Chapitre 12 : Des nouvelles d'Elvangor (2/3)
Dès qu’elle fut sortie du bureau, Naim se dirigea vers le harem. Le palais était grand, mais sa structure était assez simple. Et de fait, seul un couloir, privé de surcroît, reliait le bureau royal à la galerie de marbre où se situait l’entrée officielle du sérail. Mais ce trajet, aussi bref fût-il, ne lui convenait pas. Elle recherchait la discrétion. Moins il y aurait de personnes à établir le lien entre elle et Brun, mieux ça serait, et passer par la salle la plus fréquentée lui semblait une mauvaise idée. Elle préféra reprendre les couloirs des parties privées qui l’avaient amenée. À cette heure avancée de la matinée, les domestiques avaient depuis longtemps nettoyé les lieux.
Elle arriva à destination sans encombre. Cette aile dévolue aux femmes était accessible par de multiples endroits. Le souci de discrétion de la Naytaine lui fit emprunter l’une des entrées donnant sur les appartements, dans une section du palais interdite au public. En l’occurrence, elle déboucha dans l’école.
Atteindre la partie privée n’était qu’une formalité. Avec les gardes, elle n’avait pas besoin de prendre de précautions particulières. Ils étaient au courant de tout ce qui se passait en ce lieu. De toute façon, le roi avait été obligé de donner des instructions pour qu’elle pût accéder au harem ; ils connaissaient son statut, pourquoi se cacher d’eux ? Et puis les eunuques présentaient un autre avantage. Avec eux, elle pouvait s’envoyer en l’air sans risquer de tomber enceinte. D’ailleurs, en en croisant quelques-uns dans le couloir, elle se dit que ça faisait très longtemps qu’elle ne s’était pas retrouvée entre les bras d’un homme. À Elvangor, elle avait préféré rester discrète. Et elle remarqua que certains ne lui semblaient pas indifférents. Elle en salua un à la silhouette impressionnante.
Elle arriva enfin dans le hall principal du harem. Un petit groupe de femmes s’y trouvait. Elles discutaient entre elles. À son entrée, elles s’interrompirent et la détaillèrent d’un air hostile. Elle avait du mal à comprendre pourquoi. Elle ne se considérait pas particulièrement belle. Si son visage n’était pas désagréable à regarder, elle s’estimait trop grande et trop musclée, même comparée à ses compatriotes naytains, qui avaient déjà une stature élevée. Elle avait remarqué que cela excitait certains hommes. Mais cela ne permettait pas de la qualifier de belle pour autant. Surtout face à ces femmes qui avaient été spécialement sélectionnées pour leur beauté.
Elle s’approcha d’un garde planté devant la porte des jardins. À son arrivée, il l’ouvrit. Mais elle secoua négativement la tête.
— Elya, demanda-t-elle.
Il leva la main pour lui désigner le couloir des chanceuses. Elle ignorait comment, mais les eunuques savaient toujours où se trouvait chaque pensionnaire du harem. Jamais l’un d’eux ne s’était montré incapable de la renseigner. Il était vrai qu’elle n’était pas restée suffisamment longtemps sur place pour l’ériger en une loi immuable de l’univers. Elle songeait d’ailleurs à ce qui se passerait le jour où elle en prendrait un en défaut. La terre tremblerait-elle et s’ouvrirait-elle sous les pieds du fautif ?
Un coup discret à la porte de sa sœur ne lui renvoya aucune réponse. Elle devait se trouver dans la salle des tempêtes, ainsi surnommées, car c’est là que les novices se réfugiaient quand une tempête les empêchait de profiter du jardin. D’ailleurs, la saison approchait. Les premières n’allaient pas tarder à souffler sur la cité-État.
C’est bien là qu’elle la trouva. Elle était avec trois de ses amies assise autour d’une table dans une alcôve. Elles étaient concentrées, s’exerçant à l’écriture ; aucune ne l’avait entendue entrer. Elle s’approcha discrètement du petit groupe.
— Et dire qu’à la maison, on n’arrivait jamais à te faire accomplir le moindre travail, lâcha-t-elle soudainement.
Les deux amies qui l’entouraient, une Naytaine comme elle et une autre dont l’ethnie lui était inconnue, sursautèrent sous la surprise, mais sa sœur réagit telle qu’elle l’espérait. Elle sauta presque de sa chaise pour se précipiter dans ses bras.
— Naim, s’écria-t-elle en l’enlaçant.
— Elya, répondit la guerrière.
— Où étais-tu passée ?
— J’avais du travail.
Naim essaya de soulever la fillette, elle lui parut bien lourde. Bien que jeune, on sentait qu’elle était partie pour devenir comme elle, grande et musclée. Elle avait déjà dépassé la taille de son étrange compagne et n’était plus très loin de la Naytaine qui révisait avec elle.
— Tu me raconteras ce que tu fais ? demanda Elya.
— Pas maintenant, tu es trop jeune. Quand tu seras grande.
— Tu peux me dire au moins où tu étais.
— Je voyageais à l’ouest.
— À l’ouest !
— Brun m’avait confié pour mission de suivre la route de briques jaunes pour tuer la méchante sorcière de l’Ouest.
Vexée, Elya donna une tape à sa sœur aînée.
— Tu te moques de moi, s’écria-t-elle d’un ton boudeur.
— C’est ce qui arrive aux petites filles trop curieuses.
