Chapitre 41 : la tempête - (3/3)

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Les duellistes à la hache s’étaient déportés un peu à l’écart. Personne n’intervenait. Qui que soit qui l’ait fait, il aurait été attaqué des deux côtés. Leur honneur était en jeu. Sous le poids de leur arme et la violence de leur assaut, les deux combattants étaient en nage. Le Sangären, en guerrier accompli, portait un bandana qui évitait à la sueur de lui couler dans les yeux. Le garde par contre, réveillé en sursaut, avait oublié le sien. Cela l’obligeait à s’essuyer souvent le front de sa main libre. Malgré ce désavantage, son adversaire n’avait pas pu trouver la faille dans sa défense. Pas plus que lui dans la sienne.

L’arme du marchand s’était révélée étrangement efficace, malgré son aspect inoffensif. La faisant virevolter autour de lui, elle brisait les crânes et les poignets sur lesquels elle s’abattait. Les pillards apprirent vite à se tenir à distance. Il s’en servait aussi pour arracher les sabres de ses ennemis. Si ceux-ci n’avaient pas été suréquipés, ils se seraient rapidement retrouvés les mains nues. Ça plus la façon dont il voltigeait, esquivant les sabres, lances et autres objets tranchants, en faisaient un combattant redoutable. Elle soupçonnait qu’il n’avait pas été marchand toute sa vie. Il avait dû commencer comme soldat ou mercenaire.

Un Sangären s’effondra en hurlant, le bras coupé au-dessus du poignet. L’assaut s’engageait mal. Le chef des Sangärens sonna le signal de la retraite. Aussitôt, les pillards s’égaillèrent en direction de leurs chevaux. L’adversaire de Naim la salua avant de rejoindre ses congénères. Les deux combattant à la hache se serrèrent la main.

— Il faudra une autre fois pour savoir lequel de nous est le meilleur, dit le Sangären.

— Je n’ai aucun doute là-dessus. Si tu ne m’avais pas surpris comme un lâche, je t’aurais déjà battu.

Sous la colère, le Sangären faillit reprendre l’affrontement. Mais une injonction de son chef le rappela à l’ordre.

Quand les cavaliers furent partis, ils dénombrèrent les pertes. Ils laissaient douze cadavres derrière eux. Sept étaient des Sangärens, cinq des caravaniers. Des pertes énormes, mais bien faibles comparées à ce qui aurait pu advenir si l’effet de surprise avait marché. Sans compter les multiples blessures qui invalidaient autant de survivants. Plaie, bosse, presque personne n’avait été épargné. Il y avait aussi un cheval sans cavalier qui errait sur les lieux et le cadavre d’un autre un peu à l’écart. Naim croisa les bras en voyant ce carnage. Elle sentit quelque chose de poisseux dans sa main. Elle regarda. Du sang. Elle avait une longue entaille qui lui courait de la clavicule au coude. Dans le feu de l’action, elle ne s’était pas rendu compte qu’elle avait été touchée. Comme si elle n’attendait que cela, la douleur se réveilla, intense, lui coupant le souffle. Elle gémit.

Corist lui passa un bras autour des épaules.

— Suis-moi, ordonna-t-il.

Il la guida jusqu’au chariot où les blessés s’étaient rassemblés. Ceux qui étaient indemnes se chargeaient de soigner les autres. L’infirmier improvisé prit un coton imbibé d’hydromel marin, cet alcool qui pouvait servir à tout sauf à se saouler, et nettoya la plaie. Naim le regarda faire.

— Ce n’est pas bien grave, commenta-t-il, la cicatrice que tu pourras exhiber ne sera pas bien impressionnante.

Elle tressaillit quand le désinfectant entra en contact avec les chairs à vif.

— Ne bouge pas. Ça fait mal ?

— Ça picote, répondit-elle.

— C’est la technique préconisée par l’école de médecine de Sernos. Depuis qu’ils l’utilisent, les cas de gangrène sont bien plus rares.

Tout en la soignant, il continua.

— Je t’ai vu te battre. Tu manques un peu de pratique.

— Je suis mauvaise ?

— Pas du tout. Tu as juste besoin d’un peu d’entraînement. Mais tu sais te servir de ton épée.

— C’est pour bénéficier de cet entraînement que je suis venue en Helaria. Je ne l’ai jamais caché.

— C’est vrai. C’était ton premier combat réel ?

— Oui.

Il termina par un bandage bien serré qu’il maintint fermé par une longue épine.

— Voilà, c’est fini. Normalement, je devrais faire des points de suture, mais je ne suis pas doué en couture. Il vaudra mieux laisser un spécialiste s’en occuper au prochain arrêt dans une auberge.

Elle regarda son bras, fit jouer son muscle. C’était douloureux, mais moins qu’elle ne l’avait craint.

— Je vais aider les autres.

— Pas avec ce bras. Si tu forces dessus dans cet état, il guérira mal, et tu pourras dire adieu à ton métier.

— Je ne peux pas rester sans rien faire.

Elle désigna le campement autour d’eux. Les soldats valides avaient commencé à tout remettre en ordre. Ils avaient transportés les cadavres – Sangärens autant que voyageurs – dans un chariot vide. Un tel acte aurait paru inconcevable pour tout étranger, vu l’urgence de la situation, mais jamais un Naytain n’aurait laissé un mort sans sépulture, même celui d’un ennemi. Les blessés les plus graves, peu nombreux heureusement, s’étaient entassés dans l’espace disponible du septième véhicule.

