît pas trop loin la complaisance et la flatterie envers sa maîtresse. Je n'ai pas caché mes observations à cette comtesse, mais je ne suis pas encore bien près d'obtenir d'elle ce qui serait désirable à cet égard.
Le 14 juillet, à Marie-Thérèse : Cette dernière (comtesse de Noailles) remplit assez bien sa charge à plusieurs égards, mais je ne puis réussir à lui faire changer son ton de complaisance et de flatterie, par lequel elle croit se procurer du crédit, à quoi elle est bien éloignée de parvenir ; en effet Mme la dauphine la traite très bien, mais n'a aucune confiance en elle et ne la croit pas en état de donner un bon conseil.
Le 1er août, à Mercy-Argenteau : Je vous charge donc de témoigner de ma part à Mme de Noailles et à l'abbé de Vermond que je me promets de leur attachement pour ma fille qu'ils auront soin de l'avertir de ces défauts si jamais elle se laissait s'y entraîner par son penchant.
Le 20 août, à Marie-Thérèse : Le même soir, je me trouvai en lieu tiers avec le duc de Noailles, beau-frère de la dame d'honneur. Ce duc est l'homme de France qui a peut-être le plus d'esprit et qui connait le mieux son souverain et la cour. Le duc de Noailles étant un homme à citer, j'ai cru ne pas devoir omettre ici son sentiment tel qu'il me l'a exposé (au sujet de Marie-Antoinette).
Le 19 septembre, à Marie-Thérèse : La comtesse de Noailles fut extrêmement mortifiée de ce message, et représenta à Mme la dauphine, avec assez de courage, qu'elle n'était point faite pour recevoir ses ordres par une femme de chambre, laquelle d'ailleurs ne pouvait commencer son service avant d'avoir prêté serment. Elle me répondit sans détour et avec bonté qu'elle convenait d'avoir été induite à de fausses démarches par rapport à la comtesse de Noailles ; mais qu'elle allait tout réparer, soit pour le présent, soit pour l'avenir...
Le 20 octobre, à Marie-Thérèse : Entre temps, la comtesse de Noailles est mieux traitée que par le passé ; cette dame d'honneur est entièrement calmée sur ses inquiétudes ; et tout est rentré à cet égard dans l'ordre désirable.
Le 17 décembre, à Marie-Thérèse : Dans ces derniers temps, la comtesse de Noailles avait repris de l'humeur sur ce que Mme la dauphine la dispensait un peu trop souvent de la suivre à la chasse, et paraissait préférer de se faire accompagner par des dames du palais plus jeunes et plus enjouées. Lorsque la dame d'honneur m'en fit ses plaintes, je lui répondis que c'était à elle à ne point accepter cette dispense que lui donnait Mme la dauphine...
En l'an 1771.
Le 23 janvier, à Marie-Thérèse : La comtesse de Noailles ayant renouvelé tout récemment cette même demande (une place de dame de palais chez la comtesse de Guiche, sa nièce), Mme la dauphine voulut bien suivre mon avis, et dit à sa dame d'honneur qu'ayant une opposition de la part de Mesdames, il fallait lever cet obstacle, et qu'alors Son Altesse Royale se prêterait volontiers à la demande en question. La comtesse de Noailles parut contente de cette explication et s'adressa à Mesdames, qui la reçurent si mal que la dame d'honneur en est entièrement dégoûtée et médite de quitter sa place. La perte serait médiocre s'il n'y avait pas le risque de la voir remplacée par quelque femme dangereuse...
Le 11 février, à Mercy-Argenteau : Je me doute que le déplacement de Mme de Noailles pourrait convenir à ma fille. Il n'y aurait que trop à craindre qu'elle ne fût remplacée par un mauvais sujet.
Le 25 février, à Marie-Thérèse : J'ai heureusement réussi à calmer tout à fait l'esprit de la comtesse de Noailles sur le petit dégoût qu'elle avait essuyé... Mme la dauphine a bien voulu en dédommager sa dame d'honneur par toutes sortes de marques de bonté qu'elle lui a données, et qui ont dissipé tous les projets de retraite de la comtesse de Noailles. Elle s'occupe avec grand zèle de tout ce qui peut plaire à Mme la dauphine ; mais la tournure de son caractère et de son esprit n'admet pas qu'elle se rende utile dans des choses plus essentielles, et toutes les tentatives que j'ai faites pour tâcher de l'exciter à cet égard n'ont abouti qu'à me convaincre de l'impossibilité d'y réussir. Indépendamment des bals chez Mme la dauphine, la comtesse de Noailles en a donné plusieurs chez elle, que Son Altesse Royale a honorés de sa présence. Elle y est venue la première fois avec M. le dauphin, qui la conduisait sous le bras ; il dit en entrant à la comtesse de Noailles : « J'espère, Madame, que vous voudrez bien recevoir le mari et la femme ; nous ne venons point ici pour y apporter de la gêne, mais pour partager vos amusements. »
Le 15 mars, à Mercy-Argenteau : Il vaut toujours mieux que Mme de Noailles reste dans son poste que de le voir occupé par une femme de la clique de la Barry.
