Abandonnés de tous
Avez-vous déjà connu la personne la plus seule au monde ?
Les plus attentifs d’entre vous diront que c’est impossible, car elle cesse d’être seule lorsque vous la rencontrez.
Elle existe donc à la condition de ne pas avoir connaissance de son existence. Le patient dont je vais vous parler, fait partie de ces gens oubliés de tous : les personnes âgées isolées.
J’ai donc connu ce qui semble être le vieux monsieur le plus seul au monde. Il l’était avant que je n’arrive chez lui, cessait de l’être pendant dix minutes, et le redevenait après mon départ.
Finalement, il ne serait pas si esseulé, si son unique visite n’était pas celle d’un salarié, le faisant uniquement parce qu’il est payé et qu’il a un peu pitié.
Ce salarié, c’était moi. Et je n’étais pas payé par lui, car il était trop pauvre. J’étais payé indirectement par la sécu. Notre rencontre n’était donc pas le fruit de la solidarité familiale, de l’amour, ou de l’amitié. Ça n’était qu’une question d’argent et de devoir, selon le bon vouloir d’une institution en faillite.
On peut être terriblement seul au milieu d’une foule animée. A ce titre, cet homme vivait dans une grande tour HLM délabrée. Il faisait partie de cette population dont personne ne veut, et parmi elle, personne ne voulait de lui. Il avait une multitude de voisins, mais il était livré à lui-même.
Chez lui, pas de portraits de joyeuses têtes blondes comme chez mamie. Chez lui : aucune photo, rien, juste une table et une vieille radio grésillante.
L’odeur y était infecte, comme si la mort prenait de l’avance sur lui. Il était tellement pauvre, qu’il n’avait même pas le luxe d’avoir du bordel au sol. Son appartement n’était qu’un néant nauséabond, à la parfaite image de son existence.
Le vieil homme était trop faible, trop résigné, trop triste pour demander de l’aide. Bien au contraire, il refusait les mains tendues.
Tout ce que je pouvais faire, c’était de passer lui acheter du pain et quelques courses que j’ajoutais aux dix kilos de compléments alimentaires que je lui livrais.
Quand un étudiant fauché prend pitié de vous, vous savez que vous avez touché le fond.
Les compléments de renutrition orale, remboursés par la sécu, constituaient sa maigre pitance. Ils sont destinés aux personnes dénutries suite à des chimiothérapies ou d’autres soucis de santé. Mais lui n’avait rien de tout cela. S’il était en état de dénutrition avancée, c’est parce qu’il était trop pauvre pour acheter de la nourriture. Ses seules maladies étaient le grand âge, la solitude et l'indigence.
Lorsqu’il recevait la moindre aide, il était partagé entre joie, et tristesse. Mais c’est surtout la honte que l’on pouvait percevoir sur son visage.
Au bout d’un moment, nous n’avons plus eu aucun signe de vie. J’ignore combien de temps s’est écoulé avant que nous nous en apercevions, car même nous, l’avions délaissé parmi les centaines de patients dans le même état que lui.
Je ne peux que supposer qu’il est mort dans l’indifférence générale. Le pire, c’est que j’ai même oublié son nom...
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