Chapitre 20 : le cambriolage - (2/2)

5 minutes de lecture

Si elle ne se trompait pas, elle devait partir d’ici et faire son rapport. Il fallait que l’on ignorât tout de sa visite. Le carreau cassé ? Abandonner une pierre dans la pièce pourrait suggérer un accident. En repoussant le volet sans le verrouiller, elle pourrait faire croire qu’il avait été mal fermé lorsque les occupants étaient partis. La maison ne paraissait pas tellement sécurisée. Après tout, elle ne contenait rien de stratégique et tout le monde semblait savoir à qui elle appartenait. Il restait le tiroir. Les pentarques ne pourraient pas manquer de voir qu’il avait été crocheté. Elle ramassa l’éclat de bois. Il s’était détaché dans la longueur de la face avant. En le remettant en place, il tomberait. Si elle coinçait le tiroir pour les obliger à forcer, ils pourraient penser que c’était eux qui l’avaient cassé.

Elle fouilla dans le bureau et trouva ce qu’elle cherchait. Un des tiroirs, non verrouillé, contenait du papier et un de ces crayons à mine de carbone que la pentarchie produisait en petite quantité. Elle prit une feuille, détacha un morceau qu’elle plia et inséra dans la glissière. Elle dut s’y reprendre plusieurs fois pour qu’il fût difficile à ouvrir comme elle le désirait. Puis elle repositionna la partie cassée. Comme la fracture n’était pas nette, il tenait assez bien pour donner le change. Si on regardait attentivement, on remarquait la ligne de rupture. Mais comme la plupart des gens, les pentarques ne devaient manipuler les tiroirs qu’en leur accordant une attention discrète.

Il y avait beaucoup de crayon dans ce bureau. Ils ne s’apercevraient pas si l’un d’eux manquait. Elle en prit un. Et quelques feuilles aussi. Une vraie fortune pour une personne comme elle. Et Brun apprécierait certainement ce cadeau. Peut-être qu’il arriverait à le reproduire, donnant une production de plus à son royaume.

En sortant, elle referma la fenêtre, puis repoussa le volet. Rien ne permettait de voir que quelqu’un avait visité les lieux. Le temps que le cambriolage fût découvert, elle pouvait disparaître et mettre sa sœur à l’abri.

Dans l’immédiat, elle allait rentrer à l’hôtel puis profiter un peu des plaisirs de l’endroit. Elle envisageait quelques séjours à la plage, mais aussi une visite des boutiques de la ville. Les couturiers edorians étaient les plus réputés du continent. Elle allait certainement pouvoir en trouver un capable d’habiller sa silhouette difficile. Ça allait coûter cher. Mais après tout, c’était Brun qui payait.

Son projet de vacances fut interrompu au bout de quelques pas seulement. Dans son dos, une voix l’interpella.

— Que faites-vous ici ?

Elle se retourna, c’était un jeune homme, un adolescent il y a peu encore.

— Pourquoi sortez-vous de cette maison par la fenêtre ? Vous n’habitez pas ici.

— Ce sont des amis, répondit Naim, ils me l’ont prêtée.

L’edorian la regarda. Il ne la croyait visiblement pas.

— Comment les avez-vous connus ? demanda-t-il.

— J’ai connu les sœurs jumelles quand elles sont venues dans mon pays.

L’homme pencha la tête sur le côté comme pour mieux la voir. Naim pensa que son teint sombre comme la nuit et sa haute taille, dans un endroit comme l’Honëga, allait la rendre facile à identifier. Dès qu’il parlerait d’une grande femme noire sortant de la maison des pentarques, elle verrait aussitôt rappliquer les gardes de la ville.

— Je dois en référer au poste, dit l’homme.

Il fit demi-tour pour s’éloigner.

Naim prit sa décision en une fraction de seconde. Elle saisit la dague passée à sa ceinture et s’élança sur lui. Elle n’était pas une meurtrière, son geste manqua de précision, elle le rata. Il se retourna. Incrédule, il regardait alternativement la légère estafilade de son bras et la Naytaine.

— Vous ne pouvez pas me tuer, dit-il.

— Pourquoi cela ?

— Nous sommes en Helaria, il n’y a pas de crime ici.

Les Helariaseny recevaient une formation à la lutte dans leur éducation, même ceux qui se destinaient à une carrière intellectuelle. Elle s’attendait à ce qu’il défendît chèrement sa vie. D’un certain côté, elle se sentait plus à l’aise, un combat loyal ne violerait pas son honneur. Mais il ne sortait pas son arme, il se contentait de la fixer. Il ne ressemblait pas à un soldat se préparant à combattre.

Brutalement, il fit demi-tour et s’enfuit. Surprise par une telle réaction, elle mit quelques vinsihons à réagir. Malgré la puissance de son armée, malgré leur éducation, l’Helaria était un pays tranquille. La plupart de ses habitants ne s’étaient jamais battus de leur vie. Quand elle s’élança, il avait déjà parcouru une vingtaine de perches.

Elle le rattrapa rapidement. D’une poussée, elle le projeta au sol. Il se retourna sur le dos, lui faisant face. Elle se jeta sur lui, l’immobilisant de son poids.

— Pitié, l’implora-t-il.

Elle ferma les yeux.

— Je suis désolé, dit-elle.

Une main sur la bouche pour l’empêcher de crier, elle lui trancha la gorge. Il se débattit un instant. Face à une femme de la carrure de Naim, il n’avait aucune chance. Puis il s’immobilisa. Encore quelques vinsihons et sa poitrine cessa de se soulever. Il était mort.

Naim se releva, le visage fermé. Elle voulut jeter un coup d’œil sur sa victime. Mais c’était au-dessus de ses forces. Si elle le voyait, ce qu’elle avait commis deviendrait réalité. Elle le lui devait pourtant. Lentement, elle tourna le regard vers lui.

Sa figure s’était figée dans la dernière expression qu’il avait manifestée. De la terreur. Il était mort terrorisé. Un moment, elle se demanda s’il manquerait à quelqu’un ; si une femme, une mère, l’attendait quelque part.

Elle s’éloigna de quelques pas. Elle avait sa dague à la main. Cette arme, qui lui plaisait tant quand elle l’avait achetée quelques jours plus tôt, lui faisait maintenant horreur. Elle la tenait à plat sur sa paume. Elle baissa les yeux vers elle. Un si petit objet avait pu prendre une vie. Un être conscient, sensible, avait été effacé par un simple morceau de métal dénué d’intelligence. Elle la lança aussi fort qu’elle put vers la mer, la regardant s’abîmer dans les flots.

Le soleil n’allait pas tarder à se lever. Elle devait rentrer avant que quelqu’un d’autre la surprît. Quelques centaines de perches plus loin, elle s’arrêta devant un arbre. Elle laissa alors exploser sa rage. Elle frappa le tronc à plusieurs reprises jusqu’à ce que la douleur physique la soulageât. Les larmes aux yeux et la main en sang, elle prit la direction de son hôtel.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Laurent Delépine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0