— Viens, je vais te présenter mes amies
Sa déception était déjà oubliée. Elle prit sa sœur par la main pour l’amener jusqu’à la table.
— Elle, c’est Dovaren, dit-elle en désignant la Naytaine. Elle vient de Nayt comme nous.
— Je ne m’en serai jamais douté, répondit Naim.
— Arrête ! Tu te moques encore de moi.
— De qui pourrais-je me moquer d’autre ?
— Où va le monde si on ne peut pas taquiner sa petite sœur ? plaisanta Dovaren.
Les deux compatriotes se saluèrent à la Naytaine, s’attrapant le bras juste en dessous du coude.
— Merci de prendre soin d’Elya en mon absence, prononça Naim.
— C’est normal, répondit Dovaren. Les adultes doivent s’occuper des enfants.
La deuxième femme adulte assise autour de la table tendit la main. Elle était physiquement à l’opposé de Dovaren.
— Je suis Sarin, se présenta-t-elle.
— Êtes-vous novice aussi ?
— Non, j’ai eu la chance d’être honorée par Brun. Je suis une concubine en titre.
— Ah ! Mais que faites-vous ici alors ?
— Je m’y sens mieux qu’avec les autres. Je n’ai pas à me battre pour avoir une banquette autour de la piscine. Je n’ai pas non plus à surveiller tous mes gestes pour ne pas me mettre à dos une faction ou une autre.
— C’est compréhensible.
Elle regarda les documents étalés sur la table devant elles.
— Je vois que vous préférez vous instruire plutôt que de vous prélasser au soleil à ne rien faire comme la plupart de vos semblables.
— Je m’ennuie à ne rien faire. Et puis, nous nous trouvons dans la meilleure école du monde. Autant en profiter.
— Et vous passez vos journées dans la piscine et à l’école.
— Oh non, je peins aussi. J’ai réalisé quelques tableaux. J’en ai même vendu quelques-uns. D’ailleurs, le seigneur lumineux m’a trouvée assez bonne pour en accrocher un dans son bureau. Et dame Cali m’a demandé de créer les décors de son prochain spectacle. Je n’attends plus que le roi accepte la requête pour m’y mettre.
Le bureau de Brun contenait bien quelques tableaux et si l’un d’eux était bien d’elle, elle avait beaucoup de talent. Naim aurait bien continué cette conversation, mais Elya était déjà en train d’attirer l’attention de son aînée sur sa troisième compagne. Cette dernière était jeune, de petite taille et d’une beauté saisissante. Contrairement à la pseudo guerrière libre, on comprenait du premier coup pourquoi Brun l’avait acquise.
— Elle, c’est Dursun.
L’adolescente leva la tête à l’annonce de son nom. La tristesse qui lui marquait le visage surprit la Naytaine. Elle avait visiblement subi un drame récent.
— Je n’ai jamais vu une personne telle que vous, remarqua Naim.
— Je viens d’Aclan, répondit Dursun.
— L’Aclan ? Je ne connais pas cet endroit.
— C’est au Shacand. Un petit royaume au nord du Mustul.
— Je ne sais rien du Shacand. Je ne sais même pas dans quelle direction il se trouve.
La brune fillette tendit vaguement le bras en direction du sud-ouest. L’air dépité d’Elya lui apprit qu’elle aussi l’ignorait et qu’en plus elle avait omis de se renseigner.
— Tu veux voir ce que je fais, demanda-t-elle pour détourner l’attention de ce fait gênant.
— Bien sûr. J’ai envie de tout savoir sur ma petite sœur. Tu sais lire ?
— J’ai un peu de mal encore. Je confonds certaines lettres.
— Elle se débrouille très bien, la défendit Dovaren. Surtout si on considère qu’elle vient de la Nayt qui utilise une langue et un alphabet différents.
Elle lui tendit une feuille de papier sur laquelle une carte était dessinée. Soudainement intéressée, Naim la détailla.
— Où nous trouvons-nous ? demanda-t-elle.
— Ici.
La fillette posa un doigt sur la carte, au sud du continent principal.
— Ça c’est l’Orvbel, ça c’est la Nayt, ça c’est l’Helaria et ça c’est l’Yrian.
Elle désigna tour à tour les destinations qu’elle annonçait.
— C’est tout petit, remarqua Naim. Nous occupons une surface ridicule de notre monde.
— Il y a plus de mille longes entre l’Orvbel et l’embouchure de l’Unster.
— Mille cents, corrigea crânement Elya.
— À oui. C’est pas mal finalement. Où est Elvangor ?
Elya chercha un moment.
— Je ne trouve pas, dit-elle enfin.
— C’est au Lumensten.
Grâce à cette précision, elle put au bout d’un moment poser son index sur un cap qui séparait deux grandes baies. Sur la carte, à peine un doigt séparait la ville du royaume négrier. Et pourtant, elle avait mis plus d’un douzain pour voyager de l’un à l’autre. Pour qui n’avait pas l’habitude, cette carte était trompeuse. Mais elle n’avait pas tort sur un point, les territoires habités semblaient ridicules comparés à la surface totale des deux continents.
— Eh, où se trouve le pays d’Oz ? demanda innocemment Dovaren.
— Quelque part par là, répondit Naim.
D’un geste négligent, elle désigna une zone qui englobait toutes les terres habitées.
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