La menace de mort

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Dans ce métier, on rencontre de drôles de gens, d'un coté comme de l'autre du comptoir. Je suis bien culoté de me plaindre car pour trouver ces créatures là, il faut souvent l'avoir bien cherché. Ainsi en ayant choisi de travailler dans l'une des pharmacies les plus dysfonctionnelles de Strasbourg, j'ai bien mérité les souffrances dont je vais vous parler.

Ma collègue Ouafae est probablement l'une des pharmaciennes les plus lunatique, psychorigide et harcelante des cent kilomètres alentours. Ses sautes d'humeur la poussent à crier sur le titulaire et à insulter les patients qui lui manquent de respect: "Dégage hé connard!" avant de se tourner vers moi, génée "Ohlala, qu'est ce que tu vas penser de moi, mais bon t'as vu comment il m'a parlé, quel enculé... Ohlala pardon".

Mes jeunes collègues apprenties tiennent moins d'un an avant de fuir. Moi je l'aime bien, en fait elle est aussi charmante qu'une bombe à retardement. Tant que vous la laissez faire ses tic-tacs sans la contrarier, vous êtes en relative sécurité. Tout ce qui est dangereux me fascine.

Un jour, Ouafae avait décrété que nous allions faire le ménage et nous débarrasser des patients irrespectueux et louches sous subutex afin d'assainir notre patientèle et rendre notre pharmacie plus attirante et "bobo-friendly", parce que le petit bourgeois de gauche a beau militer pour la tolérance, quand il la voit de prês sous la forme d'un toxicomane en manque, munis d'un couteau, criant et insultant, il la fuit la jolie tolérance.

Un homme louche est arrivé dans la pharmacie, il lançait des regards bagarreurs aux autres patients, déambulait en vociférant bruyamment, effrayant notre apprentie en tentant de l'aborder, avant de venir au comptoir pour exiger son subutex, muni d'une ordonnace traffiquée. Ouafae l'a bien sûr dirigé vers moi et m'a fait des signes et des pincements de dos afin de me faire comprendre qu'il fallait lui refuser son traitement et le faire partir au plus vite.

J'ai d'abord usé de diplomatie, mais ça n'a pas marché, ça l'a même franchement énervé. Alors j'ai fait ce que tout mauvais pharmacien du coin fait, je l'ai envoyé dans une autre officine. Malheureusement, à ce jeux là, les autres sont bien meilleurs que moi. Ils ont joué au badmington avec lui, en se le renvoyant entre eux, il a passé l'après midi à se faire virer des pharmacies avant de revenir ici, inutile de vous dire qu'il était dans de pires disposition qu'avant. Je soupsonne la pharmacie d'en face de nous avoir traités de menteurs et de lui avoir soutenu que nous donnions le subutex à tout le monde, c'est ce qu'ils font tout le temps, ainsi ils n'ont aucun patients toxicomanes et gardent une patientèle toute propre et présentable, c'est plus facile de se faire de l'argent en attirant les bourgeois de cette manière. Et nous, nous avons tous les toxicomanes de la ville.

Je vous vois déjà me juger, ces gens doivent être aidés, pas discréminés. Je vous assure que c'est ce que nous faisons. C'est avec plaisir que j'extirpe ces gens de l'héroine en leur délivrant leur traitement de substitution. Malheureusement certains individus se font passer pour toxicomanes afin de revendre leurs traitements, ce ne sont pas de vrais patients mais des délinquants. Alors nous virons ceux qui ne veulent pas jouer le jeux, et depuis le temps, nous avons appris à les reconnaitre.

Lui prétendait être en manque alors qu'il n'en avait aucun signe clinique, son ordonnance était bidon et nous ne l'avions jamais vu avant, il mentait sur son ancienne pharmacie qui était soit disant en travaux alors qu'ils l'avaient juste viré car il les menaçait et revendait son traitement, en bref plus personne ne voulait de lui et nous avions déjà assez de patients à aider.

Nous pensions être débarrassés de lui, l'après midi battait son plein, nous servions des dizaines de patients à la hâte, en sous effectif, dans l'indifférence la plus totale d'un pharmacien titulaire absent et négligent. C'est avec un certain regret et, il faut l'avoue une bonne dose d'inquiétude, que nous l'avons vu revenir chez nous, furieux, vindicatif, tout en doublant la file discontinue de patients agacés.

J'ignore combien de temps j'ai passé à tenter de le raisonner, lui expliquer que nous ne le prendrons pas comme patient car nous sommes saturés et que de toute façon nous n'avons plus son subutex tant convoité. Quel être obtu, il a tant insisté, un véritable forceur, ce sont ceux dont j'ai horreur.

- Pourquoi vous me faites ça? Tout ce que je vous souhaite c'est que vous tombiez dans la drogue pour savoir ce que ça fait!

- Tout ce que je vous souhaite c'est que vous vous en sortiez.

Je crois que c'est cette phrase qui m'a trahi, il a dû détecter une faille quelque part, car la gentillesse est prise pour de la faiblesse. Avec eux, il faut être intransigeant et inhumain, c'est ce que les collègues des autres pharmacies font, avec grand succès puisqu'ils arrivent à se débarasser de tous les toxicomanes du quartier. A ce jeu là, je ne suis pas très bon, carrément mauvais.

Alors il a fallu qu'il aille trop loin,

"Tu veux que je te tire dessus ou quoi? Je sors de prison moi."

Une menace de mort. J'ai connu les incivilités, le manque de respect, le mépris et les insultes. J'ai connu une tentative de coup de boule et d'intimidation. Mais j'avoue que se faire menacer, c'était une premiere, c'est une chose particulièrement désagréable. Vous pourriez argumenter que je l'ai bien cherché, pourquoi ne pas lui donner ce qu'il veut, et puis pourquoi bosser dans un tel endroit? Et puis c'est bien de ma faute, je n'ai pas su communiquer comme il faut, n'est-ce pas? Dans les métiers de soin, lorsque vous vous faites aggresser, il arrive souvent qu'on vous le reproche à vous, plutôt qu'à l'auteur, c'est une terrible chose.

Je l'ai regardé, pas d'arme, une tête de moins que moi, j'ai fait ce que toute personne censée ferait, j'ai appelé la police. Ils sont venus assez vite, cinq gaillards musclés, dont leur chef à belle barbe blonde, un véritable viking. Si vous n'êtes pas content de voir arriver la police, laissez moi vous dire que vous n'avez jamais vraiment vécu, ni vraiment travaillé avec l'humain, j'exigererais si je disais que vous êtes peut-être même un peu privilégié, pour pouvoir vous permettre de cracher sur des gens qui viennent vous aider (à condition de ne pas manifester, sinon... Enfin ce ne sont pas les mêmes)

Ils l'ont expédié sans violence, à notre grand soulagement, il nest jamais revenu.

Ce soir là, j'ai eu envie de tout plaquer, d'ailleurs j'ai démissionné. Le pire dans tout celà, c'est que je ne me suis pas sentit tant que ça en insécurité, et que j'ai connu bien pire. Ca vous fait vous poser des questions, est-ce que ça en vaut la peine? Risquer de se faire aggresser, se faire insulter, je ne suis pas sûr que ces gens méritent les pharmaciens, ni les médecins ni qui que ce soit.

Je me suis dit à l'époque que je devais marquer le coup en déposant au moins une main courante. Ainsi, si il m'abat ou me poignarde à la sortie du boulot, on trouvera aisément le coupable et cela fera gagner du temps à tout le monde. L'acceuil que j'ai eu au commisseriat fera l'objet d'une autre histoire car elle vaut le détour.

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