Prologue
En vérité, le docteur Bérenger n’avait jamais vu nouveau né plus banal que celui-ci.
Le visage était rouge, fripé par l’accouchement, et des traces blanchâtres de vernix demeuraient dans les plis de la peau. Il sommeillait sereinement et sa respiration, lente et régulière, soulevait sa poitrine par légers à coups.
L’infirmière qui lui avait apporté le nourrisson dans son landeau de verre s’approcha de nouveau.
La mère appelait après son enfant. Elle demandait à savoir où il se trouvait, s’il allait bien. Pourquoi personne ne lui répondait. Et puis, Charles s’impatientait également. Vous comprenez, Docteur Bérenger, qu’il va bien falloir leur dire quelque chose, ne pourriez-vous pas…
Tout cela l’agaçait terriblement. Tout ce temps perdu en discussions, en négociations inutiles et tortueuses ! Bien évidemment, il était inutile d’espérer grand chose d’esprits tout ce qu’il y avait de plus communs et étroits. Qu’on raconte ce que l’on voulait à la mère. Qu’importe après tout. Quant à Charles… Il patienterait. Il était évident qu’il devait lui parler également, mais en attendant...
L’infirmière poursuivit son bavardage inepte sans qu’il ne l’écoute.
Le bébé venait d’ouvrir deux yeux bleus immenses, et ces yeux s’étaient fichés tout au fond des siens, sans hésitation, sans ciller, comme s’ils allaient chercher jusqu’à son âme.
Oui, Charles allait devoir attendre.
“ Docteur Bérenger ? Dois-je…”
Le docteur Béranger ne parut pas même la remarquer. Il s’était penché vers l’enfant, et ses yeux acérés le disséquaient du regard.
“Sedna, vous êtes encore bien trop faible pour parler. Si vous m’entendez et me comprenez, serrez trois fois mon doigt”, dit-il finalement d’un ton conciliant en glissant son auriculaire dans la petite paume du nourrisson.
La main minuscule se resserra trois fois. L’infirmière eut un hoquet. L’homme sourit.
“Parfait. Continuons voulez-vous ? Serrez deux fois pour oui, trois fois pour non. Vous rappelez-vous de moi ? Savez-vous où vous êtes ? Vous souvenez-vous de notre discussion d’hier ?”
L’étreinte autour de son doigt se raffermit par deux fois à chacune de ses questions. Son sourire s’agrandit, immense, et son visage s’approcha encore.
“Si vous saviez” et la lumière des néons, au rythme du mouvement des lèvres, faisait riper un éclat sur ses dents blanches, “Je suis tellement, si ravi de vous voir”
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