Petit bonhomme
Un matin de novembre
On peut dire que ce petit bonhomme est arrivé en grande pompe.
Moi qui déteste ne pas avoir le contrôle sur tout! C’est bien pour ça que j’avais prévu le moindre détail! Depuis une semaine, je sais qu’aujourd’hui, enfin, il sera près de moi. Enfin, je découvrirai sa bouille, lui que j’attendais depuis des mois.
Je suis pleine de bonnes résolutions. Cette fois-ci, pas de surprotection, pas de surplein d’amour, pas de maman poule!
Je ferai l’équilibre entre amour inconditionnel, inébranlable et décisions raisonnées d’une éducation maîtrisée. Pas question de redevenir cette guimauve dégoulinante de tendresse, ramollie à coup d’je t’aime, sans volonté face aux beaux yeux aussi suppliants qu’ils sont manipulateurs. Je vois bien chez les plus grands, qu’ils me prennent pour une cruche. Je me souviens encore de la remarque de ma fille à l’une de ses amies venant faire une pyjama partie. < T’inquiète, elle est trop gentille! Elle aboie mais ne mord pas!> Moi! Moi, j’aboie?!? Un chien! J’étais comparée à un chien! Je n’avais rien contre ces petites bêtes mais quand même!
Je quitte ces pensées humiliantes pressentant une nouvelle vague de douleur. Je m’agrippe aux draps, prête à la bataille. Allez, viens Salope! Rugis-je, je suis prête! Les contractions se font plus violentes et intenses. Je vais imploser! Ce petit homme, coincé dans mon utérus, joue au rocambole, danse la rumba ou s’amuse au pogo avant même de pointer le bout de son nez!
Je vois encore mon vieux gynéco, mon fidèle allié dans ces moments de solitude. Il peut bien arborer une crinière poivre et sel digne d’un Richard Gere dans Sommersby, il garde un air poupin et rondouillard qui donne confiance.
- Tout est prêt, disait-il, ce matin. Il n’y a plus qu’à attendre le travail. Tu me fais appeler quand ça se rapproche, hein?
Quand ça se rapproche! Non mais dis donc, c’est pas parce que je suis à mon troisième gamin que je sais quand ça approche moi! Maugrée-je, entre deux contractions. Et il partît! Confiant en son équipe, confiant en sa patiente qu’il suit depuis plus de vingt ans, il quitta la pièce, mains dans les poches en sifflotant.
Heureusement, j’ai mon chéri près de moi. Il va me donner du courage, lui! Mais à la vue de sa mine déconfite aussi blanche que les draps rêches sous mes fesses, je comprends bien vite qu’il était déjà HS! Ce grand bonhomme de plus d’un mètre quatre-vingt, à l’allure virile avec ses tatoos plein les bras et son crâne rasé se liquéfie devant la solitude qu’était la nôtre. Et plus les contractions se font proches et plus mon homme se racrapote. Il faisait les cent pas entre le lit et la porte d’entrée. Il m’en donnait le vertige.
Et ce petit bonhomme qui continue sa danse! Rumba, polka et cha cha cha! Je ne sais quelle est son trip là dedans, mais je pressens déjà que ce petit bonhomme-là va m’épuiser pendant plusieurs années!
Le moment est venu pour la péridurale, je sens mon corps lacéré par ces vagues violentes. Mon chéri, se voulant utile, parcourt le couloir en hurlant < venez, venez, venez viiiiite>
Je lève les yeux au plafond! Pourquoi les hommes perdent pied dans ces moments là? A crier comme un goret, il va réveiller tous les nourrissons de la maternité. Il revient, fier comme Artaban d’avoir trouvé une infirmière. Enfin, plutôt, une stagiaire presque aussi jeune que ma fille aînée.
D’une voix hésitante, elle me demande d’écarter les jambes pour voir le col. Je vois bien à son joli minois qu’elle ne sait que faire. Sait-elle au moins compter les doigts?
Où en suis-je? Lui demandais-je. Mais pourquoi ai-je la désagréable impression que je suis plus experte dans les accouchements qu’elle?
