Epilogue
Nous y sommes, le mois de mai se termine et chaque jour j'ai eu cette étrange interaction avec le générateur de cyber haïku. Un exercice intéressant et formateur, qui m'a amené à voir évoluer mon avis sur la question...
Si j'avais été émerveillé par le premier cyber haïku "Frog" obtenu le 3 mai, l'émerveillement s'est vite émoussé pour se transformer progressivement en énervement devant l'impossibilité d'influencer réellement l'algorithme avec mes envies poétiques, puis en ennui devant la répétitivité de la structure des cyber haïku générés, en frustration devant la difficulté de l'étape de traduction, pour finir par une acceptation bienveillante des limites de l’outil.
Au final je n'ai pas été aussi transporté par les cyber haïku créés que je l'espérais. Bien sûr, certains m'ont interpellés... sans doute par un effet de hasard, si tant est que le hasard existe, ou parce que j'avais choisi des mots qui ont une signification forte pour moi. Mais globalement, dans l'ensemble, j'ai été plutôt déçu. C'est d'ailleurs peut-être rassurant de se dire que les haïkus générés artificiellement, si ils vérifient certes la structure syllabique imposée par l'exercice, ne font pas forcément naître en nous autant d'émotions que ceux de Bashõ.
Car finalement c'est bien de cela qu'il est question en poésie, bien plus que de rythmes et de rimes : cette capacité, en jouant avec le langage dont nous sommes pétris, de susciter des images, des souvenirs, des idées dont la juxtaposition crée des émotions puissantes.
Au final, ce constat m'a aussi aidé à me détacher, dans l'exercice de traduction, du cyber haïku de départ. Si j'ai cherché, dans les premiers, à trouver une traduction aussi précise que possible, sans toujours y arriver d'ailleurs (comment traduire par exemple le jeu de mot sur "scape goat" ?), j'ai fini par accepter de n'y voir qu'un point de départ, un aiguillon pour une écriture plus personnelle, et j'ai laissé plus souvent le programme choisir lui même les mots de départ aléatoirement.
Ces choix ont parfois réveillé des souvenirs oubliés ou des synchronicités étonnantes. Ainsi, dans "Cuillère", le chou et la cuillère m'ont semblé destinés à rapprocher la citation de William Blake ("voir le monde dans un grain de sable" des fractales observables dans le chou romanesco. Dans "voyage Marin", c'est un passage du Tchouang Tseu ("la grenouille dans le puits") qui s'est imposé dans mon esprit. Le singe dans "Le poids de la démocratie" m'a tout de suite rappelé l'utilisation par Laurent Testot (dans son livre "cataclysmes") du terme "Singe" pour parler de l'humanité et de ses impacts sur l'environnement. Bien sûr, les évocations de dunes, jardins, arbres, et des multiples animaux de la base de données du générateur ont eu une résonance particulière pendant la période de confinement... la "Chaussure de plage" par exemple résumait bien ma frustration de ne pouvoir profiter du beau temps pour aller marcher sur le sable, et je crois que c'est ce haïku qui restera mon préféré de tous ceux co-écrits pendant ce mois de mai 2020 !
J'espère que cet exercice vous aura intéressé ou au moins amusé, et que la lecture de ces cyber haïku aura su faire naître en vous quelques émotions agréables.
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