Bien
Je sais ce qu'il en est. Enfin.
J'ai attendu ce moment pendant longtemps. Au final, un bête accident de parapente m'apporte LA réponse. Depuis toujours, je me torture l'esprit à ce sujet. J'ai exploré toutes les pistes, étudié toutes les hypothèses. Et maintenant j'y suis.
Faisant un effort surhumain, je tente de faire revenir à la surface mes souvenirs les plus lointains. C'est difficile. Ma conscience flotte au-dessus de ma vie, comme si elle me devenait progressivement indifférente.
Premier flash. Enfant, je croyais.
Assidu pendant le catéchisme, le paradis et l'enfer me fascinaient. Découvrant à peine la réalité de la Mort, je n'avais pas eu le temps de craindre la Fin d'un être cher qu'on me rassurait déjà avec une vie après sa disparition. Une existence magnifique, si son passage sur Terre avait été une réussite au regard des principes qui m'étaient inculqués alors.
L'obsession a commencé ainsi.
Déterminé, j'ai posé beaucoup de questions. J'ai confronté les réponses des uns et des autres, mes parents, le prêtre de mon église, l’institutrice qui me dispensait les cours de catéchisme, les livres... Quelque chose clochait.
Je me sens bien ici. Il fait bon, le calme du lieu m’apaise. Enfin, ce n'est pas un lieu. L'idée d'un "endroit" n'a pas de signification dorénavant. J'ai un peu de mal à savoir qui je suis. D'ailleurs, la notion d'individualité me semble de plus en plus confuse. Mes idées se mélangent, elles manquent de cohérence.
Les incohérences. C'est ça. Les réponses des adultes ne me convenaient pas. Deuxième flash.
Je m'en suis ouvert à une adulte. Qui était-elle ? Son identité m'échappe à présent. Ce n'est peut-être pas très important. L'essentiel, c'est ce qu'elle m'a dit. Je revois bien ses grands yeux noirs, un peu globuleux, difficilement cachés par ses énormes lunettes d'écaille. Son sourire bienveillant a accueilli mes doutes avec sagesse. Puis la femme sans identité m'a confirmé la justesse de mon raisonnement. Non, il n'y aurait ni paradis, ni enfer. Pour elle, nous étions poussières d'étoiles, et nous le redeviendrions une fois disparus.
À sept ans, cette révélation me laissait circonspect. Poussière d'étoiles ? J'ai observé le ciel un moment, songeur, et accepté de retenir l'idée comme une des multiples hypothèses qu'il faudrait vérifier. Solennel, je lui ai fait promettre une chose : le premier à passer de l'autre côté reviendrait sur Terre pour raconter à l'autre ce qu'il en était vraiment. Elle a ri, puis a promis, aussi solennelle que moi.
Je ne pourrai lui raconter. J'ai donc la confirmation de ce que j'avais pressenti plus jeune. On m'a menti. Je ne suis ni au paradis, ni en enfer. Et je n'ai pas l'impression que mes actions passées aient influencé mon état actuel. À vrai dire, elles n'ont pas d'importance parce qu'elles n'ont aucune substance ici. Elles n'existent pas. Elles disparaissent, avec ma mémoire et ma personnalité.
La lumière est forte, mais pas aveuglante. Elle me baigne, agréablement chaude et rassurante. Un nouvel effort est nécessaire pour permettre au garçon... me permettre de continuer mon introspection. C'est de plus en plus compliqué.
Troisième flash. Doutant de plus en plus de la religion qui m'avait été imposée, je me suis tourné vers les sciences occultes et les philosophies diverses. Spiritisme, réincarnation, croyances exotiques...
Il y avait du sens dans tout ça. Je découvrais, par mes expériences mystiques, un univers invisible parfaitement en phase avec l'inconnu de la mort. C'était forcément la bonne voie.
Nous faisions... Il...
Je faisais tout pour connaître la vérité. J'allais jusqu'à me mettre en danger en faisant des tentatives de Mort Imminente, entouré d'amis aussi intéressés que moi par la question. Nous collections les indices, petit à petit, sans que nous ne puissions définitivement trancher. Puis, l'une d'entre eux est morte. Nous avons tenté de la contacter. Rien. Silence radio. L'esprit de la défunte ne nous répondait pas et, par la même occasion, détruisait notre petit groupe en anéantissant les espoirs de la majorité d'entre nous.
Y a-t-il eu d'autres chemins ? D'autres réponses potentielles explorées ? Probablement. Mais le garçon qui a eu l'accident de parapente n'a plus vraiment envie d'y penser.
Il a terminé sa vie sous l'influence de la science. Celle qui est pure et dure. Celle qui domine et affirme que si une chose n'est pas prouvée, matériellement, alors cette chose n'existe pas.
Il ne croyait plus.
Mais il est là. Il se désagrège, lentement, sa personnalité se fondant dans celle des autres.
Nous ressentons le bien-être. C'est agréable, car c'est la seule chose qui nous est possible. Nous sommes multiples et un à la fois. Nous sommes ce garçon qui vient d'avoir un accident. Mais nous sommes également bien d'autres. Nous ne pensons pas vraiment. Le passé ne nous intéresse pas. Mais nous ressentons. Il n'y a pas d'avenir. Aucun changement possible. Pas de temps, pas de douleur. Pas de froid, ni de brûlure. Pas de fatigue, pas de peur, ni d'inquiétude. Nous sommes bien. Juste et indéfiniment bien.
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