Chapitre 25 : Retour de bâton - (2/2)
Après le cours, les chanceuses mirent la concubine au courant de l’absence de Deirane et elle avait décidé de les accompagner. C’est donc cinq femmes – les trois novices, Elya et Sarin – qui rejoignirent la chambre de Deirane.
Elles arrivèrent devant la porte. Dovaren frappa. Ce fut Loumäi qui ouvrit. Quand elle vit les cinq amies, elle fut rassurée.
— Je ne peux pas vous laisser entrer, dit-elle, elle se repose.
— Ça suffit, ordonna Dovaren. C’est notre amie, on veut savoir ce qui se passe.
Loumäi hésita un moment. Puis elle ouvrit la porte en grand les invitant à pénétrer.
— Vous avez raison.
En effet, Deirane se reposait. Elle était couchée dans son lit, leur tournant le dos, emmitouflée dans les couvertures malgré la chaleur. Joyeusement, Elya se précipita vers elle et s’allongea à côté. Elle lui passa un bras autour des épaules et se blottit contre elle. Sauf que, au lieu de se retourner et de l’enlacer, un geste si instinctif qu’elle le réalisait même en dormant, Deirane s’écarta.
Un moment surprise, Elya se reprit vite et se rapprocha à nouveau. Deirane était arrivée au bord du lit. Elle ne pouvait plus se pousser sans tomber. À la place, elle lâcha une sorte de piaulement à mi-chemin entre le gémissement et des pleurs.
— Lève-toi de là, ordonna Dovaren.
Si le ton semblait calme, on pouvait sentir la colère qui vibrait par-derrière. Elle avait deviné ce qui s’était passé. Dursun récupéra la petite fille qui ne comprenait pas pourquoi celle qu’elle aimait tant la repoussait.
Dovaren s’accroupit au pied du lit, juste devant son amie.
— Jevin ? demanda-t-elle.
— Tu avais raison, c’est un porc, répondit faiblement Deirane.
D’une main délicate, la Naytaine écarta les cheveux blonds, révélant le visage tuméfié. Elle souleva le drap, mais la jeune femme le rattrapa et se serra dedans encore plus étroitement. Elle se tourna alors vers Loumäi.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle.
— Le prince est venu hier soir, expliqua-t-elle.
— Et il l’a frappée pour se venger d’elle.
— Non, enfin oui. Au début.
— Il l’a violée ?
La domestique hocha la tête.
Sarin sorti. Elle revint un bref instant plus tard en compagnie d’un jeune eunuque. Ce dernier embrassa la scène d’un regard avant de repartir. Il ne resta absent que quelques vinsihons, un temps insuffisant pour prévenir qui que ce soit. Il n’avait même pas eu la possibilité de quitter l’aile des novices. Pourtant, moins d’un calsihon après, Chenlow arrivait à son tour.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.
Puis il vit Deirane allongée sous ses couvertures, malgré cette chaleur moite qui préludait à la saison des tempêtes.
— Elle est malade ? Faut-il appeler le médecin ?
— Elle a été forcée, déclara Dovaren d’un ton sec.
D’abord, l’eunuque ne dit rien. Son visage ne donnait aucun indice sur ce qu’il pensait. Puis il contourna le lit.
— Qui ? demanda-t-il simplement.
— Jevin, le frère du roi, répondit Dursun à sa place.
— Bien.
Il s’écarta de la jeune femme.
— Je vais faire poster un garde à sa porte et un autre devant l’aile des novices puisque ce type semble incapable de garder son sexe dans son pantalon.
— Je ne comprends pas pourquoi il se comporte ainsi, demanda Dursun, pendant son voyage, il l’a protégée contre ses compagnons et maintenant il agit comme un monstre.
— Il a toujours été un suppôt de Deimos, répondit Dovaren. Mais dehors, il était en service commandé. Depuis qu’il est rentré, c’est redevenu un prince de sang.
— Le roi Brun aussi, continua Dursun, pourtant il ne nous traite pas comme ça.
— Le Seigneur lumineux, la reprit Chenlow en insistant bien sur le titre, est civilisé quoi que vous en pensiez.
Il se retourna vers Deirane. Tel qu’elle s’était enveloppée, on ne voyait pas les meurtrissures qui devaient certainement lui couvrir le corps.
— Es-tu en état de me raconter ce qui s’est passé exactement ? demanda-t-il d’une voix étonnamment douce.
Elle hocha la tête.
— Il est venu cette nuit. Il… Il…
Elle se montra incapable d’aller plus loin. Elle se mit à pleurer. L’eunuque posa une main qui se voulait compréhensive sur son épaule, la serrant brièvement à travers les multiples couches de tissu. Puis il se tourna vers Loumäi. La jeune domestique, complètement tétanisée, hésita un long moment avant de répondre d’une toute petite voix.
— Il m’a frappé. Il a dit qu’il me tuerait si elle criait. Il m’a enfermé dans le placard. Après je n’ai plus rien vu. Quand il est parti, je me suis échappée en cassant la porte à coup de pied. Il l’avait attachée au lit.
— C’est toi qui l’as libérée ?
Elle hocha la tête pour répondre.
— Pourquoi n’as-tu pas appelé au secours ?
Le visage de Loumäi perdit toute couleur. Dovaren, la voyant perdre pied, vint à son aide.
— Comment aurait-elle pu ? Elle était enfermée.
— Il a raison, je pouvais.
— Comment ?
— Les feythas ont oublié quelques gadgets avant de quitter cette place forte, expliqua Chenlow.
Il laissa un instant à Dovaren pour encaisser le choc de la découverte de l’origine du palais avant de reprendre.
— Certains d’entre eux permettent de détecter une intrusion.
Avant de prendre congé, il se tourna une dernière fois vers les novices.
— Je vais prévenir dame Orellide. J’envoie aussi un garde pour surveiller la porte. D’ici à son arrivée, vous restez toutes ici.
— Compris, répondit Dursun.
Il quitta la pièce, laissant Deirane aux soins de ses amies.
En s’asseyant sur le lit, Dovaren aperçut un éclat lumineux sous l’armoire.
— Quelque chose a roulé là-dessous, signala-t-elle à Loumäi.
La domestique, dont le professionnalisme confinait à la maniaquerie, se pencha pour le ramasser. Elle l’examina.
— C’est étrange, remarqua-t-elle, ce n’est pas à dame Serlen. Je ne connais pas ce bijou.
— Donne.
Sans attendre qu’elle s’exécute, Dursun le lui retira des mains. C’était une bague en or conçue pour des doigts plus gros que les leurs, d’une seule pièce dont le chaton plat était gravé d’un dessin en creux. En comprenant ce que c’était, elle ne put retenir un sourire qui n’échappa pas à son amie.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda la Naytaine.
— Une bonne nouvelle. Nous disposons du sceau de Jevin.
Elle n’eut pas besoin de donner davantage d’explication pour que Dovaren en saisisse toute l’importance. Comme beaucoup de nobles, Jevin n’écrivait pas lui-même ses lettres. Il confiait leur rédaction à un scribe, se contentant d’appliquer son cachet. Elle se demanda jusqu’où elle pourrait aller en se prévalant de l’autorité du frère du roi. Elle n’était certainement pas suffisante pour sortir de ce lieu, mais intelligemment utilisé, ce bijou allait leur ouvrir beaucoup de portes.
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