Pas tous faits pour...

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A mon époque, pour intégrer les études de pharmacie il fallait passer un concours difficile qui retenait une centaine d'étudiants pour un bon millier de candidats. Environ un sur dix, c'était les chiffres, c'était ce que nous étions aux yeux des autres. Je me rappelle d'une déscente de faluchards (une association étudiante d'ivrognes) dans l'amphi et d'une fille à beret portant une minijupe et un maquillage de chat qui nous pointait du doigt en disant: "C'est triste, toi tu l'auras, toi tu l'auras pas hihi" avant de danser sur les tables avant un cours de biologie animale. Son haleine était si chargée en éthanol qu'elle m'a fait tourner la tête.

Nous étions selectionnés sur des matières qui, pour la plupart, ne servaient à rien pour exercer notre futur métier: Physique quantique, atomistique, chimie minérale, chimie organique, thermodynamique, mécanique des fluides, biologie moléculaire, enzymologie, mathématiques avec statistiques, probas, équa diff, matrices... Elles servaient certes à comprendre les bases du fonctionnement de notre monde et du corps humain, ainsi que les voies de synthèse de médicaments obtenus par chimie. Mais elles étaient enseignées à des niveaux tellement fondamentaux qu'elles n'avaient aucun sens si ce n'est de nous dégouter.

Je fais encore des cauchemars de la salle de concours à Rungis, de mon état de confusion mentale le soir lorsqu'il fallait retenir toutes ces informations lourdes. Je décrouvre encore ma copie cauchemardesque agrémentée d'idéogrammes chinois, la sensation de brûlure au cerveau lorsque je me réveille en sursaut.

Le plus dur c'est de luter contre soi même, la tentation étant encore jeunes et plein d'énergie de vouloir profiter de la vie, de batifoler, s'amuser, mais de ne pas pouvoir le faire pendant un voire deux ans en se disant que l'on aura tout le temps plus tard. Que si nous échouons, nos vies seront misérables. Pour des étudiants de 19 ans qui n'ont connu que les bonnes notes, et jamais les échecs, la découverte de mes résultats et mon redoublement furent un choc, et la deception sur le visage de mes parents un coup de poignard. Etre meilleur que mille autres personnes... Ou juste meilleur que soi même car le principal ennemi est en nous.

Je me rappelle d'Amanda, ma voisine d'amphithéâtre dont j'étais amoureux qui me disait qu'il fallait absolument rester célibataire cette année, car se mettre en couple c'est perdre beaucoup de temps qui pourrait être passé à réviser. Puis de m'avoir dit que l'année prochaine on rattraperait le temps perdu. Lorsqu'elle est passée en 2ème année et que je suis resté en 1ere, je me suis dit qu'elle rattraperait le temps perdu seule et que j'ai perdu un an de ma vie.

Il y a pire vous savez... J'ai connu une étudiante dans ma promo: Gwenaelle, une grande jeune femme blonde à lunettes dont le rêve était de devenir pharmacienne. Elle me faisait beaucoup rire, lorsqu'elle me racontait qu'en allait à la fac l'autre jour, un type en cabriolet avec des lunettes de soleil s'est arrêtée à son niveau en lui disant: "Mademoiselle! Vous êtes pas possible!" et qu'elle l'a menacé de lui casser la gueule, elle pratiquait la boxe française et avait une carrure imposante.

Un jour elle m'a prêté ses cours pour m'aider après une absence et j'ai été incapable de la relire... Pas parce que c'était mal écrit, au contraire, c'était une écriture de fille claire et arrondie non... Les lettres étaient inversées à presque tous les mots, on aurait dit une salade de syllabes.

Nous en étions à la dernière année où les épreuves se faisaient en rédactionnel avec des mots clés, ce sont eux qui rapportent des points et il est necessaire de bien les orthographier sinon ça ne compte pas. De même, les questions étaient conçues pour nous tromper, il fallait parfaitement lire, comprendre et écrire pour ne pas perdre de points bêtement. Le tout est chronométré et j'ai bien compris que le stress et les mots techniques, scientifiques empiraient sa dysléxie qui avait probablement déjà été prise en charge par le passé.

Elle a échoué, bien sûr... Et elle était déjà redoublante, donc c'était foutu pour elle. Plus de rêve, plus jamais. En vérité, une bonne partie des étudiants qui passaient le concours parce qu'ils connaissaient déjà le métier et l'aimaient ont échoué, seuls ceux qui l'ont fait par dépit ont réussi, moi compris.

Peut-être que c'est mieux ainsi car les noms des médicaments se confondent facilement (surtout leur nom de générique), il m'arrive encore parfois de lire de travers une posologie et de rattraper l'erreur au dernier moment. Avec la fatigue et le stress, certains pharmaciens ont déjà fait des erreurs qui ont couté des vies, juste sur une mauvaise lecture, une inattention, donner un aspegic 1000 mg au lieu d'un aspégic 100mg à un nourrisson qui mourra quelques jours plus tard.

Qu'est ce que ça aurait pu donner avec une dyslexique? C'est cruel n'est-ce pas?

Point amusant: Savez-vous ce qu'est devenue Gwenaelle maintenant?

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Ingénieure dans le nucléaire...

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Héhé...

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