Le 16 avril, à Marie-Thérèse : Je trouvai Son Altesse Royale fort irritée contre la comtesse de Noailles ; elle me dit que cette dame d'honneur lui avait débité tout plein de mensonges sur son audience chez le roi, que Mme la dauphine, ayant éclairci la vérité, avait fait des reproches à la comtesse, et Son Altesse Royale en fit à ce sujet des plaintes qui ne sont en effet que trop fondées. Je suppliai cependant Mme l'archiduchesse d'user d'indulgence, parce qu'il est bien certain que la comtesse de Noailles, malgré ses défauts, est celle des femmes de la cour qui a le moins d'inconvénients pour la place qu'elle occupe. Le seul parti que je puisse en tirer (la comtesse de Noailles) est celui de la mettre en opposition à l'empire de Mesdames, qui voudraient gouverner la maison et la personne de Mme la dauphine.
Le 8 mai, à Marie-Antoinette : Ce que vous me dites des deux dames qu'on a données à la comtesse de Provence doit vous convaincre combien vous devez user de précaution ; quelle différence de Mme de Noailles à ces deux ! Je veux vous passer quelle vous excède à force de vous vouloir du bien, mais c'est toujours une femme qui passe pour être honnête et attachée à vous ; c'est un grand point, et étant des premières maisons, où trouverez-vous des parfaites sans intrigues ou sans être ennuyantes ?
Le 16 novembre, à Marie-Thérèse : Il est des circonstances où une marque de grâce accordée par Votre Majesté à la comtesse de Noailles pourrait devenir très utile, et ce serait peut-être dans le cas où on songerait à éloigner cette dame d'honneur, sous prétexte qu'elle déplaît à Votre Majesté ou à Mme la dauphine ; mais les projets que le parti dominant peut avoir sur cette place ne me paraissent pas encore assez avancés pour donner à craindre une prompte réussite, et si Votre Majesté daignait le trouver bon, je crois qu'il serait d'une plus grande utilité d'attendre le moment où une marque de bonté donnée à la comtesse de Noailles pût produire l'effet désirable.
Le 3 décembre, à Mercy-Argenteau : Je vous autorise à faire en mon nom à Mme de Noailles le présent que je lui destine, dès que vous remarquerez qu'il serait à sa place. Vous pourriez même en faire l'emplette à Paris selon que vous le trouverez à propos.
Le 19 décembre, à Marie-Thérèse : Le danger du déplacement de la comtesse de Noailles semble s'être un peu éloigné...
En l'an 1772.
Le 23 janvier, à Marie-Thérèse : Il doit y avoir la semaine prochaine des petits bals chez la comtesse de Noailles ; je sais qu'il est question d'en exclure Mme la comtesse de Provence, et que ce projet a été formé chez Mesdames. C'est une occasion prochaine à tracasserie que je vais tâcher d'éloigner. Le plus simple sera que la comtesse de Noailles n'invite personne à ses bals, et qu'elle se borne à y recevoir les princes et princesses de la famille royale qui voudront y venir sans être sollicités d'honorer ces petites fêtes de leur présence.
Le 8 mars, à Marie-Christine : Il est difficile de bien s'entendre sur des choses en dehors de l'étiquette avec madame de Noailles...
Le 15 avril, à Marie-Thérèse : Le duc de Noailles, comme capitaine des gardes du corps actuellement de quartier, conjointement avec le duc d'Aiguillon, comme chef des chevaux légers, et le prince de Soubise, en qualité de chef des gendarmes de la garde, adressèrent leur demande à la comtesse de Noailles, qui leur déclara qu'elle s'en tiendrait à l'ancienne étiquette jusqu'à ce qu'il plût au roi d'en disposer autrement. La comtesse de Noailles prit une audience du roi, lui exposa ses raisons ; Sa Majesté les approuva, et dit qu'il n'y aurait point de changement à l'ancien usage ; mais les chefs de corps ayant eu audience de leur côté, le roi décida en leur faveur. La comtesse de Noailles, qui s'était vantée de ce que le Roi lui avait dit, se trouva grièvement compromise ; elle parla de quitter la cour, et je vis le moment où tout cela allait devenir très sérieux. Cette lettre (du duc de La Vrillère) écrite par le ministre produisit l'effet de mettre à couvert la comtesse de Noailles ; les esprits se calmèrent un peu, et en parlant aux deux partis, je suis presque parvenu à effacer l'aigreur que cet incident avait produite.
Le 15 juin, à Marie-Thérèse : Tout ce que je puis faire pour augmenter et soutenir le crédit de la comtesse de Noailles ne me réussit qu'imparfaitement, par une suite de l'extrême ineptie de cette dame d'honneur, laquelle, avec des vues assez honnêtes, n'a aucun des talents nécessaires à les faire valoir.
Le 17 juillet, à Marie-Thérèse : La comtesse de Noailles a eu un grand effroi. Le chevalier d'Arpajon, son fils cadet, vient d'avoir la petite vérole ; il avait été inoculé par Gatti ; ce n'est pas le premier exemple des inoculés de ce médecin-là ; aussi tous ceux qui l'ont été par lui ont eu grande peur.
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