Elle le savait depuis le début
Je marche, l'herbe mouillée couine sous mes chausses presque autant que cette jeune femme aux cheveux roux bouclés. Ils le sont au même titre que les poils de l'animal qu'elle berce entre ses bras. C'est un chat endormi pour toujours dont les moustaches sont perlées des larmes de sa maitresse. Autour d'elle, d'autres cadavres d'animaux egayent le sol terne de leur pelage hirsute (c'est ironique).
"Pourquoi pleures-tu ?"
"Ça ne se voit pas ? Mon chat est mort!" Elle inspire et sanglote, le fait de l'avoir verbalisé tout haut lui fait prendre conscience tout bas de la réalité.
"C'était couru d'avance non?"
"Comment-ça?"
"Lorsque tu l'as acheté, tu savais que tu vivrais plus longtemps que lui et que ce jour arriverait. Pourtant tu l'as fait... Maintenant tu t'étonnes"
"Je ne m'étonne pas, je pleure. Et puis je ne l'ai pas acheté, je l'ai adopté, c'était un animal abandonné..."
"Ça ne change rien au résultat final non ?"
"Est-ce censé me consoler ou m'accabler? Quelle genre de personne es-tu pour dire cela à une âme en peine?"
"C'est triste et cinglant je l'admets, mais n'est-ce pas moins vrai ?"
"Faut-il absolument dire ses quatre vérités et le fond de sa pensée à une personne au fond du trou ? Ne pouvais-tu pas attendre que j'en sois remise ? Ou aimes-tu voir les autres souffrir ?"
"Non, non, j'essayais juste d'aider" Là j'avoue qu'elle m'a fait mal, mais c'est mérité.
"Eh bien tu n'aides pas!"
"Ecoute..."
"Et puis d'ailleurs je n'avais pas la certitude que je l'enterrerais, qui sait? Peut-être serais-je morte avant lui, peut-être que c'est ce que j'esperais"
"Dans ce cas c'est cruel pour lui"
"On ne pense pas à ces choses là lorsque l'on aime, n'as-tu jamais aimé un être au point de t'oublier? T'aimes-tu déjà toi même? Ton existence est vide, la mienne est pleine au moins."
"Pleine de tristesse..."
"Je préfère cela à l'ennui, à ce vide intérieur que tu ressens au point de venir assister aux émotions des autres afin de tenter de t'en nourrir sans les comprendre"
"Wow tu es dure."
"Je le suis car je suis triste et que tu es sans coeur"
"Hum... Pourquoi ne pas prétendre qu'il est juste endormi?"
"Parce qu'il ne l'est pas et que je le sais. Et quand bien même, vais-je caliner un corps sans vie jusqu'à ce qu'il pourrisse? Tout comme ma tristesse, elle ne doit pas rester cachée en moi et se décomposer, elle doit sortir une bonne fois pour toute même si c'est douloureux. Tu es bien immature de refuser la mort"
Ses yeux sont gonflés, ses genoux en sang, sa peau est bleue, elle semble épuisée et malade.
"Dis... Depuis combien de temps pleures-tu cet animal?"
"Depuis que je l'ai trouvé et adopté"
"Quoi?! Tu veux dire qu'il était déjà mort lorsque tu l'as adopté?!"
"Oui!"
"Mais c'est de la folie? Pourquoi adopter un chat mort et en pleurer ?"
"Tous les êtres vivants méritent d'être pleurés à leur mort, j'aurais aimé qu'on le fasse pour moi!"
"Et les autres créatures?"
"Je n'ai pas encore commencé pour elles, mais ça va venir..."
"Peut-être... Devrais-tu te reposer, tu as l'air mal en point..."
"Je me reposerai quand je serai morte..."
"Et dans ce cas, qui va te pleurer?"
"... Promets-moi que tu le feras!" Elle m'attrappe par la main, ses ongles s'enfoncent dans mon bras, c'est douloureux.
"Heu... Oui d'accord, c'est promis"
"Pendant au moins dix jours d'affilée!"
"Quoi?! Mais c'est trop!" Les ongles s'enfoncent...
"Aie! Aie! Je te pleurerai une heure promis!"
"C'est trop peu! Je mérite plus que ça!"
"Aie! Une journée! Une journée complète!"
"D'accord!" Elle lache prise puis creuse à mains nues.
"Je te laisse..."
"Va voir les autres, ils ont peut-être des réponses pour toi... Adieu"
"Adieu..."
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