Poussée par les encouragements de ses parents, Gridule décida donc, un jour de pluie, de quitter sa forêt et de se rendre au palais. Elle voulait recevoir l'enseignement d'un mage et en devenir un à son tour. Elle fit, pendant des jours, la queue devant les sous-sols afin de pouvoir parler au Grand Porfiou, dont on entendait parler à cinq royaume à la ronde. Gridule n'avait pas de barbe, et c'est la première chose que Porfiou lui fit remarquer quand elle lui partageao son souhait de devenir, elle aussi, un mage. Gridule expliqua qu'étant une femme, elle ne pouvait pas laisser pousser sa barbe mais que, ce détail excepté, elle ne voyait pas ce qui l'empêchait de devenir un mage pareil à tous les autres. Porfiou ferma les yeux, réfléchit un instant, et hacha la tête en semblant accepter.

Il sortir un grand parchemin et demanda à Gridule de le signer, expliquant qu'il s'agissait de s'inscrire pour devenir son élève. Gridule, des étoiles dans les yeux, admira la qualité de la calligraphie, les lettres joliment formées, et la façon dont, en s'alignant dans sa tête, les mots qu'elle déchiffrait formaient des sonorités rythmées et rimées. Le texte était fort long et, par les sphères des lettres qui s'emmêlaient et les sons qui dansaient les uns avec les autres, il semblait créer un effet hypnotisant. Néanmoins, l'attention de Gridule fut éveillée par un terme. C'était un mot qu'elle n'avait jamais aimé, et qui lui semblait fort engageant : "Renoncer". Toute sa jeunesse, Gridule avait tenté de faire de la magie et, malgré ses très nombreux échecs, jamais elle n'avait renoncé. Renoncer était un mot qu'elle avait définitivement chassé de son vocabulaire, et, en le voyant penché sur ce parchemin, elle ressentit des frissons.

Il était par exemple écrit : « En devenant l'élève de Porfiou, je m'élève vers une connaissance sans prix. Pour cela, j'accepte de renoncer à mon ignorance, à la terne vie que j'ai connue jusqu'ici, à mon intégrité, à la banalité de l'être que j'ai été jusqu'à présent et à mon impuissance. » Quels propos curieux aux yeux de Gridule ! Bien sûr, elle ne tenait pas particulièrement à son ignorance et à son impuissance, pas plus qu'à la banalité de son être ou à la terne vie qu'elle avait connue jusqu'ici. Mais elle n'aimait pas le verbe "renoncer", et elle croyait tenir au moins un peu à son "intégrité", même si elle ne savait pas exactement ce que cela signifiait et recouvrait.

Gridule, gardant son calme et réprimant ses frissons, demanda simplement à Porfiou s'il y avait moyen d'enlever ses phrases du contrat. Porfiou refusa, semblant dire à Gridule qu'elle n'avait pas à se préoccuper de cela. D'une voix rassurante et posée assortie d'un haussement d'épaules, il lui dit : « Ne vous inquiétez pas pour cela Gridule. Ce ne sont que des conditions standard qu'on retrouve pour tous les enseignements de magie. »

Gridule ressentit un étrange malaise et, alors que, à demi-consciente, elle s'apprêtait à signer, elle sentit sa main la bruler. La douleur la réveilla. Elle n'avait pas envie de signer cela ; pas envie de renoncer à son intégrité ou à quoi que ce soit. Après tout, peut-être même qu'elle tenait un peu à la banalité de son être ou à certains aspects de la vie telle qu'elle l'avait connue jusqu'ici. Gridule voulait faire de la magie, oui, mais elle ne voyait absolument pas pourquoi cela exigeait de pareils engagements. Elle ne trouvait pas ces conditions "standard". Son intuition lui criait que Porfiou mentait probablement quand il disait qu'elles étaient valables dans tous les enseignements de magie. Après tout, Porfiou n'était pas le seul mage des royaumes alentours. Gridule pouvait au moins essayer de les rencontrer, et de voir si, chez eux, elle pourrait devenir mage à moindre prix.