Balbutiements, regard hésitant qui balaie l’air entre mon mari et moi, j’ai envie de la gifler! La secouer à coup de soufflet! Faut que je fasse tout moi-même! Exaspérée, je la sors de sa torpeur!
- Eh, la petite! Elle va se réveiller oui! Au vu des contractions, il est plus que temps d'appeler l’anesthésiste!
J’ai à peine terminé ma phrase qu’un râle porcin m’agresse les oreilles. Oh non! Voilà une autre qui va me taper sur les nerfs! Elle ne peut pas accoucher en silence, celle-là! Si c’est pas possible d’être dérangée comme ça dans sa souffrance ! Ai-je besoin du stress d’une autre patiente ?
Mon regard assassin se retourne vers ma victime du moment: la stagiaire. J'éructe:
- Alors! Vous attendez quoi pour aller chercher l’anesthésiste ? Vous voulez que je vous fasse un billet de sortie peut-être ?
Elle se redresse tremblante et file jusqu’à la porte sans même me répondre.
Le regard blanc, je fixe le trouillard statufié à mes côtés.
- Elle va revenir, dis? Lui demandais-je désespérée.
Hagard, il ne peut me répondre que par des onomatopées :
- heu….bein ooooh mumm.
Il caresse nerveusement l’arrière de son crâne en piétinant le sol.
Non, mais c’est pas possible! Tout le monde perd la tête aujourd’hui. Il n’y a que moi pour prendre les choses en main, bordel! Je me relève en soutenant mon gros ventre, quand la jeune fille revient avec une blouse stérile et une charlotte. Et ça continue! me dis-je. Je lui demande un anesthésiste, elle me sort la panoplie anti-amour dernier cri.
Tout en évitant la lame meurtrière de mon regard, elle commence à m’aider à me préparer.
- L'anesthésiste est en route. Vous êtes sa prochaine patiente. Le docteur termine ses consultations et vient ensuite. Quant à mes collègues...hum…elles s’occupent d’une patiente dont le bébé arrive par le siège.
Sa tirade, entrecoupée par cette malheureuse qui crie à tue-tête, m'inquiète plus qu’elle ne me réconforte. Je comprends que je suis seule avec un mari qui tangue dangereusement vers les abysses d’un malaise et une bleu des accouchements, parachutée dans ma chambre presque par pur hasard. Comme on peut se sentir seule même entourée!
Les contractions me laissent de moins en moins de répits. Je ne suis que douleur et souffrance. Je veux en finir! Mon ventre, dure comme du béton, électrise le bas de mon dos. Mon sexe se gorge de sang et commence à me brûler. J’ai beau essayer de me raisonner, je sens bien qu’il sera trop tard pour la péridurale. Je suis devenue furie! Assise au bord du lit de travail, je m’accroche à un pseudo rideau épais telle Jane dans sa jungle. Sauf que mon Tarzan à moi reste tétanisé, éberlué par le spectacle de sa femme qui se bat contre elle-même. Je fus soudainement emplie de compassion pour ce grand bonhomme. Lui qui avait toujours le dessus dans toute situation se retrouve bien démuni face à la douleur du début de la vie, du début du monde.
Je lui souris tendrement avec tout l’amour que je peux lui porter. J’oublie presque que c’est de sa faute si je me trouve dans cet état! Charlotte à moitié sur la tête, les frisettes entourant mon faciès tordu, les jambes ballantes et les bras encerclant un fichu rideau, je lui lance mon plus joli regard. Bon, difficile de séduire vue ma dégaine.
- Ça va aller, mon chéri, me surpris-je à lui ronronner.
- Mais tu souffres tellement mon coeur! Et je ne peux rien faire, je ne peux rien faire. Tu comprends?
- Oui, chéri. T’inquiète pas je gère, lui dis-je avec un sourire forcé.
Tu gères? Tu gères quoi, bordel? Tu dérouilles, oui! Tu subis et il y a personne pour t’aider! Et putain, où il est cet anesthésiste de mes deux! Il fait une partie de Poker ou quoi! Où alors c’est le cousin du Lapin dans Alice aux pays des merveilles! Toujours en retard! Et le doc? Il fait quoi? Il boit un café en mangeant des tartines? Oh merde, la revoilà qui revient! Cette salope ne me laisse plus une minute! Il descend, je le sens, il descend! Attends attends mon gars, pas comme ça, chaton! Je passe de la compassion à la colère, de la colère à l’inquiétude. Je tremble! De peur? D’angoisse? De mal? Peu importe!
