Partie VI

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Xantha marchait d’un pas pressé, ses talons résonnant sur le sol de pierre grise. Dieux, que cette forteresse était grande ! D’autant plus quand, plongée dans les ténèbres, elle était l’antre d’une créature démoniaque. Une goutte de sang perlait le long du doigt de la sorcière, permettant de maintenir la flamme rougeâtre qui éclairait la voie. La nuit était désormais tombée. Les couloirs labyrinthiques de l’édifice, pour ceux qui disposaient de fenêtres, n’étaient même pas éclairés par le reflet de la grande lune. L’astre s’était dissimulé derrière d’épais nuages.

La femme ne fixait son regard sur rien, et sursautait à chaque ombre. Plus encore qu’à l’accoutumée, l’endroit était bercé par le silence. L’air était froid, presque glacial. Xantha resserra le gilet sur sa robe noire. Pour un peu, on aurait pu dire que la forteresse était abandonnée depuis des années. Or ce n’était pas le cas. Désormais, quelque chose vivait ici.

La femme pris à droite à un embranchement, et déboula sur un couloir aux murs couverts de portraits. Chacun d’entre eux représentaient une matriarche du Conclave, et plus rarement une sorcière qui s’était illustrée par ses hauts-faits. À l’autre extrémité du passage, un espace était laissé libre. Il accueillerait le portrait de Maîtresse Dione, lorsqu’elle ne serait plus. La sorcière ralentit l’allure, gardant son attention sur la porte du bureau face à elle. Elle n’aimait pas sentir le poids du regard des portraits sur elle. Ils lui semblaient … maléfiques.

Xantha entra dans la pièce tout autant plongée dans la pénombre que le reste du Conclave. Nulle trace de Dione. Rien ne bougeait dans le bureau, à l’exception d’un long et léger rideau blanc, qui flottait sous le vent devant la fenêtre qu’elle avait empruntée quelques heures plus tôt. Au-dehors, elle distinguait les jardins, calmes et immobiles. Une nouvelle fois, un frisson la traversa. Derrières les colonnes du jardin, elle avait l’impression de voir des silhouettes qui l’épiaient. N’était-ce qu’une impression ?

La femme essaya de se rassurer elle-même, à mi-voix.

— Dione doit être aux archives, en sécurité.

Elle avait pourtant le sentiment que c’était faux. Elle s’apprêtait à refermer la porte lorsqu’un détail attira son œil. Il y avait quelque chose sur le bureau de son ancienne tutrice. Quelque chose qui dégoulinait. Un bref interstice dans les nuages qui masquaient la grande lune illumina la surface et en révéla la nature.

Un cadavre d’écureuil blanc trônait sur le meuble de chêne massif.

Le sang de Xantha se glaça, et elle sortit sans demander son reste. Elle devait rejoindre les archives, et vite. Réfléchissant au chemin le plus court, son regard se posa sur sa droite. L’espace laissé vide pour le portait de Dione ne l’était plus. Un cadre avait été posé, entourant une peinture écaillée. La Maîtresse du Conclave y était représentée. Elle avait les yeux morts, la bouche légèrement ouverte. Et le cou tordu.

Ses sens en éveil, amplifiés par l’adrénaline, sondèrent chaque coin des couloirs qu’elle traversait à la hâte. Elle ne courait pas, car son intuition lui disait que cela motiverait la créature à la débusquer bien plus férocement. Elle ne se faisait pas d’illusion. Désormais, elle était comme l’écureuil : une proie.

Tous les couloirs se ressemblaient. Tous étaient inquiétants. Xantha eut l’impression de marcher pendant des heures. Elle n’avait rien vu, ni senti. Pour un peu, elle aurait même pu croire que la créature avait abandonné la chasse. Sur un coin de mur, la femme remarqua un éclat, qu’elle reconnut tout de suite. C’est elle qui avait abimé la surface avec un sortilège, bien des années auparavant. Le mur avait à peine été touché, mais la sorcière qui l’avait provoquée avait failli perdre la vue. Elle y était presque. Elle prit sur sa gauche, et s’arrêta net.

Une femme lui tournait le dos. Ses cheveux d’un roux flamboyant tombaient en cascade sur ses épaules, qui se haussaient et se rabaissaient en rythme. Le mouvement, semblable à celui provoqué par un rire, faisait frémir sa longue et épaisse robe blanche. La fourrure immaculée, miroitant sous l’oscillation de ses omoplates, terminait en une longue traine. Elle dégageait un parfum de fleurs. De la lavande et de l’orchidée. Il ne pouvait s’agir que de Frimelda.

Mais Frimelda était morte.

La sorcière blanche ne cessa son petit manège, tournant le dos à Xantha. La créature se jouait d’elle. Elle avait fait apparaitre une illusion de celle qu’elle n’avait jamais réellement appréciée pour la tourmenter. L’apparition bloquait la voie, empêchant Xantha de rejoindre les archives. Mais elle avait un autre chemin en tête. Si elle était assez rapide, elle parviendrait peut-être à la distancer. Sinon …

Elle fit un pas en arrière. Si jusque-là, « Frimelda » était restée sur place, le léger déplacement de sa collègue la fit réagit, comme s’il l’avait subitement alertée. Elle cessa de mimer le rire. Doucement, elle pivota, et révéla son visage. Elle avait la peau pâle. Trop pâle. Et ses yeux bleus fixaient sans ciller la sorcière. Trop bleus. Cela ne pouvait pas être Frimelda, revenue d’entre les morts. Mais Xantha sentit que cela ne pouvait pas être une simple illusion. La créature, déguisée, lui faisait face.

Alors que la monstruosité achevait de se retourner, la sorcière discerna que le pan de sa robe s’imbibait de noir. Le liquide qui trempait le tissu était, au plus haut, d’un rouge profond. Quelque chose tomba lourdement sur le côté de la robe laiteuse. Obnubilée par la bête aux traits si humains devant elle, elle ne prit pas immédiatement conscience de ce que c’était. Puis elle reconnut le chignon argenté, la figure marquée par les années. Le tableau qu’elle avait détaillé quelques moments plus tôt semblait avoir pris vie, du moins s’était-il réalisé. Des yeux morts. Un cou tordu. La tête inanimée de Maîtresse Dione gisait derrière la robe de la créature. Cette dernière recommença son manège. Son dos se voûta, et ses épaules se haussèrent. Mais la créature ne riait pas. Elle n’avait jamais ri. Elle haletait rapidement, comme un chien qui venait de courir. La bouche ouverte, elle inspirait et expirait très vite, d’une manière extrêmement dérangeante pour un individu à la forme humaine.

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