— Va ranger tes affaires, lui dit Corist. On part dans peu de temps. On ne peut pas rester jusqu’au matin. La tempête approche.

Elle hocha la tête. Elle avait compris. Quelqu’un avait planté quelques torches en terre, éclairant suffisamment les lieux pour y voir. Elle se dirigea vers son sac de couchage. Il était intact. Comme la plupart de leurs possessions d’ailleurs. Le but des Sangärens étant le pillage, ils n’avaient rien détruit.

Moins de trois calsihons plus tard, le convoi se remettait en route. Dans la nuit sans lunes, un cavalier était parti quelques centaines de perches en avant pour reconnaître le terrain. Frallo avait complètement disparu.

Au bout de deux monsihons, alors que l’horizon oriental commençait à s’éclaircir, le vent avait tellement forcé que les voyageurs devaient hausser le ton pour s’entendre. Les toiles des chariots claquaient sous les bourrasques, rendant davantage les discussions difficiles. Corist, qui avait hérité du cheval capturé aux Sangärens vint chevaucher à côté d’elle.

— Comment ça va ? cria-t-il.

— Bien. À quelle distance se trouve l’abri le plus proche ?

— À huit longes.

— On ne l’atteindra jamais. La tempête nous aura rejoints avant.

— Que dis-tu ?

— C’est trop loin.

— On n’a pas le choix.

Elle désigna la forêt de la main.

— Nous devons nous réfugier sous les arbres.

Corist écarta une mèche de cheveux que le vent ramenait sur son visage.

— Les arbres ? Ils ont quoi les arbres ?

— Il faut aller dessous.

— Aller dessous ?

— Oui.

— C’est trop dangereux. L’ouragan peut les abattre.

— Ils sont là depuis des siècles.

Le cavalier réfléchit un instant. Elle avait raison. Certains arbres étaient très gros. Si aucune tempête ne les avait arrachés, s’ils avaient survécu au raz de marée qui avait marqué la fin de la guerre contre les feythas, ils résisteraient bien à cette tempête. En s’enfonçant assez loin sous les frondaisons, ils seraient à l’abri.

— Bonne idée, cria-t-il.

Il rattrapa le chariot de tête du convoi, certainement pour discuter avec Vicol. Il dut se montrer convaincant puisqu’il rejoignit ensuite l’éclaireur. À deux, ils allèrent explorer la lisière des bois. Ils avaient une demi-longe à parcourir pour atteindre les arbres. Le temps qu’ils soient de retour, le vent avait encore forci. Il était devenu difficile de remonter face à lui.

Les deux caravaniers mirent plusieurs calsihons à revenir. Corist désigna au conducteur du chariot de tête un point plus en avant sur la route. Puis il rejoignit Naim.

— Ton idée était bonne, dit-il, on a repéré un endroit adéquat.

— Loin ?

— Un peu plus bas, à une longe et demie.

— C’est loin, remarqua-t-elle, le vent augmente vite.

— Je n’ai rien trouvé de plus près. Ailleurs, les arbres sont trop serrés.

Par chance, le vent leur soufflait dans le dos. Il les poussait, accélérant leur progression. Cela nécessita quand même presque un monsihon pour rejoindre le point de la route le plus proche de leur objectif. Quand ils l’eurent atteint, la tempête était trop forte pour qu’ils parlassent.

Le convoi quitta la chaussée pour s’engager sur la courte plaine qui les séparait de la lisière. Et les difficultés commencèrent. Les chariots, pris par le côté, étaient secoués, laissant craindre qu’ils se renversassent. Et le terrain qui n’était plus nivelé cachait des obstacles tels que des pierres ou des creux qui risquaient de briser les roues. Les nuages noirs qui s’étaient accumulés, masquaient la lumière de Fenkys. Ils étaient dans la pénombre, comme si un nouveau coucher de soleil avait eu lieu.

Les chevaux hennissaient de terreurs. L’un d’eux aperçut les arbres protecteurs et accéléra le pas. La peur semblait lui donner de l’énergie. Les autres attelages le suivirent. Ils allaient bientôt atteindre la sécurité.

Brusquement, le bruit d’un craquement suffisamment fort pour percer les hurlements du vent parvint aux oreilles de Naim. Devant elle, un chariot s’était immobilisé. Aussitôt, Corist fut sur lui. Il fit signe à Naim de le dépasser et de le continuer. Elle se retourna, elle vit le conducteur mettre pied à terre pour examiner l’engin. Les roues semblaient intactes, mais celles de derrière étaient bizarrement penchées. Un essieu était brisé.

— Laisse tomber ! lui cria Corist. Mets-toi à l’abri !

Le conducteur alla au plus rapide. Il trancha les liens qui retenaient son attelage sans chercher à dénouer les précieuses lanières de cuir. Puis il grimpa à cru sur l’un d’eux pour rejoindre la protection. Les autres n’eurent pas besoin d’être encouragés pour s’enfuir vers les arbres.

Enfin, ils atteignirent la lisière de la forêt. Les troncs étaient suffisamment espacés pour laisser passer les chariots à travers le sous-bois peu épais. Ils s’y engagèrent facilement. Quand ils s’estimèrent en sécurité, ils se regroupèrent. Le campement était compact pour se protéger mutuellement. Le vent qui soufflait entre les arbres hurlait davantage que dans la plaine, mais il était beaucoup moins fort. De temps en temps, une rafale faisait claquer une toile, mais rien de plus. Ils avaient trois jours à attendre ici que les éléments se calmassent.

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