- Chéri! Va chercher quelqu’un! Un docteur, une infirmière, n’importe qui qui porte une blouse blanche! Dépêche! Cours, chéri, cours et gueule comme tout à l’heure!
Et il court mon chéri oui, il court! Et il gueule, oh oui, il gueule! Et moi? Bein moi je me recouche et je prie un Dieu auquel je ne crois pas! Je me mets sur le flanc en serrant les fesses, espérant le retour de quelqu’un, peu importe qui! Mon mari, le doc, la stagiaire, même le balayeur que j’ai croisé à l'entrée de l’hôpital, peu importe! Je ne veux pas accoucher toute seule!
Il revient! Mon sauveur, mon amour! Il revient avec le doc! Mon amour de gynéco! Le dieu tout puissant! Celui qui va me libérer du plus adorable des monstres!
Ni une ni deux, Docteur Gere me fait tourner sur moi-même, m’écarte les cuisses ( sans demander la permission) et me dit:
- Allez, dernière ligne droite! A la prochaine, tu pousses!
Je relève la tête, éberluée.
- Mais t’es pas bien toi! ( oui je le tutoie, après 3 accouchements et toutes les fois où il a vu mon minou, j’ai le droit quand même!) et l’anesthésiste? Il arrive quand?
- Ma grande, l'anesthésiste, ne viendra pas. Il y a eu un carambolage ce matin, il est débordé par les urgences, annonce mon gyneco d’un ton presque paternel.
- Quoi! Et moi? Suis pas une urgence? Rugis-je, en serrant les dents.
- Écoute ma p'tite cocotte, il est trop tard! Ton gamin il est là! Il faut pousser maintenant!
Sur ces mots, il me gratouille l’antre de mon vagin.
- Je sens presque ses cheveux, viens voir, dit-il à mon chéri plus blanc que blanc, dashifié par l’aplomb du doc. Viens voir, tu vas rater le meilleur!
Hé, ce n'est pas un spectacle, bordel! Ohhhh, sauvez-moi! J’en peux plus, faut que ça sorte là! Je perds pied, je dérouille, j’encaisse! Coups à droite, coups à gauche, mon ventre n’est que bouillie; mon corps, qu’une pauvre loque. Mon chéri s’approche de moi. Il caresse doucement mon front, puis prend ma main.
- Allez, chérie, tu as fait le plus dur. Puis, il se tourne vers le médecin. Je vais rester là, Doc. Suis mieux, ici.
Oui mon chéri, tu es mieux près de moi contre moi. Tiens-moi la main, ne lâche pas mon regard, mon coeur, donne-moi la force, juste un peu de force! Je suis soulagée. Il s’est dégonflé, il a paniqué mais, finalement, il est là. Et c’est tout ce qui compte.
L’ultime contraction arrive! La brûlure sans nom m’incendie la chair! Faut-il donc passer par l’enfer pour recevoir le plus merveilleux des cadeaux! Et ce cri! Un miaulement muté au grognement d’un porcelet, le voilà! Mon p’tit bonhomme! Mon boxeur d’utérus! Mon danseur de rumba et cha cha cha. Il tremble!
Sans hésiter, je dénude une épaule puis l’autre et je tends les bras vers ce graal tant désiré. Mon doc me regarde, l’œil mouillé. C’est un tendre mon doc, c’est pour ça que je l’aime.
Je prends mon fils, ma chair, mon cœur et le pose doucement, peau contre peau. Il se calme instinctivement, il comprend qu’au creux de mon cou, il aura toujours sa place. Et dans la profondeur de son regard brumeux, j’entrevois les étoiles, feux d’artifice d’un amour inconditionnel, inébranlable qui me lie à lui, à l’infini.
Table des matières
Commentaires & Discussions
Petit bonhomme | Chapitre | 7 messages | 3 ans |
Des milliers d'œuvres vous attendent.
Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.
En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.
Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion