Un conte : les aïeux

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Il apparut au lever du jour, sur la plage.

Un reflet, une vibration colorée, une silhouette qui se dessine. D’abord pâle mirage puis apparition. Une houppelande de lin écru, des cheveux bruns très courts sur un visage pâle au nez aigu. Ses pieds chaussés de cuir souple, un instant suspendus, daignent enfin se poser sur le sable.

A côté, une barque, peut-être une chaloupe, sommeille encore, drossée sur la grève. Des traces, fraîches, montrent que d’autres sont parties à l’aube, pour le large, en compagnie de bateaux de pêche.

Un village se tient là, bien tenu, habité de gens bien vêtus, bien nourris, libres, au regard fier. A quelques pas, une bâtisse vaste, fortifiée, protège ce petit peuple de la mer.

Pendant que nous regardions au loin, une autre silhouette s’est incarnée. Une cape bleue recouvre une houppelande blanche. Les cheveux sont blonds, un peu bouclés. Le visage pale montre un petit nez pointu et des yeux sombres. Elle prend la main de l’homme et silencieusement, ils se dirigent, à pas lents vers les habitations.

Ils forment un couple, tranquille, détendu, serein. Une ombre de tristesse vient démentir cette première impression. La dame paraît émue. Retrouve-t-elle un pays, après un long voyage ? Les deux se tiennent dignes et cois.

A peine se sont-ils approchés, que les villageois les regardent avec une crainte révérencieuse. Les enfants détalent, les adultes s’agenouillent, un jeune homme court en direction du château.

Ils ont reconnu le roi Gustav et la reine Charlotte, fondateurs de la dynastie, mille ans plus tôt.

La reine les regarde avec émotion, les salue

– Mes enfants ! Comme vous êtes beaux ! Je vous retrouve enfin.

Le roi reste dans ses pensées et entraîne sa compagne au-delà du cercle des habitations.

– Vous y mettez trop d’affection ma chère, vous vous faites du mal.

Elle se rapproche imperceptiblement de lui. Il la regarde mi-attendri, mi-sévère.

– Mon cœur se serre, que voulez-vous.

– La commisération est dans votre nature …

Elle lui étreint le bras plus fort.

– Oh Gustav, je vous connais ! Sous votre façade de dignité, vous ressentez ce que je ressens et vous voyez ce que je vois …

Deux cavaliers ont franchi la porte du château et s’approchent à bride abattue.

– Les fils de nos fils viennent à notre rencontre, plus un mot Charlotte. Je ne sais plus si je peux vous faire confiance.

– Je saurai tenir mon rang. répond-t-elle énigmatique.

Le seigneur des lieux, accompagné de son fils, s’arrête à quelques mètres. Il jauge le couple un instant, l’air sévère. Puis son visage retrouve le chemin de l’adoration.

– Père, mère !

Il descend de sa monture, la confiant à son fils. S’approche et met genou à terre.

– Père ! Nous avons préservé votre héritage. Mon royaume est votre. Je suis votre humble féal ! Le jeune villageois s’est approché. Le fils descend de cheval à son tour et lui confie les rênes. Il s'avance.

– Quel est ce prodige père ! Je reconnais nos fondateurs ! Les portraits dans le grand hall !

Son père se tourne vers lui, sévère.

– Nous sommes bénis par ce miracle ! Prosterne-toi mon fils !

Il ploit les deux genoux au côté de son père.

Le vieux roi tend la main en geste d’apaisement.

– Ne blâme pas le dauphin, Roi Henri. Je sens dans sa fougue toutes les belles qualités de notre dynastie. Tu l’as bien élevé mon petit-fils ! Relève-toi car tu es Roi dans ce pays et je ne suis pas venu te contester la charge que tu remplies avec force et bravoure !

La Reine prend la main du prince et le relève. Dans son regard elle revoit la jeunesse de son royal époux.

Le roi Henri se relève à son tour et pousse son fils vers son aïeul. Son visage barbu au nez fin mais aigu, est emprunt du plus grand respect.

– Père, bénissez ce fils qui est aussi le votre !

La gorge de la reine s’est nouée. Elle prend une grande respiration et invoque la force de sa jeunesse. Elle demande pardon aux âmes qui lui ont permis ce dernier voyage et son parjure. Elle s’exclame, un peu trop fort.

– Nous sommes venus vous avertir ! Ce soir, passé l’heure de minuit, la mer …

Elle porte la main sous son sein, là où son coeur se serre d’une douleur atroce.

– Charlotte …

Le roi Gustav a perdu sa superbe. Il voit sa femme s’effondrer, les genoux à terre. Alors que ses deux descendants se penchent sur elle, il sait lui, qu’il est déjà trop tard. Sa voix s’élève, pâle comme un rêve.

– Passé l’heure de minuit, la mer …

Son corps se tend comme un arc. Il étouffe un râle et poursuit.

– La mer se retirera au bord du monde.

Les poings serrés il titube, le buste courbé, retenant encore sa chute.

– Elle reviendra, en une vague, mère de toutes les vagues aussi haute que les montagnes et vous détruira tous. Fuyez ! Tel est mon commandement! !

Le tonnerre roule dans le lointain sans qu’un orage ne menace.

Les aïeux tombent l’un sur l’autre.

Un reflet, une vibration colorée et il ne reste rien d’eux que leur sacrifice.

Le roi prend son fils par le bras et s'exclame :

– Je vais dépêcher des héraults dans tous les villages côtiers. Va prévenir nos villageois mon fils. Qu’on fasse des feux pour alerter les pêcheurs. Nous partons pour les hauteurs !

Alors, de toutes les cités, bourgs et hâmeaux exposés, partirent les familles, en processions de charrettes, chevaux et bétail. Les cavaliers et soldats aidant les plus faibles.

Le ciel limpide, le vent immobile, démentaient l'oracle. Peu voulurent rester, encore moins le décidèrent face à la ferveur des leurs. Le temps suspendu, ralentissait les pas. La rumeur inaudible les rattrapait sans cesse. Impavides ils poursuivirent leur pélerinage vers des régions plus proches du ciel, qu'ils priaient silencieusement.

Enfin du haut des premiers contreforts, on s'établit, à la lueur des torches.

Au loin, la mer se retira, pour prendre son élan. Son éclat argenté, sous la lune, s'éloignait au delà du visible. Puis l'onde se redressa au ciel, érigeant son propre palais mouvant. La vague poussée dans son élan par le souffle des monstres abyssaux, s'étira, engloutissant les étoiles elles-mêmes.

Villages, bâteaux, champs, maisons, puits, châteaux, rien n'échappa à sa colère herculéenne.

Plus tard, non loin du village dévasté, on ne retrouva rien du château du Roi, hors un pan de mur, abritant la fresque des deux fondateurs. Leur visages aimables et fiers appelant à reconstruire la vie de toujours.

Un conte tout simple pour rêver à la cité verdoyante

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